Les associations à l'origine de la création du mémorial de Montluc sont vent debout contre le nouveau projet du musée : inclure, dans l'exposition, toute l'histoire de la prison et non plus se limiter à celle de la deuxième guerre mondiale. Les fondateurs craignent « une dilution de la mémoire ».
C'est un haut lieu de la mémoire résistante, de la mémoire de la Shoah. Une promesse qu'avaient faite ses fondateurs à leurs camarades morts dans cette prison. Montluc a vu passer dans l'antichambre de la mort 10 000 hommes, femmes et enfants. Pour cette raison, le fort est devenu un mémorial de la seconde guerre mondiale, en 2010. Mais en découvrant le projet de restauration et de réorientation du musée, les associations qui se sont battues pour la sauvegarde du mémorial s'indignent.
Une exposition plus exhaustive
Car, raconter toute l'histoire de la prison, depuis sa création en 1921, à sa fermeture en 2009, c'est l'ambition de la nouvelle exposition permanente. D'abord prison, puis tribunal militaire, Montluc a par exemple eu un rôle important dans la guerre d'Algérie. « Pendant cette période, Montluc est le quartier des condamnés à mort des prisons de Lyon. Si bien qu'il va y avoir, enfermés ici, des partisans du FLN condamnés. Onze personnes vont être guillotinées dans l'enceinte de la prison, dans l'histoire de Montluc, c'est quelque chose de très fort », explique Aurelie Dessert, la directrice du mémorial. L'endroit a également été une maison d'arrêt pour femmes, jusqu'en 2009. Toutes ces facettes de l'histoire de Montluc seront donc désormais présentées, par quelques panneaux, aux visiteurs. L'essentiel de la visite restera néanmoins axé sur la seconde guerre mondiale.
« Vichy et l'Algérie ne doivent pas rentrer à Montluc, c'est incompatible avec notre pensée, nous avons promis à ceux qui sont morts dans cette prison que nous serions les vigiles contre le nazisme » s'insurge Jean Lévy, déléfué régional de l'association « Fils et Filles des déportés juifs de France » depuis 40 ans. Ni le CRIF, ni l'association des Rescapés de Montluc ne voient d'un bon œil la refonte de l'exposition permanente. Cette dernière est à l'origine de la fondation de ce lieu de mémoire. A sa fermeture, elle s'est battue et a fait pression pour sauvegarder la prison et l'instituer en mémorial. « C'est déjà très difficile d'expliquer ce qu'il s'est passé dans cette prison, c'est déjà très difficile d'expliquer la Shoah en Europe, il faut raconter cela avec une clarté sans nom », ajoute Jean Lévy avec émotion. Pour celui qui a échappé de peu à la déportation, le devoir de mémoire est le combat de toute une vie. « Je ne vois pas l’intérêt qu'il y a à raconter l'histoire de Montluc, on n'a qu'à prendre une autre prison, il y en a tellement... On ne fait pas de l'Histoire en mélangeant les histoires, il faut être précis, et la deuxième guerre mondiale, avec ses cinquante millions de morts, mérite qu'on s'y intéresse en détail... ».
A la place de la salle des enfants d'Izieu, une salle pédagogique
Parmi les autres nouveautés qui font polémique, la transformation de la salle des enfants d'Izieu en salle pédagogique. C'est pourtant le symbole de ce lieu. Là où ces enfants ont attendu, les mains liées, assis sur le sol, qu'on les conduise vers leur terrible destin. Toucher à ce sanctuaire est pour les associations un sacrilège. « Les enfants d'Yzieu font partie intégrante de l'histoire de notre région », regrette Jean Lévy.
Mais à la direction du musée, on pointe une décision nécessaire pour accroître les capacités d'accueil. « Si l’État met les moyens dans la restauration de Montluc, c'est pour pouvoir satisfaire la demande croissante des établissements scolaires qui veulent venir visiter la prison et qui aujourd'hui, faute de place, essuient parfois un refus », explique Jean Lévy. Elle promet cependant que les salles porteront les noms des enfants d'Izieu et que leur histoire occupera une place importante de l'exposition permanente : « il faut prendre en compte les attentes des associations à l’origine de la création de ce mémorial et nous sommes engagés au quotidien pour transmettre cette mémoire, mais nous sommes aussi tenus à une rigueur scientifique, à une rigueur institutionnelle, et à un devoir d'accueillir les jeunes pour faire de Montluc un lieu ressource de l'éducation nationale ».
Un mémorial qui va devenir payant
Enfin, dernier point de contestation : la gratuité du lieu. L'Etat envisage de rendre le musée payant, une aberration pour ses créateurs. « Quand nous nous sommes engagés, c'était pour lutter contre les fléaux de la société et le nazisme, et faire des nouvelles générations des citoyens de la république », raconte … .
Rendre l'endroit payant est contraire aux idéaux des anciens et pourrait selon eux dissuader certains publics. Le mémorial se veut néanmoins rassurant : les visites resteront gratuites pour les scolaires et pour de nombreuses autres typologies de public. Quant au ticket payant, son prix restera symbolique.