Dans la nuit du mardi 22 au mercredi 23 décembre, 3 gendarmes ont été tués et un quatrième blessé par un forcené à Saint-Just dans le Puy-de-Dôme. Un professeur de droit pénal de Clermont-Ferrand nous donne sa lecture de ce fait divers tragique.
Dans la nuit du mardi 22 au mercredi 23 décembre les militaires de la compagnie d’Ambert, dans le Puy-de-Dôme, avaient été appelés pour intervenir sur une situation de violences intrafamiliales. L’auteur des tirs a été retrouvé mort. Le forcené a tué 3 gendarmes et en a blessé un quatrième. Evan Raschel est professeur de droit pénal à l’Université Clermont Auvergne. Il dirige le master de sécurité publique. Il est surpris par la violence des faits : « Je ne me souviens pas d’avoir entendu parler de 3 victimes le même jour, hors terrorisme. C’est plus qu’exceptionnel. Si les forces de l'ordre se rendent compte que c’est un forcené extrêmement dangereux, elles se mettent immédiatement en retrait. Je pense que là, ce qui les a piégés, c'est qu’elles étaient parties sur des violences intrafamiliales, (avec des personnes violentes qui ne sont pas forcément dangereuses, en dehors du cercle familial). Les gendarmes ne se sont peut-être pas méfiés. S’ils l’avaient su, ils se seraient bien gardés d’intervenir et auraient attendu le GIGN, parfaitement formé à ce type d’intervention. C’est ce type de violences intrafamiliales qui a causé la mort des gendarmes, ils ne se doutaient pas encore du piège dans lequel ils allaient tomber ».
Je crois que je n’ai pas vu cela depuis des décennies
Il précise : « Il y a des statistiques sur les violences contre les policiers et contre les forces de l’ordre de manière générale. En revanche, il n’y a pas de distinction sur l’agression si elle a été commise à l’arme blanche, à coup de poings ou avec une voiture. Il est rarissime de constater 3 morts d’un coup mais cela ne peut pas être étayé par des statistiques précises. Il y a très souvent des blessés chez les forces de l’ordre car il y a beaucoup d’agressions. En revanche, la plupart du temps, les agressions se terminent par des blessures assez légères et pas par des décès. Des décès c’est rare. Trois décès d’un coup, hors faits de terrorisme, je crois que je n’ai pas vu cela depuis des décennies ».
Des gendarmes du GIGN formés
Le professeur de droit rappelle comment les gendarmes sont formés à intervenir : « Normalement, il y a un mécanisme d’intervention spécifique avec unités spécialisées type GIGN. C’est pour cela aussi malheureusement que l’on intervient assez tard. Les gendarmes qui sont sur place n’ont pas le droit d’intervenir et on attend que le GIGN arrive. Ils arrivent très vite généralement. C’est dans ce laps de temps qu’il se passe d’autres choses dramatiques car les gendarmes classiques ne sont pas formés pour ce type d’intervention. Il faut à la fois négocier avec la personne et essayer de voir si elle veut quelque chose pour se rendre ou libérer un otage. Si elle n’est prête à rien du tout, il faut des professionnels compétents pour intervenir sans se blesser et éventuellement sans tuer la personne elle-même. Quelles que soient les circonstances, même dans l’hypothèse d’un terroriste, l’objectif est d’arrêter la personne vivante ».
Un caractère imprévisible
Pour Evan Raschel, un forcené est imprévisible : « Forcené est un terme qui est assez générique. Il y a souvent des problèmes psychiatriques qui sont présents chez ces personnes. Dans ce cas précis de Saint-Just, je ne sais pas. Il faudra étudier son dossier, sa personnalité. Souvent, il y a un profil qui pose des problèmes psychiatriques et par nature c’est assez imprévisible. Malgré ses antécédents, malgré la violence dont il a peut-être fait preuve de manière assez régulière, le passage à l’acte ne pouvait pas forcément être prévu, ni par ses proches, ni par les forces de l’ordre qui le connaissaient. On est dans une situation presque impossible à gérer car c’est imprévisible et il faut l’accepter, parce que personne, même les psychiatres les plus compétents, sont incapables de deviner avec certitude le passage à l’acte ».
Les violences intrafamiliales
Dans cette tragique affaire de Saint-Just, les gendarmes ont évoqué des violences intrafamiliales. Le professeur de droit à l’Université Clermont Auvergne avance : « Les violences intrafamiliales sont très originales dans le sens où elles se détachent, souvent, de manière totalement indépendante d’autres actes délictueux ou de violence. Sur une personne qui peut passer à l’acte de manière grave, on a souvent le profil d’un petit délinquant connu pour des actes de violence, de vol, de braquage. Pour les violences intrafamiliales, on est sur des violences commises par tous les profils, y compris par des profils bien insérés dans la société, qui ne commettent absolument aucune autre infraction. On ne peut pas déduire de violences la commission d’autres infractions, comme là, un crime ».
Une issue fatale
Le forcené a été retrouvé mort par les gendarmes. On n’en sait pas plus pour l’heure sur les circonstances de son décès. Mais bien souvent, le suicide est l’issue de ces affaires. Evan Raschel conclut : « Souvent, pour ce type de violences, la personne sait qu’elle est dans une logique, en commençant par sa propre famille, et en terminant par elle-même : c’est un schéma classique. Il faudra attendre les conclusions des experts psychiatres et psychologues pour essayer d’en savoir plus. Mais c’est une logique, si elle était avérée, qui ne serait pas du tout nouvelle, dans le cadre des violences familiales. On tue ses proches car on ne supporte plus quelque chose et on finit par se suicider soi-même. C’est presque curieux ici qu’il y ait eu le décès des gendarmes entre temps. Le schéma classique est l’assassinat d’un membre de la famille puis le suicide, sans passer par l’intermédiaire que sont les gendarmes et les voisins ». Une enquête devra faire la lumière sur les circonstances exactes de cette terrible affaire.