A l’âge de 94 ans, Valéry Giscard d’Estaing vient de disparaître. Qu’il ait été ministre, maire, président de Conseil régional ou président de la République, il a gardé toute sa vie un profond attachement à l’Auvergne.
 

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"Je m'adresse ici à vous dans la mairie de cette province d'Auvergne pour vous dire que je suis candidat à la présidence de la République française". En 1974, Valéry Giscard d'Estaing affirme son ambition et sa volonté : devenir à 48 ans, le successeur de De Gaulle et Pompidou. Ce jour-là, il a en en main tous les atouts d'un destin présidentiel : une ascension politique nationale, doublée d'un ancrage local. Il n'est pas né en Auvergne, mais à Coblence en Allemagne en 1926. Inspecteur des Finances à 25 ans, ce jeune énarque et polytechnicien, discret mais pressé, franchit les portes du pouvoir. Il est nommé secrétaire d'Etat à 33 ans puis ministre des Finances en 1962. Parallèlement, il devient député du Puy-de-Dôme en 1956, dans la lignée de ses arrière-grand-père et grand-père, Agenor et Jacques Bardoux puis conseiller général et maire de Chamalières. Un parcours de parfait notable qui dispose déjà d'un fief électoral en Auvergne.

Des émissions de télévision

Dans les années 70, il sera le premier homme politique à participer à des émissions que l’on n’appelait pas encore people. Pour VGE, l'après gaullisme a commencé. Il veut incarner l'homme de la modernité, de la proximité pour une France qui gagne sur tous les terrains. Le 19 mai 1974, après six semaines d'une campagne éclair, Chamalières, entre la messe et la pétanque, vote pour un président, mais va perdre son maire. Giscard est élu avec 50,8 % des voix et l'annonce au monde entier. Le plus jeune président de la Vème République célèbre la victoire en marchant. Depuis le début des années 60 il a accompli son destin sous le regard de son père. Ce dernier affirme : « Tu as des dons extraordinaires mais ce qui est important est que tu sois digne de tes dons et que tu sois digne des succès que tu remporteras. Ce n’est pas tout de remporter un succès, c’est quasi rien, c’est facile. Mais d’entre être digne, de le supporter, d’avoir les épaules assez solides et le cœur assez ouvert. Ca c’est beau ». Un mois après son élection, VGE revient chez les siens à Rochefort-Montagne. C'est encore l'allégresse. Jusqu'ici, il n'a jamais envisagé l'échec ou la défaite. Mais l'éditorialiste du septennat, Alain Duhamel notera que Valéry Giscard d'Estaing a été élu pour la première et la dernière fois à l'Elysée.

La défaite de 1981

Après sa défaite du 10 mai 81, la mise en scène de son départ est restée dans les mémoires, politique et télévisuelle. Elle montre un homme blessé, meurtri, comme s'il n'avait perçu aucun signe du désamour des Français. Lors de son dernier meeting de campagne, sous un immense chapiteau, il a cherché comme en 1974 l'adhésion de ses supporters mais paraîtra solennel, loin du style du candidat décrispé de la « modernité » de 1974 : « Je ne m'adresserai qu'à une seule personne, madame La France ». La France choisit l'alternance. Après 23 ans de pouvoir détenu par la droite, le nouveau président socialiste, François Mitterrand, raccompagne l'ancien,Valéry Giscard d'Estaing, sur le perron de l'Elysée. Le 21 mai 81, VGE quitte le Palais sous quelques applaudissements, mais couverts par des sifflets. La vie sans le pouvoir commence pour celui qu'on appelle désormais l'Ex. Le plus jeune président de la Vème République est aussi le plus jeune président, retraité, à 55 ans. Un retour en politique est-il possible ? En 1982, c'est en Auvergne qu'il ressurgit à la base pour les élections cantonales. VGE se retrouve face à sept autres candidats et fait du porte à porte. Sur ses terres de Chamalières, en 1984, le conseiller général du Puy-de-Dôme reçoit le président de la République François Mitterrand. Courtoisie républicaine ou retour en douceur vers la politique nationale ? Car en 1984, trois ans après sa défaite, VGE vise un siège de député, dans son fief de Rochefort-Montagne. Il déclare : « Il faut que vous cherchiez ce qui est bon pour le Puy-de-Dôme et ensuite ce qui est bon pour la France ». A l'Assemblée, l'arrivée du nouveau député du Puy-de-Dôme dans sa Peugeot verte immatriculée 63 est un événement national. Bousculades, première séance dans l'hémicycle, VGE croise Jacques Chirac son voisin et rival corrézien. En 1988, c'est le président du Conseil régional d'Auvergne accueille son ancien Premier Ministre, candidat à la présidentielle. Valéry Giscard d'Estaing lui accorde son soutien du bout des lèvres. Pour la campagne européenne de 1989, Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac rejouent la guerre des gaules au sommet du plateau de Gergovie. Brèves retrouvailles : les deux hommes, UDF et RPR, ont déjà en tête la prochaine présidentielle, celle de 1995, où les éternels rivaux pensent avoir toutes leurs chances.

