A l’issue du conseil de planification écologique, le président Emmanuel Macron a souligné l’importance d’un "inventaire des ressources minières" en France. Parmi ces ressources, le lithium, métal indispensable aux batteries électriques. Dans le Puy-de-Dôme, un projet de recherche de mines de lithium et hydrogène natif fait polémique. Modalités, risques, enjeux politiques, voici ce que l'on sait.
Le président de la République Emmanuel Macron a appelé à "un grand inventaire de ressources minières" en France à l’issue du conseil de planification écologique, car elles sont "nécessaires à la transition écologique", notamment pour trouver des métaux alimentant les batteries électriques. "On doit disposer d'une carte précise des ressources en matière de lithium, de cobalt qui se trouvent sur notre territoire", a indiqué le président en précisant qu'il allait falloir aussi "regarder précisément les gisements d'hydrogène naturel qui pourraient jouer un rôle majeur pour produire cette énergie du futur".
Une étude dans le Puy-de-Dôme
Du lithium et de l’hydrogène, c’est justement ce qu’espère trouver, dans le Puy-de-Dôme, la société Sudmines. Le lithium, composant essentiel des batteries électriques, est de plus en plus convoité. Trois maires du Puy-de-Dôme ont découvert par hasard l'existence d'un permis de prospection sur leur commune. Mi-septembre, le maire de Vic-Le-Comte a découvert sur Internet qu'une demande de permis avait été déposée par la société Sudmines pour chercher des gisements de lithium et d'hydrogène sur sa commune. Quelques jours plus tard, c'est au tour des maires de Coudes et de Parent, juste à côté, de découvrir qu'ils sont eux aussi concernés par cette demande de permis de recherche de mines, qui couvre, au total, une zone de près de 6 km².
"Les citoyens s'inquiètent de ce qui va se passer pour leur cadre de vie."
Vincent Tourlonias, maire de Parent
Un dossier a déjà été monté depuis fin 2022, il a même été déclaré recevable par les services de l'État, sans que personne sur place n'ait été prévenu. Ils découvrent aussi qu'une consultation publique est en cours mais qu'elle est quasiment terminée. Le maire de Parent Vincent Tourlonias explique : “Personne n'est au courant, aucun des maires n'a été prévenu de quoi que ce soit, Parent ou Coudes. Le sous-préfet ne le savait pas, le préfet ne le savait pas. On a là un dysfonctionnement évident des services de l'État, en tout cas. On ne connaît pas les contours du projet, on ne connaît rien, on ne connaît pas le process qui sera utilisé, l'impact que ça aura sur notre cadre de vie, donc forcément cela amène des inquiétudes et il est bien logique que les Parentais et les citoyens s'inquiètent de ce qui va se passer pour leur cadre de vie.”
La législation en matière de mines n'exige pas l'information des élus locaux pour les demandes de permis. Les élus ont remué ciel et terre pour alerter les ministères concernés. Ils sont passés aussi par la députée de la circonscription, Delphine Lingemann. Le maire de Coudes, Laurys Le Marrec, indique : “Ce qu'on attend surtout, c'est le retour des deux questionnaires qu'on a envoyés aux 2 ministres de tutelle, Roland Lescure et Agnès Pannier-Runacher. En fonction de ça, on pourra prendre des décisions qui soient en cohérence. Est-ce que c'est intéressant d'avoir ce projet ou pas ? Pour l'instant, je suis incapable de répondre sur la dangerosité du projet et c'est ce qui nous intéresse le plus.” Du côté de Vic-le-Comte, la municipalité est sur une ligne plus dure. Elle a voté lundi 25 septembre au soir une motion au conseil municipal pour s'opposer, non seulement à la méthode, mais aussi à la réalisation de ce projet.
"Dans le secteur qu'on a identifié, il y a déjà quelques indices de sources qui présentent des anomalies de concentration en lithium."
