Ils sont souvent des victimes ignorées. Les enfants témoins du meurtre de leur mère, parfois par leur père, seront désormais pris en charge psychologiquement dès les premiers instants. La justice vient de mettre en place un protocole d'action spécifique pour la Métropole de Lyon et le Rhône.
«…personne encore ne s’en doute, n’y touchez pas Il est brisé ….Toujours intact aux yeux du monde, il sent croître et pleurer tout bas sa blessure fine et profonde, il est brisé n’y touchez pas ».
Le 27 avril dernier, la Procureure générale de la Cour d’Appel de Lyon citait ainsi le grand poète, premier lauréat du prix Nobel de littérature. Ce jour-là était signé le protocole de prise en charge des enfants témoins d’un féminicide. Mais il n’y avait pas de poésie dans la scène générique qu’elle décrivait alors :
« Sa mère vient d’être tuée sous ses yeux ou à proximité par celui avec qui elle vivait, conjoint ou concubin ou compagnon, père ou non de l’enfant. Si cet homme l’a blessé physiquement, l’enfant est immédiatement et spontanément évacué vers l’hôpital le plus proche pour y être soigné. S’il n’est porteur d’aucune blessure physique, il est traditionnellement confié à une voisine ou une parente pour l’éloigner de la scène de crime et l’héberger.
Cet enfant blessé psychologiquement relève pourtant d’une prise en charge médicale adaptée et immédiate pour éviter qu’il ne développe des troubles psychiques, notamment un psycho-traumatisme, blessure plus lourde et handicapante que bien des blessures physiques. »
Sylvie Moisson sait de quoi elle parle. Jeune substitut, sa première scène de crime avait été un féminicide, et elle avait eu à décider du sort des enfants-témoins, des enfants-victimes, ce jour-là.
Le crédo de la magistrate, c'est qu'il faut agir vite, pour coordonner les services de secours, les services hospitaliers, les services sociaux et les services judiciaires. "La blessure psychologique est silencieuse, mais elle est réelle", précise-t-elle. Et dans les cas de féminicides, le procureur de la République est le premier à devoir prendre une décision concernant l’enfant-témoin. « Sans protocole de cette nature, le procureur en sa qualité de premier magistrat garant de la protection du mineur dans l’urgence est nécessairement en difficulté. »
Le dispositif mis en place sur deux tribunaux de la Cour d'Appel permet donc de savoir à qui confier l’enfant, pour combien de temps, dans quelles conditions juridiques et médicales. Il concerne les enfants de moins de 16 ans, avec une adaptation possible en fonction des circonstances.
Concrètement le procureur prend sur le champ une ordonnance de placement provisoire (OPP) sur le fondement de l’article 375-5 du code civil dans le cadre de laquelle il confie l’enfant aux services de l’Aide Sociale à l’Enfance compétents. Il prescrit aussi son hospitalisation immédiate -et pour au moins 72h- vers le service hospitalier partenaire.
Après le féminicide, l'enfant est immédiatement retiré de sa famille pendant une durée de 3 jours (avec suspension provisoire de tout droit de visite), durant lesquels il va suivre différentes évaluations médicales, sociales et psychologiques. "L'enfant a besoin d'espace et de respiration, mais attention, il ne faut pas l'arracher immédiatement, il doit avoir le temps d'enregistrer les situations", ajoute la magistrate.
Une fois les résultats obtenus, l'enfant est confié à un proche de confiance ou à une famille d'accueil, avec un suivi psychologique sur le long terme, adapté à la situation. Et il est précisé que la famille elle-même doit faire l'objet d'une évaluation.
"L'objet de notre protocole, c'est de traiter ces enfants comme s'ils étaient frappés. Ils présentent un état psychique susceptible d'évoluer vers un psycho-traumatisme. Il est donc nécessaire de leur assurer une prise en charge immédiate."
Sylvie Moisson est à l'origine de la mise en place d’un "protocole-pionnier" dès 2008 en Seine-Saint-Denis (93). Ce qui offre un recul suffisant pour en apprécier la valeur, même si l'évaluation du dispositif prendra du temps. "Les enfants peuvent avoir besoin d'un simple soutien pshychologique ou d'un réel suivi psychiatrique", dit-elle. Pour Nathalie Prieto, directrice du Centre Régional du Psycho-traumatisme. "Dans le cas de Bobigny, on a recherché des enfants victimes de féminicides et on a essayé de voir ce qu'ils étaient devenus. Cette recherche a montré une évaluation tout à fait positive et un suivi des enfants qui leur permettaient de retrouver une vie sans trouble et sans altération au quotidien". Le CRP de Lyon sera chargé du suivi du protocole sur le long terme, et de son évaluation.
Le protocole concerne les deux parquets du Rhône, Lyon et Villefranche-sur-Saône. Il aurait pu être mis en place plus tôt sans la crise sanitaire. Sylvie Moisson a ralenti les discussions par égard pour les équipes médicales mobilisées durant la première vague de la pandémie. Et il a fallu revoir les organisations de certains services pour que le protocole ne soit pas qu'une série de bonnes intentions. Il est mis en place pour fonctionner 24h/24 et 7 jours sur 7. Ainsi, les services de l'Aide Sociale à l'Enfance ont-ils adapté leur organisation de week-end pour que la première évaluation puisse être effectuée dans les trois jours de la première prise en charge. Ainsi les pompiers ont-ils été associés pour venir suppléer le SAMU/SMUR en cas de surcharge de ce dernier.
Une extension est envisagée aux tribunaux de la Loire et de l’Ain (St-Etienne, Roanne et Bourg-en-Bresse), les deux autres départements du ressort de la Cour d’Appel de Lyon.
Les partenaires du dispositif de prise en charge des enfants en cas de féminicide.
Le Parquet Général de la Cour d’Appel de Lyon et les procureurs de Lyon et Villefranche.
La Protection Judiciaire de la Jeunesse, qui agit sous la responsabilité des Juges des Enfants et des Procureurs de la République.
L’Aide sociale à l’Enfance, qui dépend de la Métropole de Lyon et du Département du Rhône.
Le SAMU du Rhône, souvent le premier intervenant médical sur les lieux des féminicides.
Le SDMIS, les pompiers suppléant le SMUR quand celui-ci ne peut pas intervenir.
Les hôpitaux (Hôpital Femme Mère Enfant à Bron et l’hôpital de Villefranche).
La cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP). Ce dispositif né des attentats de 1985, a évolué vers la prise en charge des personnes victimes d’un psycho-traumatisme. Les CUMP dépendent de l’Agence Régionale de Santé.
Le Centre Régional du Psycho-traumatisme (CRP). Les centres régionaux du psycho-traumatisme (CRP) sont de création récente et sont désormais bien répartis sur le territoire national. Ils regroupent des équipes de professionnels de la discipline. Ils ont pour vocation d’offrir des lieux d’orientation et/ou de consultations spécialisées pour les personnes victimes de psycho-traumatismes, indépendamment de la nature du traumatisme vécu (physique ou psychique, résultat d’un accident, de violences, de maltraitance…) ou des populations concernées (enfants, adultes, civils, militaires, avec handicap, migrants, …). LE CFR est basé à l’Hôpital Edouard Herriot.