Une leçon de vie. A 37 ans, François est membre des Alcooliques Anonymes de Clermont-Ferrand. Il raconte comment il a touché le fond mais aussi comment il s’est reconstruit grâce à ce groupe de parole.
« La première fois que j’ai goûté à l’alcool et au cannabis, je devais avoir 12 ans ». C’est par ces mots que François, 37 ans, qui habite dans les Combrailles, dans le Puy-de-Dôme, raconte sa longue dépendance à l’alcool et à la drogue. Il parle sans tabou de ces années noires, n’épargnant aucun détail. Cet électricien dans le bâtiment confie comment tout a débuté : « J’ai commencé à boire très tôt. J’ai très vite commencé à rajouter des drogues douces puis dures. Au début c’était essentiellement les week-ends. Quand je suis parti du nid familial vers 18 ans, j’ai pu faire ce que je voulais donc ça a été un peu plus régulier, avec ce phénomène d’en vouloir toujours plus, que ce soit pour l’alcool ou les drogues. Quand je démarrais, je n’arrivais pas à m’arrêter. Très vite, j’ai commencé à développer un phénomène de trou noir. Je m’endormais et j’avais des black-out. Au début, ça durait un quart d’heure mais à la fin ça pouvait durer un week-end : je ne me rappelais plus de rien. Je me souvenais que j’avais fait de la m... Quand j’ai commencé à boire, c’était avec des amis, un peu pour faire comme tout le monde. Au début, je buvais de la bière, puis c’est devenu du vin, puis les alcools forts. Sur la fin de ma consommation, c’était essentiellement du vin, de la bière. Quand je voulais aller plus vite, je passais à l’absinthe ou au rhum ».
Une consommation quasi-quotidienne
François a connu des périodes plus ou moins sombres : « La période la plus critique était autour de mes 28-29 ans. Ma copine de l’époque m’a quitté. On va dire que j’ai eu une bonne occasion de boire. Là, c’était une consommation quasi-quotidienne. Je prenais de la cocaïne tous les jours. C’était catastrophique. Je ne me rappelais plus de ce que j’avais fait. Avant ça, je buvais la semaine et les week-ends. C’était davantage de manière festive. Je suis dans le bâtiment et on buvait du rosé le matin par exemple. Le problème est que les gars en buvaient un et moi j’en buvais dix. Après, une fois que ça avait démarré, il était impossible de s’arrêter. J’ai commencé à toucher le fond ». Il évoque une consommation régulière : « La consommation d’alcool avait plutôt lieu le soir. J’arrivais un petit peu à me tenir au boulot parce que je me rendais bien compte que c’était n’importe quoi. Sauf pour la cocaïne. Sur la fin, j’en prenais toute la journée. Ma consommation d’alcool commençait le mardi ou le mercredi, avec l’apéro avec les copains. Quand je démarrais, je n’arrivais plus à m’arrêter. Je n’ai jamais stoppé le boulot. Je suis arrivé bien souvent saoul. J’ai été sermonné par mon patron. J’avais des copains de beuverie. Je passais un coup de téléphone et j’allais boire avec eux ».
Boire sans véritable raison
Sa dépendance à l’alcool a pris une importance colossale dans sa vie : « Une bonne journée de week-end où je ne faisais rien de spécial, je buvais trois cubis de rouge par jour. Je me levais, j’allais à la superette acheter un cubi, une andouillette. Je commençais à me faire un petit coma vers 14 heures. Je retournais là-bas. Je rebuvais un cubi. Je retombais puis j’y retournais avant la fermeture ». François avoue ne pas savoir pour quelle raison il buvait : « Je me rendais bien compte que j’étais complètement arraché mais je n’en avais pas vraiment conscience. Plein de gens m’ont fait remarquer que j’avais sûrement un problème avec l’alcool. J’avais cette consommation à outrance. Je ne sais pas pour quelle raison je buvais. Même si je le savais su, je ne pense pas que ça m'a aurait beaucoup aidé ».
