Implanté en Ukraine et en Russie, le semencier Limagrain subit les conséquences de la guerre. Le groupe dont le siège est près de Clermont-Ferrand, préoccupé par la livraison de semences et ses conséquences géopolitiques, essaie de maintenir ses activités dans ces deux pays.
Limagrain, quatrième semencier mondial, subit de plein fouet les contre coups de la guerre en Ukraine. Le groupe dont le siège est à Saint-Beauzire, près de Clermont-Ferrand, est implanté depuis plusieurs années en Ukraine et en Russie. Sébastien Vidal, président de Limagrain, rappelle : « Les principales activités du groupe sur ces deux territoires sont des activités de grandes cultures et aussi une petite activité sur les potagères. Limagrain est présent sur des Business Units à travers Limagrain Europe pour les semences de grandes cultures et à travers Hazera et Vilmorin-Mikado pour les semences potagères. Cela représente à peu près sur les deux territoires 130 millions d’euros pour les grandes cultures et 10 millions d’euros pour les potagères. Ces deux chiffres d’affaires sont répartis pour moitié entre l’Ukraine et la Russie ».
La moitié de la surface semée
Pour le président du groupe, la préoccupation majeure est la sécurité des collaborateurs de Limagrain : « Ce qui nous inquiète le plus c’est la situation de nos équipes. On pense avant tout à nos collaborateurs avant de penser au business. En termes de chiffre d’affaires, aujourd’hui on est en train de livrer des semences, notamment sur l’Ukraine, où une partie des semences a été livrée. Malheureusement les estimations en Ukraine nous font penser que seule la moitié des surfaces voire un peu plus des cultures de printemps (tournesol et maïs) sera semée. L’autre moitié ne sera pas semée, soit parce qu’elle est en zone de guerre, soit parce qu’il n’y a plus les hommes pour faire le travail dans les champs ».
Des collaborateurs soutenus
Sébastien Vidal poursuit : « Je tiens à affirmer que le groupe Limagrain condamne bien évidemment la guerre en Ukraine, sans équivoque et sans aucune retenue. Pour ce qui est de nos personnels, très rapidement, suite à l’invasion de la Russie, nous avons contacté toutes nos équipes. Nous avons 110 collaborateurs en Ukraine. Pour ceux qui le souhaitaient, nous leur avons proposé de quitter le pays. Une solidarité s’est mise en place au niveau de nos équipes en Pologne et en Roumanie. Elles ont accepté d’accueillir les familles de nos collaborateurs. Aujourd’hui, une vingtaine de familles ont quitté l’Ukraine. On a versé une avance sur salaire de deux mois à l’ensemble de nos collaborateurs. Enfin, on a mis en place une couverture santé et prévoyance internationale, pour ceux qui ont quitté le pays, afin qu’ils aient tous les droits dans les pays voisins ». Un projet de développement en Russie est suspendu. Sébastien Vidal souligne : « Pour approvisionner le marché russe en grande culture, on envisageait très sérieusement de construire une usine de production de semences. Aujourd’hui, bien évidemment, le projet est suspendu ».
Des semences bloquées en Mer Noire
Le conflit intervient au milieu de la campagne annuelle de livraison des semences. Elles sont par principe exclues du champ des sanctions internationales. Le président de Limagrain fait le point sur la situation : « Les approvisionnements de semences dans ces deux pays se font par des territoires extérieurs. Cela peut être par la Turquie, par la Hongrie. Aujourd’hui on a une partie de nos semences qui est bloquée dans des bateaux en Mer Noire. On a aussi pris la décision de ne pas faire partir un certain nombre de semences car la difficulté est de les distribuer. Nos distributeurs en Ukraine ont beaucoup de mal à livrer les semences dans les fermes car il y a le risque de prendre une bombe sur la tête ou de se faire attaquer par l’armée russe ».