Membre du comité de direction de Sudmines
Un membre du comité de direction de la société Sudmines a tenu à rassurer : “C'est un projet d'exploration et pas d'exploitation. Cela rentre dans l'inventaire des ressources du territoire, notamment ce qui a été programmé par le président dans le cadre de la planification écologiquement. L'idée est de participer à certains inventaires des ressources en étudiant le potentiel de lithium en solution sur ce territoire”. Si la société s’intéresse de près à ce territoire, c’est qu’elle a de bonnes raisons de penser que les nappes phréatiques de Coudes, Parent et Vic-le-Comte abritent un trésor : "Ce qu'on vise, c'est la concentration en lithium dans les eaux souterraines. Dans le secteur qu'on a identifié, il y a déjà quelques indices de sources qui présentent des anomalies de concentration en lithium. On a fait des recherches bibliographiques, on voulait cibler un projet de recherche de lithium dans les eaux souterraines. C'est pour ça qu'on a choisi de déposer une demande de permis de recherche sur cette zone.” L’objectif de ce permis de recherche est de confirmer les volumes potentiels de lithium cachés dans les sous-sols, qui sont pour l’heure inconnus : “L’objectif de la recherche est justement de définir ces ressources.”
Des prélèvements
Sur les les premières années, le but est de comprendre le fonctionnement hydrogéologique du secteur et de quel niveau viennent ces sources enrichies en lithium pour ensuite “définir un plan d'échantillonnage des sources existantes, des éventuels forages existants”. A priori, la société s’intéresse à des nappes profondes qui ne sont pas exploitées pour l'eau potable actuellement. Voici comment Sudmines envisage ces recherches : “Quand c'est une source, on prélève la source, quand c'est un forage, soit on introduit une petite pompe, soit un piézomètre. En fonction du diamètre du puits, on peut faire un prélèvement avec des dispositifs manuels, des cuves qu'on descend dans des forages ou des pompes, pour prélever quelques litres.”
Estimer les volumes potentiels
Les recherches s’intéressent à des teneurs de l'ordre de quelques milligrammes par litre de lithium. “Si on a des secteurs intéressants au sein du périmètre que l'on étudie, on pourra passer à une 2nde étape de mise en œuvre d'un forage test. C'est comme un forage d'exploitation d'eau. Cela permet d’estimer le volume potentiel qui pourrait être exploité. Ce forage sera soumis à déclaration ou autorisation selon les volumes. Il sera soumis à une procédure réglementaire environnementale, soit une déclaration, soit une autorisation. A ce moment-là, cela fera l'objet de consultations, de concertations avec les parties prenantes : propriétaires, communes concernées..." Il rappelle : “Le permis de recherche n’ouvre pas le droit à faire les travaux." Le permis, de 5 ans et renouvelable, pourrait donc se limiter à une phase de recherche.
Filtrer l'eau des nappes
Sudmines espère découvrir des concentrations comprises entre 10 et 1000 milligrammes par litre, quantités à compter desquelles la nappe étudiée sera considérée comme intéressante pour une exploitation. Ces volumes détermineront également le nombre de forages nécessaires si exploitation il y a : “On peut avoir besoin de faire un ou plusieurs forages en fonction des volumes. C'est justement l'objet de nos études.” Voici la technique étudiée par la société pour prélever le lithium contenu dans l’eau : “Le principe c'est de faire passer l'eau dans une sorte de de filtre vraiment très fin, avec des résines spéciales conçues pour la microfiltration, pour fixer le lithium. L’eau ressort comme purifiée de ces métaux. Il n’y a pas de produits chimiques qui sont utilisés. Dans une usine de traitement d'eau potable, on extrait les métaux qui peuvent être dangereux. Là, c'est un peu le même principe. Il y aura des tests ou des études à mener pour voir la récupérabilité du lithium qui pourrait être contenu dans ces eaux.” Pour lui, aucun risque de pollution de l’eau n’est à craindre.
Pas de durée définie
Ni les recherches ni la potentielle exploitation n’ont de durée fixée à l’avance : “On part quasiment de zéro, c’est un site où on a quasiment tout à faire. C'est un projet qui pourrait durer 5 à 10 ans. Il y a beaucoup d'étapes à lever avant d'arriver à de potentiels projets d'exploitation. Tout dépend du volume qui aura été identifié. De plus, il est possible que l’eau se réenrichisse en lithium : si on part du postulat qu’elle s'infiltre, puis se charge en lithium, en lessivant des formations géologiques plus ou moins profondes, on peut imaginer que l'eau ait toujours du lithium. Cela fait partie des pistes que l’on explore.”