Des réveils chaotiques
L’électricien se rappelle des moments difficiles qu’il a vécus : « Je me suis réveillé sous perfusion au CHU. Je me suis réveillé avec des arcades défoncées. Je me suis réveillé avec des gens que je ne connaissais pas chez moi. Ma compagne de l’époque m’a quitté car elle n’en pouvait plus de l’alcool. Ma famille ne voulait plus m’inviter à manger parce qu’elle ne savait pas dans quel état j’allais terminer. Ca devenait assez critique ». Il réalise aujourd’hui qu’il a beaucoup perdu à cause de l’alcool : « Je travaillais toujours donc je ne me suis pas mis en danger financièrement. J’avais les moyens de ma défonce. Mais je réalise les sommes phénoménales que j’ai mis la dedans… ».
"J’ai fait les pires conneries avec l’alcool mais j’ai la chance de me souvenir que de la moitié"
La vie de François a changé il y a 7 ans, en intégrant une réunion des Alcooliques Anonymes. Il souligne : « Au bout d’un moment, j’en ai eu marre de me casser la gueule, de me réveiller le lundi matin sans savoir ce que j’avais fait, de voir mes proches qui pleuraient. J’ai fait les pires conneries avec l’alcool mais j’ai la chance de me souvenir que de la moitié. J’ai poussé cette porte des Alcooliques Anonymes. Je ne sais pas forcément pourquoi, peut-être pour calmer ma compagne de l’époque. J’y suis allé et pour une fois, j’ai trouvé des gens qui me comprenaient et qui étaient comme moi. Ils parlaient de l’alcool avec le sourire. Ca a changé ma vie. Ils racontaient leur vie mais en fait ils parlaient de ma vie. Ils évoquaient ce démon de l’alcool qui fait qu’on ne peut pas s’arrêter quand on commence à boire ».
François évoque le concept des 24 heures, très important chez les Alcooliques Anonymes : « Lors de la première réunion, on m’a parlé des 24 heures, c’est-à-dire un jour à la fois. J’avais déjà fait des tentatives pour arrêter de boire mais je retombais dans l’alcool. On m’a dit d’essayer un jour à la fois, de ne pas boire, juste pour aujourd’hui. Un jour à la fois fait que cela fait quelques 24 heures que j’ai réussi. On dit qu’on peut prévoir mais pas prévivre. Mon problème est que je prévivais les instants avant qu’ils ne se produisent ». Le trentenaire explique qu’il a pu être sevré sans l’aide d’un médecin : « J’ai décroché de l’alcool et de la drogue en même temps. Je n’ai pas eu besoin de soutien médical parce que j’ai passé énormément de temps dans mes consommations à arrêter l’alcool et à passer à d’autres formes de stupéfiants à côté, à arrêter une certaine forme de stupéfiants pour en prendre d’autres, que ce soit des amphétamines, de la MDMA, de l’ectasy, du LSD. Au final c’était « Las Vegas parano ». Je prenais tout en même temps. En allant voir un médecin, j’avais peur qu’il me fasse prendre un produit qui ne ferait que s’ajouter à ce que je prenais déjà ».
Le rendez-vous du mardi 20 heures
François s’amuse à raconter comment il a dû changer ses habitudes : « Quand j’ai arrêté de boire, j’ai même dû changer la promenade du chien car quand il passait devant un troquet où j’avais mes habitudes, il rentrait et allait s’asseoir derrière le bar ». Désormais, le rendez-vous du mardi 20 heures auprès du groupe des Alcooliques Anonymes de Clermont-Ferrand est devenu incontournable. L’électricien décrit le fonctionnement d’une réunion : « Dans une séance, on est tous autour d’une table. On va parler d’un thème suggéré. On parle chacun à notre tour. Il y a un modérateur qui transmet la parole à celui qui désire parler. On parle chacun à notre tour, sans s’interrompre. On parle de tous nos problèmes, du moment que ça a un rapport avec l’alcool. On dit que l’alcoolisme est la maladie des émotions. J’ai pu constater que pendant des années, je n’ai jamais su gérer mes émotions. Pour les gérer, je consommais de la substance. Je vais chez les Alcooliques Anonymes pour vider mon sac, pour parler de mes problèmes. Ca aide, ça fait du bien. On a une méthode de rétablissement en plusieurs étapes. La séance dure 1h15 à 1h30 environ ». Il précise : « Ce n’a pas été un déclic en une seule fois mais un déclic au fur et à mesure. Je me suis rendu compte que l’alcool est juste un symptôme d’une détresse bien plus profonde. C’est pour cela que ce programme permet de faire un travail nécessaire pour garder cette sobriété, tant au niveau de l’alcool qu’au niveau des émotions. Si on n’arrive pas à gérer ses émotions, ça va forcément nous rapprocher de la bouteille ».
