Le 53e congrès de la CGT s’est tenu ce lundi 27 mars à Clermont-Ferrand. Alors que la révolte sociale ne fait que grandir en ce début d’année 2023, cette vague de mobilisation entraîne-t-elle un regain d’adhésions aux syndicats ? Nous avons interrogé des militants CGT à Clermont-Ferrand.
"Quand on va aux négociations, on essaie d’obtenir le plus possible", affirme Romain Baciak, secrétaire général du syndicat CGT Michelin à Clermont-Ferrand en Auvergne. Le groupe fabricant de pneumatiques a annoncé en janvier vouloir supprimer plus de 2 300 postes d’ici trois ans en France dont près d’un millier sur le site de Clermont-Ferrand, le siège social. C’est la troisième vague de départ du "plan de simplification et de compétitivité du groupe". Après plus de 21 mois de concertation avec les organisations syndicales pourtant, la volonté du PDG du groupe n’a pas été ébranlée.
De plus en plus de cadres syndiqués à la CGT Michelin
Pourtant, le nombre d’inscrits grandit : "Depuis octobre, on doit être entre 10 et 20 nouveaux adhérents", affirme Romain Baciak. Parmi eux, des ouvriers, des techniciens mais aussi des cadres, de plus en plus nombreux jusqu’à devenir majoritaires au sein du syndicat CGT Michelin. Pas étonnant puisque seulement 11 % des employés du groupe sont en France.
Longtemps, la catégorie ouvrière chez Michelin était majoritaire :" Avant, sur 20 000 salariés, on comptait 25 000 ouvriers. Aujourd’hui, ça s’est inversé", rapporte le secrétaire général. Cette évolution des profils a bousculé les habitudes d’un syndicat dynamisé par les premiers militants :" Les anciens membres de la CGT ont un cran de retard, parce qu’ils n’ont pas pris le temps d’aller voir dans les bureaux. Ils ont toujours appris à travailler avec les ouvriers."
Pour illustrer ce changement, les élections professionnelles auront bientôt lieu. Et pour la première fois de son histoire, trois à quatre cadres figurent sur la liste CGT Michelin: " D'autres se disent prêts à rejoindre l’organisation après les élections" assure Romain Baciak.
Des négociations de plus en plus compliquées
Malgré ce changement de profils, le secrétaire général ne se fait pas d’illusions : "ça ne changera pas grand-chose niveau négociations".
Ça serait mentir de dire qu’on arrive à obtenir beaucoup de choses : lors des négociations annuelles, les cadres sont arrivés avec des revendications plus fortes que ce que la direction demandait. Malgré qu’ils soient majoritaires, ils n’ont pas réussi à obtenir ce qu’ils voulaient.
Romain Baciak, secrétaire général du syndicat CGT Michelin à Clermont-Ferrand
« C’est tout pour les actionnaires, ils récupèrent pas loin de 50 % des bénéfices. Ils reversent les miettes aux salariés », regrette Romain.
Nathalie Niort est secrétaire générale CGT adjointe au département à l’hôpital de Clermont-Ferrand. Quand on lui demande si les récents appels à la mobilisation contre la réforme des retraites ont fait adhérer plus de personnel hospitalier à l’organisation syndicale, sa réponse est tranchée : "Honnêtement non, nous n’avons pas plus d’engagement tout simplement parce que les gens quittent la santé. Il y a un désengagement même de leur profession, parce que les soignants sont épuisés."
Depuis la pandémie, les directions hospitalières peinent encore plus à recruter qu'avant. Avec la pénurie de personnel, la question de la syndicalisation devient secondaire.
« On n’arrive pas à avoir de rapport de force, parce qu’on n’a pas de personnel. C’est ça le problème. On aimerait bien en créer un. » Militante engagée pleinement depuis 2014, Nathalie constate que déjà, il y a 10 ans, il était très difficile de mobiliser: «Dans la santé, l’épuisement se fait sur le long terme et malgré la vocation, on reste des êtres humains comme les autres, et on est plutôt mal traités », fait savoir l'infirmière.
Nathalie y croit encore, au combat des syndicats. Mais elle est consciente que ça ne suffit pas. " A un moment, il faut qu’on motive les gens à se bouger. Ils en ont tellement marre. Je ne peux pas dire que les gens ne font plus confiance aux syndicats, mais à l'hôpital, ils n’ont plus les moyens de faire quelque chose. On a trop de contraintes sur nos métiers".
Tout repose du coup sur des gens encore en poste, pour qui la situation est ingérable. C’est le serpent qui se mord la queue.
Nathalie Niort, secrétaire générale CGT adjointe au département à l’hôpital de Clermont-Ferrand
L’union fait la force
Romain Baciak constate qu'avec le départ en retraite de nombreux anciens, la culture syndicale s'est perdue à Michelin. Et si ce manque essouffle la volonté d'adhésion des militants aux syndicats, ce n'est pas la seule raison.
Une certaine méfiance envers les organisations syndicales existe. Nathalie le reconnaît : " Les syndicats et en particulier la CGT ont une connotation négative, alors que le collectif est neutre de politique. De facto, les gens sont plus à même d’y aller." Elle-même fait partie du collectif Soignants en Danger. Pour autant, elle rappelle que les collectifs ne sont pas reconnus et ne peuvent pas négocier.
Pour Nathalie, les syndicats et les collectifs ne s’opposent pas, au contraire. Alors que les premiers s’occupent des droits des travailleurs, « dans le collectif, on traite plus ensemble de risques psycho sociaux. On a pas les mêmes revendications, mais on est complémentaires", encourage-t-elle.
D’après Romain Baciak, entré à la CGT en 2009, "Pour avoir un rapport de forces, il ne faudrait pas qu’on soit les seuls à appeler." Le rapport de forces ne peut se faire que par l’union: « Nous à la CGT, on a fait une proposition intersyndicale pour les journées de mobilisation. Aucune organisation ne nous a suivis », regrette-t-il.
Les désaccords entre différents syndicats freinent les négociations avec le patronat. La CGT Michelin assure pourtant être ouverte à toutes les organisations. « Lundi 13 mars, on avait bloqué l’entrée de l’usine de Gravanches aux camions. La CGT Michelin assure avoir fait un appel à Sud (Union syndicale Solidaires), la CFE-CGC (Confédération française de l'encadrement) et la CFDT (Confédération française démocratique du travail). "Personne n' est venu", affirme Romain Baciack.
Il rappelle que c’est l’appel à l’union intersyndicale contre la réforme des retraites qui a mobilisé autant de monde dans la rue. Alors, si la culture de la lutte syndicale s'essouffle, il faut d'autant plus s'unir: " Si derrière, nous syndicats, on ne trouve pas de terrain d’entente, on n’arrivera jamais à rien. Il n’y a que par la lutte et l’entente entre syndicats qu’on pourra y arriver ».