A la tête de l'Auvergne

Après l'échec de la présidentielle, il faudra attendre 1986 pour revoir VGE élu dans un fauteuil de président. C'est aussi le retour du lyrisme giscardien. Il affirme : « Emu et honoré, parce que c’est l’Auvergne où j’ai à la fois mes racines et mon cœur. Et je souhaite ce printemps à l’économie française qui repart, l’activité s’accroît et l’embauche reprend. C’est pour moi la principale priorité nationale et régionale ». Gouverner l'Auvergne lui permet d'élargir son fief et de s'imposer dans le nouveau paysage politique de 1986 : la France est entrée dans la cohabitation. La gauche a perdu les législatives, Jacques Chirac est devenu le Premier Ministre de François Mitterrand. Même s'il caressait d'autres espoirs comme le perchoir de l'Assemblée Nationale, VGE n'est pas sorti du jeu politique. Certes, les Régions n'ont pas encore le statut de géant qu'elles ont aujourd'hui, ni leur pouvoir économique mais Valéry Giscard d'Estaing voudra très vite marquer les esprits. Lorsqu'il était à l'Elysée, Valéry Giscard d'Estaing n'hésitait pas à prendre le volant de sa CX présidentielle pour conduire au désenclavement de l'Auvergne. Et inaugurer des kilomètres d'autoroutes. Dix ans plus tard, l'initiateur du Plan Massif Central poursuit son objectif en tant que président de Région. En 1991, VGE emprunte un nouveau tronçon de l'A 75, l'autoroute, gratuite, Clermont-Béziers. VGE explique : « Notre objectif est de faire disparaître de notre vocabulaire le mot désenclavement. Le mot donne une image éloignée et inaccessible de l’Auvergne. Nous voulons le remplacer par deux autres mots qui sont ouverture et prospérité ».

Vulcania s'éveille

En 2013, VGE n'est plus président. Il n'est plus là pour inaugurer ce qui était son grand projet : faire de l'Auvergne un carrefour autoroutier. L'A89 relie enfin Clermont et Bordeaux. On l'appelle alors l'autoroute des présidents car elle traverse l'Auvergne de Giscard et la Corrèze de Chirac. Comme tous les présidents, VGE veut construire, bâtir. Le Zénith, salle de concert digne d'une capitale régionale, et une Grande Halle où se tiendront les salons et les Sommets de l'Elevage. Mais sa plus grande réalisation dont il sera le plus fier sera le parc du volcanisme dans la Chaîne des Puys. Après dix ans de travaux, et de recours juridiques lancés par les écologistes, Vulcania s'éveille. VGE se transforme en guide au milieu des jeunes auvergnats. Au centre de la Terre, au centre de la France, Valéry Giscard d'Estaing dirigera la Région pendant 18 ans. Puis il observera, de loin, l'évolution de sa province d'Auvergne, en regrettant la fusion aves Rhône-Alpes. VGE souligne : « L’Auvergne est très spéciale. C’est une province que par les hasards de la politique actuelle on va faire disparaître alors que Jules César n’avait pas réussi. Elle a une identité forte. Les Auvergnats sont des gens très travailleurs, économes, des gens qui aiment la conversation. J’en garde un excellent souvenir ». Un excellent souvenir mais teinté de regret : s'il a aimé l'Auvergne, et sa fonction de président de Région, il sera profondément meurtri par les Auvergnats, qui ne l'ont pas réélu en 2004.