Il y a des choses qui restent qui font que je suis alcoolique à vie
François, membre des Alcooliques Anonymes
Au sein des Alcooliques Anonymes, c’est surtout le phénomène d’identification qui fonctionne en premier lieu : « J’ai ressenti le fait d’être compris. Il m’a fallu beaucoup de temps avant de réussir à parler. Je ne me sentais pas à l’aise, j’étais un peu timide. Le fait de voir des gens qui avaient le même problème que moi, qui s’en étaient sortis m’a rassuré. A peine j’avais passé la porte, on m’a donné un petit papier jaune où il y a les principes qui sont expliqués, et des numéros de téléphone d’amis à appeler, de jour ou de nuit, en cas de besoin. Maintenant j’ai des amis qui m’appellent et qui expliquent qu’ils ont envie de boire. Juste le fait de pouvoir décharger nous aide. Ce sont des choses qu’on n’a pas forcément apprises dans mon éducation ». Malgré son abstinence, les tentations sont parfois grandes : « Il y a des réflexes qui restent perpétuellement. Par exemple, quand ma fille est née, je me rappelle avoir fait un biberon de lait en poudre et je me suis retrouvé à gratter le lait en poudre sur la table. A la fin d’une journée de boulot, l’été, quand il y a un petit courant d’air, j’ai le goût du demi de bière qui me vient dans la bouche. Il y a des choses qui restent qui font que je suis alcoolique à vie. On est tous à la même distance d’un verre, à peu près un avant-bras. J’essaie de rester prudent, de m’éloigner de tout ça. C’est très subtil, on dit que l’alcool est puissant, déroutant et sournois. J’ai pu le constater. Il est beaucoup plus difficile de décrocher de l’alcool que de la drogue, parce qu’on en a partout. Il y en a à tous les coins de rue. Les gens ne comprennent pas forcément. On dit souvent qu’il n’y a qu’un alcoolique pour comprendre un alcoolique ».
"Aujourd’hui l’alcool me laisse tranquille"
Désormais, François est abstinent depuis 7 ans. Il est conscient du chemin parcouru : « Aujourd’hui l’alcool me laisse tranquille. Je sais qu’au niveau émotionnel, si je ne fais pas attention pour gérer mes émotions, le petit vélo se met en marche. Après c’est foutu : je vais faire du ressentiment, de la colère. J’ai besoin de ces réunions pour décharger. Le fait d’entendre des amis parler de leurs problèmes m’aide à avancer. J’ai une marraine dans le mouvement, des amis que je peux appeler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. J’essaie de me tenir loin de l’alcool, de conserver ma sobriété émotionnelle, même si ce n’est pas toujours facile ». Il souligne à quel point il a besoin d’aller dans son groupe de parole : « J’irai à ces séances sans doute à vie. Mardi, par exemple, j’avais passé une mauvaise journée à cause d’histoires de famille, de boulot. En arrivant à la réunion, on fait une minute de silence pour l’alcoolique anonyme qui souffre encore ou qui nous a quittés. Juste cette minute de silence m’apaise. C’est le temps de se poser, de prendre le temps d’écouter les autres. Pendant le confinement, les réunions physiques se sont arrêtées et on avait des réunions en visio. Il manquait vraiment quelque chose. J’ai senti les émotions qui remontaient. J’étais à fleur de peau, j’étais tendu. Autour de la table, j’ai dit des choses que je n’ai jamais dites à d’autres ».
