"Il n'aime pas les maths mais l'histoire, la littérature, la géographie..." C'est la directrice du lycée d'Aoste qui le dit : la curiosité de Giuseppe, nouvel "Alfiere" ("porte-drapeau") de la république italienne, est sans limites. L'autisme vécu comme une ressource.
Giuseppe n'est pas alpiniste. Mais c'est pourtant une vraie montagne qu'il escalade chaque jour, en classe, au lycée technique et professionnel d'Aoste. Une montagne d'isolement, de repli sur soi : celle qui menace nombre d'adolescents en ces temps de pandémie.
Depuis le premier confinement, début mars 2020, c'est ce garçon de 19 ans, pourtant atteint d'autisme, qui porte hauts les cœurs. Le sien mais aussi celui de ses camarades de classe.
Un chef de file est né
Est-ce un leader, pour autant ? A cette question, Patrizia Bongiovanni, la proviseure du lycée technique et professionnel "Corrado Gex" d'Aoste, répond sans hésiter : "Oui. D'abord, parce que malgré les fermetures, les réouvertures à répétition qui ont caractérisé cette année de pandémie, malgré la "DAD" (ndlr : l'enseignement à distance) souvent très mal vécue par les lycéens et étudiants italiens, il a toujours montré l'exemple à ses camarades. Il n'a jamais manqué un seul cours en présentiel, ni une leçon en télé-enseignement !"
Assis au milieu de ses camarades de classe en cours de français, Giuseppe a pourtant tout du lycéen tranquille. Mais ne vous y trompez pas. Son esprit, curieux de tout, reste toujours en éveil.
"C’est incroyable toutes les choses qu’il sait. En cours d’histoire par exemple, il fait toujours des remarques très pertinentes. Elles vont même souvent au-delà de ce que l’on nous demande de savoir. En plus, il y met toujours une petite pointe d’humour qui détend l’atmosphère", explique Alessia, 18 ans, l’une de ses camarades de classe.
"Il a ce que l’on appelle l’humour anglais", commente, pour sa part, madame la Proviseure. "Ce n’est pas celui que je préfère, ou que ses professeurs comprennent le mieux, mais il a le mérite de mettre de la bonne humeur dans les cours les plus austères !"
"C’est vrai", réagit au quart de tour, Giuseppe. "J’aime ce type d’humour, toujours un peu détaché du réel. Il permet souvent de dédramatiser quand l’ambiance devient pesante, comme cela a souvent été le cas pendant cette année de cours".
Un élément moteur
"Ce qu’il y a d’intéressant avec Giuseppe", poursuit Eleonora, "c’est que dans les quelques matières où il a plus de difficultés, il n’hésite pas à demander de l’aide à ses camarades de classe. Son intégration tient aussi à cette sorte d’échange de bons procédés qui s’est mise en place toute seule. Quelquefois, c’est lui qui demande, mais la plupart du temps, c’est lui qui vole au secours de ses copains ou copines… Ce qui prouve à toute la classe que l’on a chacun à apprendre des autres".
Eleonora Moretto, c’est le professeur de soutien de Giuseppe. Elle ne s’occupe pas seulement de lui. Ils sont une cinquantaine de handicapés au total scolarisés à "Corrado Gex", à recevoir un petit coup de pouce supplémentaire grâce à 18 professeurs spécialisés.
"Cette aide personnalisée, c’est la région autonome de la vallée d’Aoste qui nous l’offre. Nous bénéficions d’un "luxe" de moyens qui n’est pas généralisé à toutes les régions italiennes", précise pour sa part Patrizia Bongiovani, la directrice de l’établissement.
Les résultats de cet accompagnement sont là, en tous cas, pour Giuseppe. "En Italie, on note généralement sur 10. Et Giuseppe a des 9 ou des 10 dans toutes les matières qu’il aime. Quant aux mathématiques, qui restent sa "bête noire", il ne descend presque jamais en dessous de…8 !"