L'échec de 2004

L'Auvergne lui a beaucoup donné. Une enfance heureuse à Chanonat, ses premiers mandats d'élu local, puis l'envol vers l'Elysée. L'Auvergne l'a aussi meurtri : en 2004, au soir du second tour des régionales, après 18 ans de règne, Giscard, écarté par les Auvergnats, quitte la scène politique. Une autre blessure se réveille, une autre défaite sur ses terres hante VGE. Lors des municipales de 1995, Clermont Ferrand, citadelle socialiste, se refuse à lui. Après cinquante ans de socialisme, à 70 ans, l'ex-président de la République veut incarner le changement à Clermont-Ferrand. Il précise : « C’est vrai que je ferai quelque chose que d’autres font plus tôt dans leur carrière. Je le fais car c’est un sentiment d’utilité : c’est de dire est-ce que Clermont-Ferrand peut devenir la capitale du centre de la France ? ». Roger Quilliot maire depuis 1973, ancien ministre de François Mitterrand, doit repartir au combat. Un combat de vétérans observé par une jeune élue écologiste, Danielle Auroi. Pourtant, lors du grand débat qui oppose les deux ténors dans les studios de France 3 Auvergne, VGE croit pouvoir terrasser facilement son adversaire socialiste. Il estime : « J’ai la chance d’avoir une période d’activité devant moi. Je voudrais consacrer cette période d’activité à Clermont-Ferrand ».

800 voix d'écart

Par 800 voix d'écart, les Clermontois choisissent la continuité sans le changement. Clermont-Ferrand reste socialiste, une ville rose. VGE affirme : « Je me sens bien. Mais est-ce qu’on a fait ce qu’on devait faire ? C’est une phrase de Démosthène. Il dit l’essentiel dans la vie est de faire tout ce qui dépend de vous. Et après c'est les autres qui décident ». En 2004, Valéry Giscard d'Estaing ne désarme pas. Président du Conseil régional d'Auvergne depuis 1986, il se représente. Comment incarner à nouveau le changement ? En s'appuyant sur son bilan, au service de la Région. Il se rend au Zénith, l'un des grands équipements de son mandat, et en pleine campagne, assiste au concert d'Eric Clapton. Pendant ces élections régionales, un vent mauvais souffle sur la droite. Au niveau national, une vague rose est annoncée. Giscard sent-il venir le risque d'un échec ? Vit-il cette campagne comme un seigneur, sans rival ? Cataclysme en Giscardie : le socialiste Pierre-Joël Bonté va s'accaparer le fauteuil occupé par VGE pendant 18 ans. Une page se tourne. L'histoire dira que l'année 2004 signe la fin d'un demi-siècle de vie politique. Après sa défaite, les adieux à l'Auvergne se font dans le silence, et l'effacement. Dès lors VGE va s'éloigner. Le mobilier de la demeure familiale de Chanonat, est vendu aux enchères. Et l'ex-président se consacre à son nouveau château, dans l'Aveyron, où il guide lui-même les visiteurs. Dans un étonnant entretien avec Frédéric Mitterrand, Valéry Giscard d'Estaing se confie avec émotion. Comme tous les hommes cultivés de sa génération, il connaît des poèmes par cœur. Ce jour-là, il songe à Baudelaire, l'enfance, son enfance en Auvergne il déclame : 
« Mais le vert paradis des amours enfantines,
Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,
Les violons vibrant derrière les collines,
Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets,
Mais le vert paradis des amours enfantines
 ».
La voix qui se brise et des larmes : au soir de sa vie, Valéry Giscard d'Estaing pense au berceau familial, aux étés passés à Chanonat, Saint-Saturnin, Saint-Amant-Tallende. Une émotion qui dit son attachement à l'Auvergne. La défaite dans sa région en 2004 l'a blessé aussi profondément que la perte de l'Elysée en 1981.
 
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