Plusieurs dizaines de Villeurbannais ont eu l'occasion unique de partir sur les traces du bidonville du Chaâba. Dans ces baraques logeaient des immigrés algériens entre 1954 et 1968.
"Ce n’était pas goudronné (…) c’était en terre (…) Mais nous, nous avions un toit, on se débrouillait comme on pouvait. Pour se laver, nous avions une pompe". Voilà comment cette femme d’environ 70 ans, au visage vif, décrit le bidonville du Chaâba. Chaâba, ça veut dire "trou" ou "patelin" en arabe. Arrivée d’Algérie dans les années 1960, elle a passé les premières années de sa vie dans ces baraques rudimentaires en marge de Villeurbanne. Aujourd'hui, il ne reste qu’un arbre de ce bidonville, planté par le père de l'écrivain Azouz Begag. L'homme de 65 ans n’est pas peu fier de montrer l’arbre planté par son père. "Cet arbre, c’est un rescapé", plaisante-t-il. Le romancier, qui a aussi été sociologue et ministre, a déjà raconté son enfance au Chaâba dans son livre Le Gône du Chaâba, traduit en 17 langues. L'ouvrage, écrit dans les années 1980, a d'ailleurs été adapté au cinéma par Christophe Ruggia.
Azouz Begag et d’autres enfants qui ont grandi dans les bidonvilles, "les enfants du Chaâba", se sont associés au RIZE de Villeurbanne pour faire découvrir aux habitants de la ville le bidonville. Le RIZE se définit comme une "institution culturelle à part" qui rassemble une médiathèque, des chercheurs et des archives. L’objectif du RIZE est de mettre en valeur le patrimoine et la mémoire de la ville. Entre nostalgie et humour, cette balade a permis aux participants de découvrir un lieu qui a construit les enfants de Chaâba, un lieu mémoriel.
"Sortir de cette boue" grâce à l'école de la République
Azouz Begag a emmené les Villeurbannais et les Villeurbannaises sur la "promenade des écoliers". Les enfants du Chaâba prenaient ce chemin tous les matins pour aller à l’école. Un symbole poignant car tous le clament fièrement : l’école française leur a permis de s’émanciper.
Ils progressent lentement. Au cours de la promenade, Azouz Begag et les enfants du Chaâba s’arrêtent à de nombreuses reprises pour raconter, parfois la gorge serrée, des anecdotes. Leurs souvenirs n'en sont pas moins heureux et légers. "C’était bio, on avait les fruits et les légumes (…) j’ai gardé des bons souvenirs, en tant qu’enfant et en tant que femme", plaisante cette ancienne habitante.
La visite du bidonville est l’occasion d’hommages appuyés à l’école française. "On allait à l'école, on apprenait des choses (...) Nos parents étaient quasiment analphabètes et avaient très vite pris conscience de l’importance de l’école (...) Grâce aux enseignants, nous avons pu nous accrocher au simple espoir qui se présentait à nous de sortir de cette boue", insiste Azouz Begag. Et l'écrivain, ancien ministre et ancien chercheur au CNRS, sait de quoi il parle.
Les enfants du Chaâba sont joyeux, volubiles. Sous le soleil, les Villeurbannais et les Villeurbannaises, émus, boivent leurs paroles. Les enfants du Chaâba sont arrivés d’Algérie avec leurs parents, dans les années 1950. A l’époque, l’immigration en provenance du Sud de l'Europe et de la Méditerranée s’intensifie. Les Algériens s'installent dans des bidonvilles, à la périphérie des villes. De 1954 à 1968, le bidonville accueille 25 familles algériennes et 200 enfants. En 1968, dans le cadre de la lutte contre les habitats insalubres, ce bidonville est détruit.
"Nos parents étaient quasiment analphabètes et avaient très vite pris conscience de l’importance de l’école"
Azouz Begag
"Nous sommes des Lyonnais des branches"
Chaâba vit encore dans le cœur de ses enfants.
"On parle parfois des grandes familles lyonnaises, je crois aussi qu’il faudra écrire l’histoire des grandes familles villeurbannaises et vous en faites partie", a solennellement déclaré le maire de la ville, Cédric Van Styvendael.
Pour Azouz Begag, pour Wahid comme pour tous les autres, la mémoire du bidonville du Chaâba fait partie du patrimoine français. Il faut « faire en sorte que la mémoire nous rapproche et qu’à travers la mémoire de toutes ces histoires de France, on crée un sentiment d’appartenance à l’histoire de France », affirme l'ancien ministre. A ceux qui utilisent l'image de Français de souche, chez les gones du Chaâba, on préfère une autre image végétale : "Nous sommes des Lyonnais des branches (...)Toutes ces vagues d’immigration ont permis de construire, de reconstruire, de créer, de jouer et c’est ce qui fait la France d’aujourd’hui", ajoute Wahid.
Les Villeurbannais et les Villeurbannaises n’ont pas seulement visité le bidonville de Chaâba. Ils ont rencontré les témoins vivants d'un des derniers bidonvilles de Lyon.
"Avoir de la mémoire et se souvenir de ce qu’il s’est passé avant, de ses parents, de ses ancêtres (…) c’est l’une des clefs importantes pour se construire un avenir à soi",
Un ancien habitant
L’espace d’une matinée les enfants et le bidonville du Chaâba revivent. L'histoire du Chaâba, c'est l'histoire d'un espace qui a habité ses enfants et que ses enfants ont habité. Pour commémorer ce lieu, les enfants de Chaâba ont installé une fresque qui représente le bidonville d'autrefois. Une fresque joyeuse et colorée, à leur image.
La fresque a été réalisée par le collectif MUZ MURAL MEDIA.