Le neurochirurgien et ancien président de la commission médicale de l'ASM Clermont Auvergne, Jean Chazal a écrit un livre sur les dérives du rugby. Blessures, morts après un match, évolution du physique de ces sportifs... Il répond à nos questions.
Jean Chazal, l'ancien président de la commission médicale de l'ASM Clermont Auvergne vient de publier son livre intitulé Ce rugby qui tue, aux éditions Solar. Pour le neurologue désormais à la retraite, il est temps de réunir les acteurs de ce sport autour de la table pour éviter de nouveaux drames.
-Vous êtes un amoureux du rugby, qu'est-ce qui vous a poussé à écrire cet ouvrage ?
"Comme vous le dîtes, je suis un amoureux du rugby, c'est un sport magnifique, probablement le meilleur sport, il occupe les pieds, les mains et le cerveau, en plus il a une identité culturelle qui est un peu la mienne. C'est un sport universitaire. C'est vrai que le titre du livre est un peu choc, un peu provocateur mais ce n'est pas "le rugby" mais "ce rugby". Ce rugby d'aujourd'hui qui tue, et qui tue malheureusement des joueurs mais qui tue un petit peu le rugby lui-même, son identité, son essence, son ADN, ses instances. Tout le monde souffre aujourd’hui, je crois que tout le monde est d’accord."
- Par ce livre votre objectif n’est pas de détruire votre sport que vous aimez, vous l’avez dit et vous dites qu’il faut l’aider à rêver à nouveau...
"On voudrait qu’il nous fasse rêver à nouveau. On dirait qu’au nom du sport business, au nom de la force physique développée, on a perdu de vue l’aspect ludique, la dextérité, l’adresse, etc. Moi je voudrais qu’on revienne à ça et je n’ai pas écrit ce livre pour le détruire, au contraire c’est presque un message d’espoir. D’ailleurs dans l’épilogue je le dis. Il y a un message d’espoir quand même."
-En septembre 2017, vous avez déclaré qu’il y aura un mort un jour sur un terrain de rugby, ce sont vos mots. Vous disiez à l’époque que l’on courrait à la catastrophe et qu’il fallait arrêter le massacre. La catastrophe, elle a eu lieu. En huit mois l’an dernier, quatre joueurs en France ont laissé la vie en pratiquant le rugby. C’est terrible, vous parlez du mauvais roman qu’écrit en ce moment le rugby français...
"Mauvais roman parce qu’il y a eu des morts, et il y en aura d’autres. Le président Bernard Laporte lui-même a dit, ça a fait sourire, ce n’est pas un sport dangereux, pas plus que la pétanque. Il y a eu un mort à la pétanque en un an, au rugby c’est à peu près ça. Mais c’est très approximatif. Et puis ça fait sourire de comparer le rugby à la pétanque, ça n’à rien à voir. Je crois qu’encore une fois il faut remettre les pieds sur terre et il faut regarder les choses en face : ces morts sont en relation directe avec le rugby. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le parquet, c’est l’enquête, ce sont les médecins. Et il a d’autres exemple, il y a des gosses qui sont dans des services de réanimation et qui y sont allés après une hémorragie cérébrale, tout de suite après un match. Il faut mettre tout ça sur la table. Ce ne sont pas des gros mots, ce n’est pas grave de dire ça, au contraire. C’est préparer l’avenir."
-Vous parlez de KO à répétition, de commotions cérébrales, de plaquages hyper violents, de risques mortels. À partir de donnés scientifiques, vous expliquez pourquoi les blessures graves sont en augmentation. Comment on en est arrivé là ?
"Les types sont sur-musclés, prennent des compléments nutritionnels qui les aident à prendre cette masse musculaire, ça va être difficile d’arrêter ça mais on peut faire quand même une morale, une éthique. Notre espèce humaine c’est l’Homo sapiens, un rugbyman de 1,80 m, il doit peser au mieux 85, 90 kg, pas plus. La créatine il faut laisser ça de côté. Il y a toute une réflexion à avoir mais c’est compliqué car il faut mettre autour de la table les instances, les présidents, les joueurs, les familles de joueurs, etc."
-Pour revenir au jeu, il y a quand même des mesures qui ont été prises, plaquage en-dessous de la ceinture par exemple... est-ce que c’est suffisant ?
"Oui, alors c’est une bonne mesure mais si jamais la tête frappe l’abdomen il peut y avoir des contusions du foie, de la rate etc. Ce qui est en jeu ce sont les forces physiques mises en jeu, les différences de gabarit, aujourd’hui des joueurs de 100 kg courent le 100 m à 37 km/h, à 3 km/h du recordman du monde Usain Bolt. C’est inattendu, 100 kilos, lancés à 37 km/h contre un type qui attend pour plaquer, même s’il met la tête du bon côté ben ça fait mal, ça fait très mal."