Il serait mort ou caché en République démocratique du Congo. Benoit Chatel, homme d'affaires belge, ancien consul à Nice et Monaco, agent double des services secrets, "fascine" les assises de l'Isère qui le jugent pour complicité dans l'assassinat de deux opposants congolais, il y a 14 ans.
"Une vie de roman", a résumé à la barre le Dr Jean Sabatini, psychiatre lyonnais qui l'avait rencontré en prison en mars 2002. Jugé par défaut, Benoit Chatel est accusé d'avoir fomenté l'assassinat de Philémon Naluhwindja, chef Maï Maï d'une tribu de la région du Kivu, et d'Aimé-Noël Atembina, conseiller militaire du gouvernement congolais à l'époque de Mobutu.
Leurs corps avaient été retrouvés dans une voiture en feu le 29 décembre 2000, à Chasse-sur-Rhône en Isère. Aidé de deux complices, Benoit Chatel aurait organisé l'élimination des "putschistes" pour protéger ses affaires en RDC, selon l'accusation.
Le Dr Sabatini n'a pas caché sa fascination pour ce petit homme "courtois et poli" qui, pourtant, "ne paye pas de mine". Il souligne la "capacité importante de séduction" et l'"intelligence acérée" de ce "manipulateur" au "fonctionnement pervers", qui "exerce une certaine séduction en situation carcérale, ce qui n'est pas commun", de sorte qu'"on se dit: qu'est-ce que ça doit être lorsqu'il n'est pas en prison?"
Benoit Chatel ne fascine pas seulement les médecins, il séduit aussi les policiers. Visiblement gêné de témoigner, le commissaire divisionnaire Jean-Philippe Fougereau, directeur du SRPJ de Reims, l'a qualifié d'homme "intelligent, brillant", qui l'informait sur des affaires de banditisme lorsqu'il était en poste à Toulon.
Sur une écoute téléphonique, Benoit Chatel l'appelle "Jean-Phi" et lui passe un coup de fil le jour-même du crime, ce que le commissaire a oublié. "C'était un informateur avec qui fatalement des liens d'empathie se créent", explique celui qui fut "assez étonné" d'apprendre son implication dans l'affaire de Chasse-sur-Rhône car il ne le voyait pas "commanditaire d'un double homicide".
'Vrai faux-passeport'
C'est Jean-Philippe Fougereau qui introduit M. Chatel à la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE) dont il deviendra un informateur. Car les activités de M. Chatel ne se limitent pas à la France.Entrepreneur en série, il multiplie dès l'âge de 20 ans les sociétés éphémères dans les télécommunications, le textile, les voitures de luxe... Réside en Espagne, à Londres, en Belgique ou sur la Côte d'Azur. Et travaille avec feu Étienne Leandri, un proche de Charles Pasqua.
Fils unique d'un père employé par la compagnie sucrière du Congo, il a passé une grande partie de sa jeunesse dans l'ex-Zaïre où il a eu comme camarade de classe Manda Mobutu, fils du maréchal qui régna sur le pays de 1965 à 1997.
"Il connaissait tout le monde là-bas, c'était incroyable, aussi bien les opposants que le pouvoir en place", raconte son associé Alain Deverini, co-accusé à Grenoble.
Passé maître dans l'art du double jeu, Chatel infiltre les "mobutistes" tout en soutenant le président Laurent-Désiré Kabila et renseigne simultanément les services français et congolais. Marié à une Espagnole, père de deux enfants, il collabore aussi avec la police ibérique puis française sur des affaires de stups, en permettant, selon ses dires, "l'interception d'une grosse livraison de Colombie en lien avec l'ETA".
Ses affaires parfois douteuses lui valent cependant sept condamnations pour escroquerie et abus de confiance, en France et en Belgique. Arrêté en 2006 à Roissy pour violation de son contrôle judiciaire, il déclare aux juges disposer d'un passeport au nom de "Bernard Vidal" délivré par la préfecture de Paris dans le cadre d'une opération liée au trafic de stupéfiants. "Un vrai faux-passeport", estime Me Alain Fort, avocat de Deverini.
Ceux de Chatel le disent mort. La dernière trace laissée par le grand absent du procès est une photo d'avril 2012 qui le montre en RDC aux côtés d'hommes d'affaires et d'un ancien ministre.