Conditions de travail et d’accueil dégradées, manque de personnel, autant de raisons invoquées par les personnels en grève du site Louise-Michel, du CHU de Clermont-Ferrand, depuis mercredi 23 mars. Ils dénoncent une grande souffrance au travail.
Depuis début mars, le site Louise-Michel du CHU de Clermont-Ferrand est amputé de 47 agents, sur quelque 300 personnels soignants : 18 infirmiers, 20 aides-soignants et 9 agents de services hospitaliers, selon les syndicats. Au sein de ce pôle destiné en grande partie à l’accueil des personnes âgées, une grève reconductible a débuté mercredi 23 mars à 6 heures. Emilie*, infirmière gréviste, explique subir ce manque d’effectifs : « Dans mon service, on est déjà en grève depuis 3 mois pour demander des moyens humains et matériels. On demande des remplacements des personnels absents ou des personnels qui ont quitté le service. On demande aussi une augmentation des ratios, le nombre d’agents en poste pour s’occuper d’un nombre donné de patients. Dans mon service, c’est une infirmière et une aide-soignante pour s’occuper de 14 patients. »
"Il y a un sentiment d’insécurité, de mal-être au travail"
Elle raconte que si des postes supplémentaires ont été obtenus, ils ont été rapidement absorbés par l’absentéisme : « On ne voit pas le ratio augmenter, nous ce que l’on veut c’est plus d’infirmières et plus d’aides-soignantes au chevet des patients. Les services sont en grande difficulté avec un absentéisme vraiment délirant, on n’a jamais vu ça sur Louise-Michel. » Le CHU reconnaît dans un communiqué un « contexte complexe lié à l’absentéisme et aux difficultés de recrutement. » Pour le service soins de suite et de réadaptation, la direction affirme que les mesures suivantes ont été mises en place : « 3 postes pérennes d’aides-soignants et 3,6 postes d’agent des services hospitaliers ; augmentation de mensualités de remplacement, pour les postes infirmiers. » et pour le service Monet (USLD, Unité de Soins Longue Durée), « 1 poste d’agent des services hospitaliers. L’effort du CHU s’élève à plus de 280 000 euros annuels sur ses fonds propres. » Le CHU ajoute avoir mis en place un certain nombre de mesures pour l’attractivité et l’amélioration des conditions de travail, pour un montant de 2 millions d’euros en 5 ans.
Pour Emilie, cet absentéisme est synonyme de grande difficulté au travail : « Ca veut dire rappel sur les repos, rappels sur les vacances, changements d’horaires un peu au pied levé… Il y a un sentiment d’insécurité, de mal-être au travail. On ne sait jamais comment on va travailler. L’encadrement fait ce qu’il peut, souvent en faisant venir du personnel d’autres services. Les équipes en place se fatiguent beaucoup plus. On a des gens qui viennent d’un peu partout dans mon service, même pas forcément de Louise-Michel, qui ne connaissent pas l’organisation. Ça peut être tout bêtement les rangements. Ça crée une charge mentale pour l’équipe historique. »
Une "violence institutionnelle"
L’élément déclencheur de la grève : l’annonce d’une fermeture possible de lits en gériatrie, des lits d’hébergement, pour remobiliser le personnel. Une décision qui pourrait, selon Emilie, aggraver la « violence institutionnelle » qu’elle dénonce : « On est en permanence en train de faire des choix, on a moins de temps pour faire des soins. Par exemple pour les rééducations, il faudrait qu’on puisse avoir le temps au quotidien de stimuler ces personnes, de les faire marcher, aller aux toilettes, les accompagner dans leur reprise d’autonomie pour qu’ils puissent rentrer à la maison sereinement. On n’a pas le temps de le faire. Il y a aussi des gens qui sont en fin de vie, qui ont besoin de plus d’attention ainsi que leur famille dans l’accompagnement psychologique. On aimerait pouvoir décaler certains soins, quand la personne est trop fatiguée ou qu’elle s’est enfin endormie. En toute logique, en accord avec nos valeurs. Mais on a tellement peu de temps, on y va quand même, on n’a pas le choix. » Elle dénonce, au quotidien, une « maltraitance pour les patients et pour les soignants ».
