Les psychiatres sont inquiets. Les soins apportés à leurs patients sont rendus difficiles par le confinement lié à l’épidémie de coronavirus. Le sort de ces personnes fragiles menace de s’aggraver. Au CHU de Clermont-Ferrand, le chef du pôle psychiatrie co-signe une tribune d'alerte.
Triple peine. Malades, stigmatisées par la société, et maintenant oubliées de la crise sanitaire qui touche la France. Les personnes souffrant de troubles psychiques voient leur prise en charge se dégrader avec le confinement imposé à la population suite à l’épidémie de Covid-19. Alors une centaine de médecins lancent un cri d’alerte à travers une tribune qui appelle « à repenser la place de la psychiatrie dans le système sanitaire ». Parmi eux, le professeur Pierre-Michel Llorca, chef du pôle psychiatrie au CHU de Clermont-Ferrand et membre du comité de direction de la fondation FondaMental à l’origine de cet appel.
Bouleversement des soins
Il y a deux ans déjà, le médecin auvergnat tirait la sonnette d’alarme dans son livre « Psychiatrie : l’état d’urgence » co-écrit avec sa consœur Marion Leboyer (publié chez Fayard). Il diagnostiquait un système malade, labyrinthique, non-adapté pour répondre aux besoins de la population. Schizophrénie, anxiété, dépression, autisme, trouble bipolaire… des pathologies légères et passagères aux affections longues et sévères, 12 millions de Français souffriraient pourtant chaque année de problèmes de santé mentale.Pour une partie de ces malades, la crise épidémique du Covid-19 est venue bouleverser leurs soins. Des hôpitaux de jour ont fermé. Des activités ambulatoires ont été arrêtées. Des sorties ont été précipitées pour libérer des lits dans l’éventualité d’accueillir des patients contaminés par le coronavirus SARS-CoV-2. Si les malades ne sont pas totalement livrés à eux-mêmes, leur suivi est désormais plus difficile.
Solitude et précarité
« 80% des consultations se font par téléphone ou visioconférence » au CHU de Clermont-Ferrand, explique le professeur Pierre-Michel Llorca. Les 20% restant, il s’agit de patients qui ne supportent pas la situation et qui ont besoin de venir voir leur thérapeute. Il a aussi fallu renforcer les visites à domicile « pour garder le contact avec des patients qui ont des pathologies assez sévères » précise le psychiatre. Mais la solitude guette. « Les patients psychiatriques sont souvent isolés socialement. Le confinement renforce cet isolement ». Et avec lui, le risque de rupture des soins n’est pas loin. « J’ai envoyé une ordonnance par mail à l’un de mes patients, raconte le médecin, mais il était très anxieux (par rapport au risque de contamination). Il n’est même pas allé chercher son traitement à la pharmacie ».Si l’on ajoute à cela la précarité qui frappe souvent les personnes souffrant de troubles psychiques, on obtient un cocktail dévastateur pour les malades avec un risque de crises aiguës dans le cas de certaines pathologies. « Dans ces situations un peu extrêmes de difficultés d’accès aux soins, ces gens sont beaucoup plus vulnérables » s’inquiète le psychiatre.
Des malades vulnérables
Et les malades psychiques sont vulnérables à plus d’un titre en cette période. D’abord face à leurs propres pathologies, ensuite face au Covid-19. L’obésité, l’hypertension ou le diabète par exemple touche 1,5 à 2 fois plus les personnes souffrant de maladies mentales que le reste de la population. Des facteurs de risque de développement de complications sévères en cas d’infection par le SARS-CoV-2.Les patients psychiatriques sont aussi susceptibles pour certains d’être plus facilement exposés au virus. « Ils peuvent avoir plus de mal à gérer les gestes barrière ou à respecter le confinement » explique le professeur Llorca. La distanciation sociale, le lavage régulier des mains ou la désinfection des surfaces demandent « une hyper vigilance ; ça demande un effort cognitif. Pour la plupart des gens ce n’est pas un gros effort, mais il faut y penser, détaille le médecin. Certains patients ont des difficultés cognitives pour planifier leurs actions, et leurs maladies altèrent la planification des gestes. Leur attention peut se relâcher ». C’est le cas par exemple des personnes atteintes d’autisme, de schizophrénie ou de trouble bipolaire.
Pour d’autres, les consignes peuvent même ne pas être assimilées du tout. « Ils n’arrivent pas à se rendre compte de la nécessité de ces gestes » indique Pierre-Michel Llorca. « Quand vous êtes très déprimé, vous n’arrivez parfois pas à vous occuper de votre hygiène. Vous n’arrivez à rien faire du tout. Vous n’avez plus les ressources pour mettre en œuvre quoi que ce soit ». Les gestes barrière sont alors bien loin des préoccupations de ces malades.