Une lente métamorphose
Ses proches ont pu assister à sa lente reconstruction : « Au mariage de ma cousine, j’ai fait n’importe quoi. J’étais dans l’alcool et j’ai fini par taguer son chien. Elle ne voulait même plus me confier le chien à garder. Aujourd’hui, je suis le parrain d’une de ses filles. Sans qu’on en parle, ce changement s’opère en nous. Nos proches le voient. J’ai mis longtemps à dire à ma famille proche que je venais aux réunions des Alcooliques Anonymes. Ils s’en sont bien rendu compte. Ca prend énormément de temps de se reconstruire. Je suis content de pouvoir leur montrer que je suis abstinent et que j’avance sur ce chemin-là ». Aujourd’hui, le trentenaire est reconnaissant envers ce groupe de parole qui a changé sa vie : « Je ressens énormément de gratitude envers ce mouvement. Si j’avais continué sur cette voie, j’avais trois choix : l’hôpital psychiatrique, la prison ou la mort. Aujourd’hui, j’ai une maison, deux enfants, un travail. Le mouvement m’a apporté de l’aide et une certaine forme d’humilité car j’ai su admettre que j’étais impuissant face à l’alcool. Je ressens de la fierté quand je vais aider des alcooliques. Chez les Alcooliques Anonymes, il n’y a pas de chef mais que des serviteurs. Je suis représentant des services généraux, élu pour deux ans. Je fais le lien entre le groupe de Clermont-Ferrand et la région, la France ».
Une association indépendante
François rappelle : « L’association n’est associée à aucune confession, secte ou parti religieux. C’est totalement indépendant. On se finance par nos propres contributions. Les dons sont limités. On essaie vraiment de rester indépendants. Notre but premier est d’être abstinent et d’aider d’autres Alcooliques Anonymes. Cela fonctionne depuis les années 30 et ça a aidé des millions de personnes à se rétablir ». Désormais, François est père de deux enfants. Il ne compte rien leur cacher : « Je leur parle déjà de l’alcool. Ils savent que papa n’a pas le droit de boire. Une fois, ma fille jouait à la dinette. Elle a demandé si je voulais boire un verre de vin puis elle a réalisé que je n’avais pas le droit. Puis elle a dit que je pouvais boire car c’était un jeu. Plus tard, je serai extrêmement vigilant avec eux car je n’ai pas envie qu’ils reproduisent le même schéma que moi ». Aujourd’hui abstinent, le trentenaire insiste : « Le plus dur ce n’est pas l’alcool mais les émotions ».
Pas de jugement
Fabrice, 52 ans, a lui aussi franchi la porte des Alcooliques Anonymes. C’était en 2005. Il affirme : « On n’est pas jugés. C’est le désir d’arrêter de boire qui fait la seule condition. Il m’est arrivé d’aller à des réunions d’Alcooliques Anonymes après avoir bu. Je n’ai jamais été jugé par qui que ce soit. Même dans ces moments-là, j’ai pu m’exprimer ». Il a pu assister à la métamorphose de François au sein du groupe de Clermont-Ferrand : « J’ai vu arriver François. Je l’ai vu changer. C’est l’une des choses les plus magnifiques que je peux vivre aux Alcooliques Anonymes, de dire bonjour à un nouveau avec un grand sourire. J’ai le sourire parce que je sais ce que je vis aujourd’hui. On voit les nouveaux avec leur vie matérielle, familiale, professionnelle qui s’arrange tout doucement. C’est magnifique ».
Les réunions des Alcooliques Anonymes ont lieu à Clermont-Ferrand tous les mardis à 20 heures, 32 rue du Solayer. D’autres séances sont programmées dans des communes de la région Auvergne : la liste des réunions est accessible en ligne.
Selon des données de Santé Publique France, 23,6 % des personnes de 18 à 75 ans dépassaient les repères de consommation en 2017. Pas moins de 41 000 décès sont attribuables à l’alcool dont 30 000 chez les hommes et 11 000 chez les femmes.