La question de l'alimentation de certains pays
Sébastien Vidal redoute de graves conséquences si la livraison de semences ne peut se faire : « La livraison de semences est capitale pour une partie du monde. La Russie est un grand pays exportateur. Quand on regarde le développement des pays au Proche-Orient et des pays méditerranéens, il est important que ce pays puisse semer. Demain, c’est simplement la question de l’alimentation pour tous ces pays-là qui va se poser. On ne voit pas forcément toutes les conséquences. Certains pays vont les ressentir assez rapidement, comme le Liban : suite à l’explosion du port de Beyrouth, il a perdu la majorité de ses capacités de stockage. Le Liban était un pays totalement dépendant de l’Ukraine pour les livraisons de blé. Aujourd’hui, il n’y a plus de blé qui sort d’Ukraine. Ces pays-là sont face à une situation qui est totalement inconnue et ils doivent nourrir leur population ». Derrière l’enjeu de la livraison des semences, il y a la question migratoire : « Une population qui n’a pas le ventre plein, qui ne peut pas se nourrir, bien souvent est obligée de se déplacer. Ces populations se déplaceront indéniablement vers l’Europe. J’ai essayé de le dire assez rapidement après le début du conflit à nos hommes politiques. Une partie nous a assez entendus, ainsi que l’ensemble de la profession. Pour certains, la question agricole était peut-être loin mais la question des flux migratoires, notamment vers l’Europe, est centrale. Je pense qu’il vaut mieux assurer une alimentation de ces peuples dans leur pays, plutôt qu’on ait à gérer ces flux migratoires ».
Produire plus de blé
Jeudi 24 mars, le président de la République Emmanuel Macron a défendu l’idée d’un plan d’urgence pour la sécurité alimentaire. Un plan bienvenu selon le président du semencier : « Je pense que c’est un plan qui est nécessaire et important. Les premières mesures ont été prises au niveau européen notamment sur la possibilité de semer sur des terres en jachère en Europe. Mais à l’échelle de notre campagne agricole, cela ne changera rien pour le blé parce que le blé se sème à l’automne et pas forcément au printemps. Le président Macron a tout intérêt à se soucier de mettre en place un certain nombre de mesures par rapport au blé, notamment par rapport à la libération de la production et la limitation des contraintes des moyens de production. Cela pourrait permettre à l’Europe de produire un peu plus de blé pour nourrir ces peuples-là ».
Des conséquences pour les agriculteurs
Sébastien Vidal craint aussi d’autres conséquences du conflit pour les agriculteurs : « Les prix des engrais qui sont nécessaires à la production ont été multipliés par quatre voire par cinq suivant les éléments nutritifs. Le prix du carburant, le GNR, a été multiplié par deux et demi voire par trois, pour les exploitations en France. Sur mon tracteur ce matin, en trois heures, j’ai mangé 200 euros de GNR. Nos coûts explosent. Mais le plus grave est que nos agriculteurs français ne bénéficient pas de la hausse des tarifs tels qu’on peut les voir sur les marchés. Pour la plupart, nos productions sont vendues à la coopérative. Nous, les coopératives, ne construisons pas le prix du blé sur un mois ou deux. On vend au fil de l’eau un certain nombre de volumes. Aujourd’hui les ventes sont totalement réalisées. Les céréaliers et les coopératives céréalières ne bénéficient pas du prix élevé des céréales. On a un effet ciseau entre l’augmentation des coûts et celle des céréales. Personne ne sortira gagnant de cette situation ». Arrivé à la tête de Limagrain fin 2021, Sébastien Vidal connaît là une crise majeure : « La première pensée va vers nos collaborateurs. Après, on essaie de gérer au jour le jour. On a la problématique de livraison de semences. On a aussi la question des flux monétaires à gérer. Une cellule de crise au niveau du groupe a été mise en place. Il ne faut pas céder à la peur mais essayer de garder la tête froide pour prendre les bonnes décisions ». La solidarité s’exprime également par une donation de Limagrain à la Croix-Rouge Internationale et au Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU, à laquelle l’ensemble des salariés du groupe et des adhérents de la coopérative Limagrain ont été invités à s’associer. Le semencier compte plus de 9 000 collaborateurs dans le monde et dispose de filiales dans 57 pays.