Sécheresse : comment des agriculteurs irriguent leurs champs grâce aux eaux de la station d'épuration de Clermont-Ferrand

Alors que les épisodes de sécheresses se multiplient, en Auvergne, des agriculteurs utilisent une partie des eaux usées de la station d'épuration de Clermont-Ferrand pour irriguer leurs cultures. On vous explique comment.

L'essentiel du jour : notre sélection exclusive
Chaque jour, notre rédaction vous réserve le meilleur de l'info régionale. Une sélection rien que pour vous, pour rester en lien avec vos régions.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "L'essentiel du jour : notre sélection exclusive". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Ces agriculteurs du Puy-de-Dôme ont peut-être trouvé une solution pour résister à la sécheresse, qui touche durement les cultures ces dernières années. Depuis 25 ans, une cinquantaine d’exploitations de la Limagne réutilisent les eaux usées de la métropole de Clermont-Ferrand pour irriguer leurs parcelles. L’idée a germé dans l'esprit d'un agriculteur du Puy-de-Dôme. Lors d’un voyage, il a expérimenté la réutilisation d’eaux traitées et a souhaité la reproduire. C’est ainsi qu’est née l’asa Limagne Noire, désormais présidée par Christophe Cautier, qui exerce dans le secteur de Saint-Beauzire : “Sur le périmètre, on est assez loin du lac d'Allier, qui est le principal point d’irrigation dans le département. On a seulement quelques petits ruisseaux. Avec la station d'épuration de Clermont-Ferrand et les bassins de la sucrerie de Bourdon qui étaient juste à côté, il a eu l'idée de réutiliser les eaux usées pour l’irrigation.”

Des "volumes conséquents"

A cette époque, la réutilisation d'eaux traitées en France n’en était qu’à ses balbutiements. “On parlait d’un système assez grand quand même, avec des volumes conséquents”, raconte Christophe Cautier. Un projet pilote de 50 hectares est mis en place, avant la réalisation définitive de l’installation du réseau d’irrigation Limagne Noire en 1998. “Cela fait maintenant 25 ans qu'on travaille avec les eaux traitées de la station d'épuration de Clermont Métropole.” Christophe Cautier se félicite de la qualité de l’eau utilisée : Une station d'épuration, aujourd'hui en France, rejette de toute façon l’eau dans le milieu naturel. La station de la métropole, qui a été refaite il y a maintenant une dizaine d'années, a un rendu de très bonne qualité. C'est une station d'épuration de dernière génération. Les sorties d'eaux de la station d'épuration respectent des normes en vigueur en France qui sont draconiennes. Il n’y a qu'un point qui n'est pas à 0, c'est l'aspect bactériologique.”

Une épuration naturelle

Alors, pour finir d'épurer l’eau, l’asa Limagne Noire a opté pour une solution naturelle : “On se sert des anciennes lagunes de la sucrerie de Bourdon qui sont utilisées pour faire un lagunage naturel. C'est sur 8 bassins où l'eau chemine de bassin en bassin. Elle séjourne environ une dizaine de jours dans ces bassins à l'air libre et surtout, avec les rayons UV du soleil, on obtient un abattement bactériologique qui nous permet de la réutiliser. On a des eaux qui sont proches des normes baignade. Aujourd'hui, des zones d'irrigation qui sont proches des normes baignade, il n’y en a pas beaucoup en France », explique Christophe Cautier. Une fois le processus terminé, l’eau est acheminée jusqu’aux cultures via un réseau d'irrigation commun à tous les agriculteurs : “On a une station avec 5 grosses pentes. Elles remettent l'eau en pression et on distribue ça à nos agriculteurs, via des vannes qui sont au coin des parcelles », explique Christophe Cautier.

De nombreuses cultures irriguées

Les cultures sont alimentées par plus de 50 km de canalisations dirigées vers les parcelles. Limagne Noire, c’est une cinquantaine d'exploitations qui sont utilisatrices des eaux traitées. ”La surface représente environ 1 500 hectares irrigables ", précise Christophe Cautier. Il s’agit majoritairement de semences mais il y a également ce que l’on appelle de grandes cultures : « C'est le blé, c'est le maïs, c'est le tournesol. Il y a 20 ans de ça, quand on parlait d'irrigation, on parlait du maïs en été. Maintenant, malheureusement, on est bien souvent obligé d'en parler aussi au printemps, parce qu'on n'a pas assez de pluviométrie. Le tournesol, normalement, il n'est pas irrigué. Ce n'est pas une culture qu'on irrigue beaucoup, mais il peut recevoir aussi une irrigation si les conditions climatiques sont sèches. Il faut bien se dire que, de toute façon, toutes les cultures que l'on a ont besoin d’un minimum d'eau pour donner un potentiel correct. On a aussi de la grande culture légumière, principalement des pommes de terre et oignons qui sont cultivés sur le périmètre de l'asa Limagne Noire. On a un petit peu de maraîchage mais l'utilisation de cette eau en maraîchage se fait davantage au printemps pour faire lever des cultures. On ne va pas utiliser l'eau traitée pour arroser, mettons, des salades par aspersion. Ça sera plus dans le cadre de maraîchage.” 