Pas de nuisances, selon la société
Pour ce qui est des nuisances de voisinage, le membre de Sudmines, rassure : “Sur la phase d'exploration, ce sera uniquement des géologues ou des hydrogéologues qui vont se promener, la plupart du temps à pied. Ils ont besoin de la voiture pour aller d'un bout à l'autre de la zone d'étude. Voilà, ça se limitera là en termes d'impact. Le plus gros impact sera le possible forage qui sera en 2nde phase de la démarche. La nuisance, elle se limitera à un chantier de forage d'eau, une foreuse sur quelques dizaines de mètres carrés et puis un bruit juste sur les heures d'activité, sur quelques semaines de travaux. On ne sera pas plus gênants que des travaux routiers dans une ville ou dans un village. Les impacts de l'éventuelle exploitation viendront dans un second temps. On doit déjà dimensionner le projet avant de pouvoir évaluer les impacts.” Une première réunion de concertation est prévue dès le premier trimestre après l'obtention du permis.
La question de l'usage de l'eau
Mais ce projet ne questionne pas que les élus. Les associations de protection de l’environnement sont également inquiètes, en particulier concernant une éventuelle phase de forage. François Adam, membre de France Nature Environnement, explique : “Le retour d'expérience que nous avons sur les forages pour la géothermie, c’est le risque d'avoir des impacts sur les nappes souterraines d'eau potable, même si on n’en est jamais sûr. D'autre part, pour la mise en œuvre des puits de forage, il faut, d'une manière ou d'une autre, des quantités considérables d'eau. Il risque, à terme, d’y avoir une concurrence en termes d’utilisation de l’eau entre les forages, l’irrigation agricole et le prélèvement d’eau potable. Quant aux produits qui sont injectés avec l'eau, on nous dit qu'il n'y a pas de risques, mais on n'y croit pas”.
"Un forage, ce n'est pas anodin."
François Adam, France Nature Environnement
Il est également inquiet face à la multiplication des projets d’exploration : “Les gens ne le savent pas, mais au fil des décennies, on va octroyer des permis à un certain nombre de sociétés. Là, on est dans le cas d'une start-up, qui essaye de se positionner sur une partie du territoire qui n'était pas couvert par les permis de recherche, mais qui n'a aucune expérience. S’ils trouvent des pourcentages intéressants de lithium ou d'autres choses dans l'eau, le risque est qu’ils revendent leur projet à une multinationale qui serait capable d'apporter des capitaux.” Il alerte également sur les risques sismiques des forages : “Un forage, ce n’est pas anodin. Il y aura un impact au niveau du bruit, au niveau du paysage, des choses comme ça. S’il faut faire une plateforme, cela pourrait aussi avoir une incidence sur la faune et la flore présente sur le lieu choisi. Il y aura un éclairage pendant toute la nuit sur le site de forage. Ce n'est pas négligeable pour la faune. Mais le plus gros impact, c'est au niveau des nappes souterraines d'une part et c'est au niveau des micros-séismes, comme toute installation de géothermie provoque immanquablement, d'autre part.”
La fin de la consultation repoussée
Cependant, pour lui, la phase de recherche n’est pas inquiétante, même si les consultations posent question : “Actuellement, ils parlent juste de faire quelques petits prélèvements dans les puits ou les forages existants. Ils parlent éventuellement de faire un carottage ou 2 et ça, effectivement ça n’a pas un grand impact. Ce qui pose aussi problème, ce sont ces consultations que nous appelons nous “clandestines” sur les sites ministériels. Quand on lit ce que dit le dossier, Sudmines ne dit pas qu'elle ne veut pas informer les élus, on ne nous dit pas qu'il n’y aura pas de réunions d'information, mais c’est dit dans le dossier que ça arrivera quand elle aura eu un permis de recherche. Et quand elle dit ça, elle respecte le texte en vigueur aujourd'hui.” Suite aux réactions des élus, la fin de la consultation est repoussée au 9 octobre.