Georges Mehdi parle parfaitement le portugais, et communique donc sans problème avec les Brésiliens ceinture noire. Mais ce qui reste difficile à transmettre, c'est la discipline japonaise prônée par ce ligérien, né à Saint-Etienne, qui a popularisé le judo au pays du "futebol".
"Quand je commence à parler, vous devez vous asseoir!", lance le maître de 86 ans, un des rares ceinture noire neuvième dan, à la centaine de judokas participant à son cours magistral dans un gymnase de Rio de Janeiro. "On fait du judo, on n'est pas là pour rire!", les morigène-t-il.
Art martial codifié dans le Japon du XIXe siècle, le judo repose sur la discipline, le respect et le sens de la hiérarchie, notions peu en rapport avec la culture brésilienne, plus relâchée.
Pourtant, le Brésil est entré dans le top 10 olympique de ce sport, avec 19 médailles olympiques (3 d'or, 3 d'argent, 13 de bronze) et une dynamique qui lui donne des espoirs raisonnables d'une bonne collecte aux JO-2016 de Rio (5-21 août).
Comment est-ce arrivé ? Du zéro kimono au Gotha du tatami, le Brésil a connu une histoire aussi complexe que la plus sophistiquée des prises de judo.
Son fondateur, Jigoro Kano, a répandu ce sport en Europe et dans les Amériques au tournant du XXe siècle, mais le Brésil est resté rétif: pendant des décennies, seule l'importante communauté de descendants japonais à Sao Paulo le pratiquait.
Le premier titre olympique du Brésil, en 1972, a d'ailleurs été décroché par Chiaki Ishii, né dans l'Archipel avant d'émigrer dans le géant sud-américain.
Je ne savais rien
Puis le judo s'est répandu, grâce surtout à un autre immigré: un Français amoureux du Japon et devenu Brésilien.
Georges Mehdi arrive au Brésil quelques années après la Seconde Guerre mondiale, à 17 ans, en provenance de Saint-Etienne. "Je ne voulais
plus rester en France. Je me battais dans la rue tous les jours", confie-t-il pendant une pause de son cours magistral. "Ma mère en avait assez de moi".
Naturalisé brésilien, Mehdi grimpe rapidement les échelons du judo national. "Mais après avoir été champion du Brésil plusieurs années, je savais que je ne savais rien. J'ai donc décidé d'aller au Japon".
Là-bas, pendant plusieurs années, sous l'enseignement de maîtres comme le légendaire Isao Kano, il apprend ce qu'il lui manquait au Brésil: pas tant la technique que des valeurs plus profondes.
"La discipline, l'éducation, les traditions et le sérieux", énumère-t-il. "Tout ce que les Brésiliens n'avaient pas". A son retour au Brésil, il y reste l'un des plus grands judokas, remporte des médailles aux Jeux panaméricains de 1963 et 1967, puis devient entraîneur national. Avec sa sévérité et ses méthodes strictes, il popularise son sport en lançant par exemple des réseaux d'entraînement, et actualise son savoir en se rendant régulièrement au Japon.
"Aujourd'hui, le judo est devenu une tradition au Brésil, il y en a un peu partout, et Georges Mehdi y est pour quelque chose", souligne Oswaldo Simoes (63 ans), ceinture noire septième dan et vétéran de la délégation olympiques des JO-1980 à Moscou.
Devenu entraîneur, celui-ci estime à au moins trois médailles les chances du Brésil chez les garçons et autant chez les filles, qui en tant que pays hôte a des qualifiés dans chaque catégorie.
Au Japon, tu viendrais en courant
Si la discipline a fait le succès de Georges Mehdi, elle a aussi causé sa disgrâce. Sa carrière d'entraîneur national s'est achevée dans une querelle avec la Confédération brésilienne de judo (CBJ).
Il s'était notamment plaint d'un mauvais comportement de la part de l'équipe aux Mondiaux de Salt Lake City en 1967. "J'ai été expulsé de la fédération parce que j'étais très strict", avance-t-il. "Je leur ai dit qu'ils n'étaient pas sérieux". Pendant son cours, et alors qu'il reste redoutable sur le tatami malgré son grand âge, le Franco-Brésilien laisse plusieurs fois affleurer son exaspération. "Quand je te demande de venir, tu ne dois pas traîner!", tonne-t-il à l'attention d'un ceinture noire. "Au Japon, tu ne ferais jamais ça! Tu viendrais en courant!. Donc fais demi-tour et reviens correctement!"
Vania Benzaquen s'entraîne régulièrement sous sa conduite. "Dans certains clubs au Brésil, les gens s'allongent sur le tatami, discutent et rigolent", confie la judoka de 46 ans. "Avec lui, non".