Création : j'ai assisté aux répétitions de la pièce « Skylight » au Théâtre des Célestins de Lyon

La directrice du théâtre des Célestins met en scène sa dernière création. "Skylight", de David Hare, sera joué sur la Grande scène du 15 septembre au 3 octobre 2021. Claudia Stavisky m'a offert la possibilité de suivre les toutes dernières répétitions.

Après une année marquée par la crise du Covid, le Théâtre des Célestins a enfin retrouvé une activité bouillonnante. Ce soir, de la Célestine, au sous-sol, à la Grande scène, on prépare activement la rentrée. Les répétitions s’enchainent. Comédiens et techniciens prennent quelques secondes pour souffler, côté entrée des artistes. Tandis qu’à l’intérieur du bâtiment, l’un des plus beaux théâtres à l’italienne d’Europe, datant de 1881, la directrice Claudia Stavisky peaufine avec son assistant sa dernière création, installée dans les fauteuils de la Grande Salle.

Une pièce universelle

Skylight, de David Hare est un texte qu’elle connaît depuis longtemps. « Je l’avais vu à sa création, en 1995 à Londres » se souvient Claudia. « A cette époque, j’avais été totalement scotchée. Par la suite, j’ai mis en scène de nombreuses pièces à l’étranger. Après « Black Bird », au Théâtre national de Shanghai, la direction chinoise m’avait demandé de leur conseiller une pièce de création contemporaine. A mon très grand étonnement, ils ont lu Skylight et m’ont commandé sa mise en scène. Ils la voulaient absolument. Au départ, cela m’a surprise, car cette histoire me semblait tellement européenne… Mais, en l’adaptant, je me suis rendue compte à quel point elle est universelle. Le public chinois a bien réagi. Ils ont beaucoup ri aussi. Il faut dire que les acteurs locaux étaient extraordinaires. C’est-à-dire de la trempe de ces deux-là… »

Claudia évoque ainsi Marie Vialle et Patrick Catalifo, qui jouent –aux côtés de Sacha Ribeiro, les deux personnages centraux de Skylight. Une performance impressionnante. Dans un décor fixe. Un duo, voire un duel… Le filage débute.

Je découvre un appartement squelettique, sans doute un ancien atelier, éclairé par une immense suite de fenêtres donnant sur un quartier pauvre de Londres. Une scène épurée mais très esthétique, à la beauté quasi cinématographique, et où tout va se dérouler. « Tout se passe entre 19h et 7h du matin dans un même endroit, un même espace. Ce petit appartement tout pourri de la banlieue nord de Londres. Ce qui n’appelle pas à des changements de décor. Les personnages s’adonnent à des activités très pragmatiques. Elle fait la cuisine, il met la table… » explique la metteur en scène.

A l'origine, le texte de David Hare décrit un lieu très réaliste. Claudia l’a imaginé : « Je voulais en même temps un espace qui permette de savoir où on est, et où on peut jouer toutes les actions écrites … Tout en étant quelque chose de suffisamment abstrait, afin que le public puisse y projeter ses propres images. »

Quand on est né pauvre, on ne souhaite surtout pas le redevenir

Claudia Stavisky

La pièce progresse. Les personnages échangent, rient, gueulent parfois… Dans cet échange nocturne, je trouve personnellement que l’homme n’a pas le « beau » rôle. Tantôt maladroit, tantôt agressif, parfois presque pitoyable.

Claudia ne partage pas mon regard « Mais comme elle ! » rétorque-t-elle. « Moi je n’ai pas le même sentiment. Evidemment, ils ont tous les deux des assignations sociales très différentes. Lui vient d’un milieu populaire et s’est hissé en haut de l’échelle sociale avec les dents et les ongles. Il est le représentant même du self-made-man… Il a surtout une panique de la pauvreté. Quand on est né pauvre, on ne souhaite surtout pas le redevenir. » Devant nous, Patrick Catalifo incarne à la perfection Tom, ce quinqua riche et décontracté dans son costume et imper noir.

Face à lui, je me dis que Kyra, dans son appartement, me semble d’instinct plus forte, et plus humaine. Elle est interprétée avec beaucoup de talent par Marie Vialle « Elle est issue d’un milieu bourgeois. Elle a effectivement un autre vernis. Mais en fait, je les trouve aussi fragiles l’un que l’autre, moi» assure Claudia, qui défend ses personnages. « En fait, leur principale attitude consiste à vivre une histoire d’amour. C’est avant tout une histoire d’amour. »

Deux visions du monde diamétralement opposées

Et dans cette histoire, Tom rend donc visite à Kyra, son ancienne maitresse. Il a récemment perdu sa femme, décédée après une longue maladie. Durant toute une soirée d’hiver, il va échanger avec son ex, qui est devenue enseignante pour des enfants défavorisés. En quelque sorte, ils vont faire le point. Un débriefe, comme on dit aujourd’hui. Entraînant ainsi le spectateur dans leur huis clos passionné.

Les deux s’aiment toujours follement. Mais ils sont devenus très différents l’un de l’autre. « La chose la plus importante, dans la vie de Tom, c’est d’avancer. Et finalement, peu importe comment. La fin justifie les moyens. Il a du mal à se laisser aller à la moindre culpabilité. La psychanalyse n’est pas son fort. Mais il reste profondément humain. Il est en même temps extraordinairement intelligent et bête à la fois. Il est aussi généreux et qu’égoïste. Ce qui peut empêcher leur nouvelle union, c’est le fait que leur vision du monde est très différente. Il a vingt ans de plus qu’elle, et il veut désormais profiter de la vie telle qu’il l’entend, avec l’argent qu’il a amassé. C’est comme s’il se disait : on va s’exclure du monde, partir dans notre île et vivre notre bonheur à deux. »

Kyra est exactement son contraire. « Elle veut agir dans le monde. Lutter pour les idéaux qu’elle considère juste. Elle est totalement obsessionnelle avec son projet de vie. C’est aussi l’histoire de l’émancipation d’une femme. Elle est en pleine lutte pour mener sa vie telle qu’elle l’entend, pour sa propre liberté. »

Claudia Stavisky n’a donc pas, comme moi, de penchant pour l’un des deux protagonistes, qu’elle « aime » avec la même vigueur. Il n’empêche que la pièce suscite le débat. Les répliques des deux amoureux me donneraient presque envie de prendre position. « C’est vrai. Chaque fois que l’un ou l’autre prend la parole, on se dit qu’il –ou elle- a raison. Et c’est en cela que c’est fantastique. Moi, je ne cherche pas à déclencher un débat. La seule chose que j’espère, c’est que ce soit un grand moment de théâtre. Que les spectateurs puissent éprouver toute une palette d’émotions. Etre en même temps profondément émus ou bien dans l’humour, la légèreté. Que cela reste une expérience importante pour chacun. Une expérience que les spectateurs n’oublieront pas, dix minutes après, en buvant un verre au bar du théâtre, comme cela arrive parfois… J’espère avoir créé une pièce qui travaille en profondeur les consciences…»

Déjà, le filage de "Skylight" se termine. Les quelques spectateurs présents applaudissent avec enthousiasme. Pour sûr, la magie a opéré. Je quitte discrètement Claudia Stavisky et son équipe… me faufile dans les coulisses où je croise, par hasard, l’un des deux comédiens. Visiblement épuisé, encore ému, il est indéniablement toujours un peu dans son personnage, auquel il a beaucoup donné. Vivement la première.

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