"On est dans le stress quand on voit les prescriptions et le travail s’accumuler."
Emilie, infirmière
Elle explique qu’elle voudrait laisser faire eux-mêmes leur toilette à des patients pour leur faire gagner en autonomie, mais qu’elle doit s’en charger, faute de temps. Elle raconte qu’avec ses patients atteints de démence, elle voudrait parler, déambuler dans les couloirs, faire des activités, être présente : « Nous-mêmes, on est dans le stress quand on voit les prescriptions et le travail s’accumuler. Pour nos patients, qui ressentent le stress, ça ne peut qu’aggraver leurs troubles du comportement. On n’est pas suffisamment disponibles. Quand on a par exemple, un patient atteint de démence, désorienté, qui nous dit qu’il doit aller chercher ses enfants à l’école, c’est l’angoisse pour lui ! Normalement on devrait pouvoir s’asseoir avec lui, discuter avec lui de ses enfants, le faire verbaliser. Ce sont des choses qui apaisent. Là on n’a pas le temps. »
"On a beaucoup de gens qui pleurent dans les services"
Cette situation la touche profondément : « Ce qu’on veut faire comprendre aux gens, c’est que si on est en grève, c’est pour nous, mais c’est surtout pour défendre les conditions d’accueil et de soins de nos patients. Ça vaut aussi pour leurs familles, qui ont besoin d’être écoutées. Quand le téléphone sonne, on a le portable calé entre l’épaule et l’oreille, on est occupées et les gens ne comprennent pas qu’on ne soit pas disponibles pour eux. Ils s’interrogent, ont besoin d’être rassurés mais on n’a pas cette disponibilité-là malheureusement. Ça crée des situations de méfiance, voire conflictuelles. L’institution ne nous donne pas les moyens de faire notre travail et attend un résultat. Les arrêts maladie pour épuisement professionnel et les démissions se multiplient. J’ai des tas de collègues qui sont en arrêt, des collègues qui sont sur le fil, on a beaucoup de gens qui pleurent dans les services. Ce n’est pas normal que le travail rende malade. »
Des patients très dépendants
Selon l’intersyndicale, les besoins en personnel du site Louise-Michel sont d’autant plus importants que les patients sont très dépendants : « Les effectifs définis ne correspondent pas à la charge en soins que représente la patientèle. On a essentiellement de la gérontologie, avec 110 lits en unité de soins longue durée. Ce sont des patients très lourds pour lesquels le ratio soignant-patient est bien inférieur à ce qu’il faudrait. Sur l’EHPAD aussi on a des agents en très grande difficulté. On a très peu de patients valides. Alors qu’un EHPAD normal a environ 20% de patients au degré de dépendance maximum, nous, on est aux alentours de 60%. Les infirmiers ont évoqué la crainte de voir leurs collègues commettre l’irréparable, on a même une collègue qui l’a évoqué pour elle-même en CHSCT ! » alerte Didier Giraudet, représentant syndical Sud Santé.
Des fermetures de lit envisagées
Alors, pour alléger la charge de travail, des lits pourraient bien être fermés, selon Didier Giraudet : « La direction envisage de fermer 15 lits tout de suite, dans moins de 15 jours au niveau de l’EHPAD, ensuite une 2ème vague de 15 lits d’ici 2 mois également au niveau de l’EHPAD et en enfin 8 lits supplémentaires, au total 38 lits. Ça c’est ce que la direction a émis. Ils sont en désaccord avec le secteur médical, qui souhaiterait voir fermer des lits de soins de suite et de réanimation car c’est sur ce secteur-là qui est le plus en difficulté. On a dépassé l’alerte rouge, on est en alerte noire sur ce secteur. » Une réunion a été proposée par la direction le 30 mars, mais les organisations syndicales souhaitent modifier l’horaire proposé pour que les agents qui le souhaitent puissent s’y rendre. La grève devrait durer au moins jusqu’à la tenue de cette réunion.
*Le prénom a été modifié