Surmonter les sécheresses

Les effets du changement climatique pèsent de plus en plus lourd sur les cultivateurs. L’année 2022 a été l’une des plus sèches. Les précipitations sont largement en-dessous des normales, comme l'indique l'infographie ci-dessous :

 

Alors, réutiliser les eaux épurées représente, pour ces exploitants, l’assurance que leurs cultures ne manqueront pas d’eau malgré les années de sécheresse qui se profilent : "C'est une garantie. Je considère que tant que les Clermontois auront de l'eau, nous, en arrivant derrière, on en aura. On prend une partie de ce qui sort de la station, on prend à peu près un tiers en période d'irrigation. A ce titre-là, c’est une ressource qui est pérenne. On n’aura pas d'eau le jour où les Clermontois n’auront plus d’eau au robinet. C'est un des leviers qu'on a aujourd'hui face au changement climatique”. En effet, les adhérents n’ont, pour l’heure, jamais été soumis à des restrictions d’irrigation même en période de sécheresse : “On est moins impactés par la sécheresse. Quand il y a eu des restrictions sur le département les années passées, on n'a pas été concernés comme on ne puise pas dans le milieu naturel.” 

"On ne peut pas s'agrandir"

Et le modèle fait des émules. De nombreux exploitants se montrent intéressés par ce système d’irrigation qui, pour l’heure, ne peux pas être étendu : “On est confrontés à un problème : notre réalisation a été conçue, à la base, pour 1 500 hectares. Les conduites, la station de pompage, les lagunes sont calibrées pour irriguer à peu près 1 500 hectares. Dans l'état actuel des choses, on ne peut pas s'agrandir. Mes adhérents souhaiteraient avoir un peu plus d'eau et les non adhérents souhaiteraient aussi avoir de l'eau, mais on est bloqué. Il faudrait faire une autre installation, recréer un autre réseau. On a de la demande mais ça exigerait de trouver des sites avec 15 ou 20 hectares de bassins pour épurer de l'eau, proche de la métropole, pas trop loin d'une station d'épuration, c'est compliqué”, regrette Christophe Cautier.  

Quel modèle économique ?

Ce modèle est également viable économiquement puisqu’il ne coûte pas plus cher qu’un système d’irrigation traditionnel, selon Christophe Cautier : « Financièrement, ça nous coûte les frais d'infrastructure du réseau d'irrigation. Clermont Métropole ne nous fait pas payer l'eau mais, avec les pompes, c'est le prix de l'électricité qui peut devenir un problème très important. Il y a également l'entretien des réseaux, parce que 50 km de canalisation, ça s'entretient. Une irrigation va nous coûter autour de 450€ l'hectare. Je dirais qu’on se trouve dans la moyenne des coûts d'irrigation. On ne paye pas de redevance, l'Agence de l'eau considère que cette eau a déjà été taxée donc ils ne veulent pas la retaxer. A contrario, à côté de ça, on a tout un tas de frais annexes que les collègues irrigants n'ont pas. On a un comité de suivi et on a un suivi bactériologique, c'est à dire que toutes les eaux d'irrigation sont analysées tant sur les bassins qu'au niveau du point d'usage. C'est demandé par la réglementation et ça a un coût." Il ajoute : “Les analyses sont faites par un laboratoire assermenté avec certaines normes et on n'a jamais eu le moindre problème de qualité,  épidémiologique ou sanitaire. »

Les réserves de France Nature Environnement

En effet, l’eau doit selon lui respecter une charte de qualité très stricte : “Il y a tout l'aspect réglementaire qui est quand même quelque chose d'assez lourd et on a une nouvelle réglementation européenne qui va être mise en pratique, peut-être pas cette année mais l'année prochaine, qui est aussi très exigeante.” 

Malgré cette réglementation, certaines associations comme France Nature Environnement émettent des réserves quant à la qualité de l’eau : “A la sortie de la station, certains résidus médicamenteux, des métaux lourds ne sont pas traités. Forcément, on en trouve dans les eaux d'irrigation. Ce qui n'empêche pas des entreprises labellisées Nature et Progrès d'utiliser le réseau de l’asa Limagne Noire », dénonce Adam Jacques, chargé du dossier Asa Limagne Noire pour l’association. Il précise : “La responsabilité est grandement partagée par la métropole qui n'a jamais été exigeante au niveau des établissements susceptibles de mettre dans le réseau des eaux usées un certain nombre de rejets. Je pense à l'ensemble des établissements hospitaliers privés ou public ou les labos d'analyse médicale ou des choses comme ça. Tout arrive à la station d'épuration. Il y a une incitation forte à réutiliser ces eaux et cela peut être une bonne idée, mais ça dépend encore une fois du traitement qu'on fait subir pour avoir le moins de persistance de molécules indésirables possible.” 

Des recherches sur les métaux lourds et micropolluants

Mais la métropole balaie ces préoccupations. Selon Carine Bernard, chargée d'animation et de communication au sein de la direction du cycle de l’eau, en sortie de station d’épuration, toutes les normes sont respectées : “Sur la question des métaux lourds, on en a très peu sur la zone de Clermont parce qu'on a peu d'industries lourdes. On fait des recherches de métaux lourds, surtout dans les boues de station d'épuration. Une grande partie des métaux lourds sont piégés dans les boues de station d'épuration. Et sur cette question des métaux lourds, on est très en deçà des seuils réglementaires. On fait aussi des analyses sur les micropolluants qui pourraient perdurer dans l'eau. On a des campagnes d'analyse en sortie de station d'épuration. Je ne dis pas qu'il n’y en a pas du tout mais on a suivi très réglementé. Sur les micropolluants qu'on recherche en sortie de station d'épuration, il y a aussi un certain nombre de médicaments qui sont listés. Il faudrait que les techniques d'analyse évoluent pour qu'on puisse aller quantifier de vraiment toutes petites quantités, c’est pour cela qu’à ce jour, il n'y a pas d'obligation de traitement de ces micropolluants.”

Pour l’heure, le modèle fonctionne et permet aux exploitants de limiter l’impact de la sécheresse sur leurs cultures. Pour rappel, la France  a battu le record de 32 jours sans pluie entre le 21 janvier et le 20 février, du jamais vu tous mois confondus depuis le début des enregistrements en 1959.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information