A l’occasion du lancement de BFM Lyon, Alain Weill, propriétaire des chaînes de radios RMC et BFM Business, de la chaîne de télévision BFM TV a accepté de nous parler de sa vision des medias, de l’avenir de l’information de proximité.
Alain Weill n’est pas un homme d’affaire comme les autres. C’est l’un des plus importants «patrons» dans le monde des médias en France. Il a notamment créé et préside depuis l'année 2005 le groupe NextRadioTV, propriétaire des chaînes de radios RMC et BFM Business, de la chaîne de télévision BFM TV. A l’occasion du lancement de BFM Lyon, il a accepté de nous parler de sa vision des medias, de l’avenir de l’information de proximité.Interview.
Sur la question de la "menace" de l’opérateur Orange de ne plus diffuser BFM TV, Alain Weill se disait plutôt confiant lors de cet échange, sauf que le jeudi 5 septembre Orange a cessé de diffuser BFM TV, RMC Story et RMC, faute d’accord avec Altice, propriétaire des trois chaînes.
Selon un porte-parole d’Orange, l’opérateur n’a pas trouvé d’accord avec Altice mais se dit "confiant dans une reprise des discussions". (Source Franceinfo)
Yannick Kusy : Vous lancez BFM Lyon, déclinaison locale de votre chaine d’information en continu. Cela doit être, pour vous, un défi excitant…
Alain Weill : Oui c’est très excitant de lancer une chaine d’information locale. Nous avons pensé que cela avait du sens de décliner le concept de BFM au niveau local. Et donc, après avoir lancé BFM Paris il y a 3 ans, c’est avec beaucoup de satisfaction que nous lançons BFM Lyon aujourd’hui. Et nous lancerons sans doute BFM Lille dans quelques mois.
YK : Quel est l’objectif ? Déployer un réseau sur tout le territoire ?
AW : L’idée, comme France 3 le fait depuis très longtemps, c’est de s’intéresser à la proximité. On est dans une période où les Français ont vraiment besoin d’information locale. On a vraiment besoin de proximité. On est conscient qu’avec une marque comme BFM TV, on a toujours été très national… d’avoir parfois ce défaut de se concentrer beaucoup sur Paris et de ne pas se préoccuper du quotidien de tous les Français. On a ressenti cela dans l’actualité liée aux gilets jaunes… donc ce projet a retrouvé une dynamique, et on s’est dit qu’on devait absolument se développer sur le local. Cela a deux avantages : d’abord, nous serons un nouvel acteur sur le marché à côté des autres – pas à la place des medias traditionnels. Et puis, sur le digital, il y a beaucoup d’informations qui circulent… beaucoup de fake-news aussi.. et je suis convaincu que c’est important que les medias traditionnels avec de grandes rédactions se développent, investissent les territoires, pour proposer une information de qualité.
YK : Mais cela… France3 le fait déjà. Que pensez-vous apporter de plus dans l’info locale et la télé ?
AW : Nous sommes un «spécialiste». France 3 est une chaine nationale avec des décrochages locaux de grande qualité. Nous allons être 100% local. C’est un format qui est complémentaire. Moi, je vois notre relation avec les autres medias d’une façon très confraternelle. Je pense que nous, medias traditionnels, avons tous besoin de renforcer notre position sur le digital et les réseaux sociaux. On voit de tout, et pas toujours de l’information de qualité, donc il est important que les medias traditionnels s’affirment aussi localement.
YK : Ce n’est pas la première fois que vous relevez des défis dans le monde des medias que vous connaissez bien. Vous avez notamment relancé la radio RMC… Vous avez ce flair. On se souvient que le groupe M6, autre chaîne privée, avait également développé des rédactions locales, avant de les abandonner. Pourquoi pensez-vous que la période est plus propice ?
AW : Moi, je suis sûr que l’information locale a beaucoup d’avenir. En France, elle a du mal à se développer. La réglementation est très compliquée. Elle a plutôt vocation à protéger des medias installés. Cela leur enlève parfois un peu de dynamisme, ça ralentit les choses et ce n’est pas très positif. M6 avait développé des décrochages locaux qui, en audience, marchaient bien. Mais on ne lui donnait pas la possibilité de prospecter des marchés publicitaires locaux. Donc l’équation économique ne fonctionnait pas. Nous, on est 100% local, et on va vivre de la pub locale. Le modèle économique de la distribution de la télévision est en train d’évoluer. D’un modèle tout hertzien, on va vers un modèle filaire. Aujourd’hui, on reçoit la télévision par un fil, par une box. Après le câble et l’ADSL, c’est maintenant la fibre optique qui va se généraliser. BFM Lyon appartient au groupe Altice. En France, Altice c’est aussi SFR, qui est un acteur très important du déploiement de la fibre. Et on sait aujourd’hui que la fibre va modifier les habitudes de tous les Français dans les 5 ans à venir.
YK : Pourquoi la France a-t-elle autant de retard sur le développement des TV locales ?
AW : La France a pris ce retard sur les medias locaux parce que nous sommes un pays très jacobin. Il ne faut pas oublier qu’avant 1981, il y avait le monopole de la radio… Jusqu’en 1986, il y avait le monopole de la télévision. Donc les medias privés, en France, sont encore relativement jeunes. Aux Etats-unis, c’est l’inverse. Les radios et les chaînes de télévision ont d’abord été locales, avant que des réseaux nationaux ne soient constitués dans un système de syndication. Nos deux systèmes se sont construits de manières plutôt opposées… mais qui vont de plus en plus se ressembler.
YK : Beaucoup pensent que la télé va s’arrêter un jour. En faites-vous partie ?
AW : Non la télévision a de beaux jours devant elle. Par contre, son usage va complètement changer. Avant l’usage de la télé se faisait sur un écran fixe qui réunissait toute la famille. Maintenant, à la maison, chaque membre de la famille a son écran. La télévision joue moins un rôle fédérateur au sein de la famille. En plus, avec les nouvelles technologies, on peut regarder la télévision en linéaire ou à la carte. Donc je suis convaincu que les usages devant l’écran vont augmenter, même si c’est vrai que l’usage de la télévision traditionnelle va diminuer.
YK : Dernière question, plus personnelle. Après le groupe NRJ, la relance de la radio RMC, la création de BFM, le rachat de Libération… Y’a-t-il encore un challenge qui vous tenterait ?
AW : Ecoutez, vous me prenez un peu au dépourvu... Là, je viens de racheter le magazine l’Express. C’est justement un challenge difficile, mais c’est un projet plus personnel parce que, après ce que j’ai pu faire dans la radio et la télévision, essayer de sauver cette marque extraordinaire, qui est née en 1953, avec Jean-Jacques Servan-Schreiber c’est un projet formidable. J’espère réussir.