Au lycée, 5 années d’une évolution aux allures de révolution
Que de chemin parcouru en tous cas pour Giuseppe. "Il faut savoir qu’il y a maintenant 4 ans et demi, lorsque Giuseppe est arrivé dans l’établissement, il n’osait même pas traverser la rue tout seul", continue Patrizia Bongiovanni.
"En primaire, ça n’a pas été toujours facile pour moi. J'avais des difficultés avec certains élèves qui parfois me considéraient mal. Mais en arrivant au lycée, j’ai peu à peu pris confiance en moi", commente Giuseppe.
Car, pour Giuseppe comme pour n’importe quel autiste, la relation au monde extérieur est souvent problématique.
"Je n’avais qu’une peur", explique la directrice, "c’est que, sachant que vous veniez l’interviewer, Giuseppe n’ose pas se présenter au lycée ! Quand je l’ai vu arriver ce matin, j’étais bien contente".
La radio comme outil d’inclusion
Mais non, toujours ponctuel, Giuseppe a bien répondu présent, une fois de plus. La peur d’être filmé, de s’exprimer en public, c’est bel et bien du passé pour lui !
L’un des outils de son émancipation, il le garde bien en évidence sur son bureau, impeccablement rangé (comme toute sa chambre d'ailleurs) : un ordinateur portable ! Lorsqu’il l’ouvre, c’est pour rédiger un devoir, écrire un roman, comme celui qu’il est sur le point d’achever; mais surtout pour enregistrer l’une de ses chroniques radiophoniques.
Sur Philos, une web radio née en Ligurie, il fait partie de la douzaine de speakers attitrés qui produisent des chroniques sur l’histoire, la géopolitique, la philosophie, le sport… au rythme d’une émission par semaine environ.
"J’en profite pour partager avec les auditeurs mes nombreuses passions. L’histoire de l’Italie surtout. Mais de la France aussi. D’ailleurs, j’aime beaucoup voyager : la France, la Croatie, je suis allé dans plein de régions. J’ai même fait une croisière sur un navire école de la marine italienne", s’extasie Giuseppe.
La réussite d’une équipe
"Cette reconnaissance d’Alfiere della Repubblica pour Giuseppe, c’est aussi une belle récompense pour nous", observe de son côté Christian Varone, le papa du porte-drapeau.
Militaire dans la Guardia di Finanza, (un corps intermédiaire quasi unique en Europe, situé entre gendarmes et douaniers. Les "finanzieri" s’occupent de tous les délits en rapport avec l’argent), mais encore président de l’association valdôtaine des parents d’autistes (Associazione Nazionale Genitori Soggetti Autistici Vallée d’Aosta), et aussi, papa de deux enfants autistes, Giuseppe et sa sœur Sara, Christian et sa femme Margherita, savent que la réussite exceptionnelle de leur fils ne doit rien au miracle ou au hasard.
"Sans l’implication des professionnels : médecins, enseignants, psychologues, et de nous parents, rien n’aurait été possible. Giuseppe, tel qu’il est actuellement, c’est le résultat d’années de réunions, de rendez-vous, avec au centre de tout l’accompagnement mis en place : Giuseppe !"
Ce titre d’"Alfiere" (littéralement : porte-drapeau de la République, la plus haute distinction décernée par la République italienne à des jeunes. Chaque promotion annuelle ne distingue qu’une trentaine de personnes) ne récompense donc pas seulement un Giuseppe, si méritant soit-il : c’est l’ensemble des soutiens qu’il a trouvé tout au long de son parcours scolaire, de son parcours de vie qui se trouvent remerciés.
"En voyant notre réussite, j’aimerais maintenant que le grand public et tous les parents d’enfants autistes ne pensent pas seulement "problème" lorsqu’on leur parle de ce handicap. L'autisme peut bel et bien constituer une ressource : Giuseppe en est la preuve vivante !"