A Givors, la verrerie fermait ses portes il y a 20 ans. Ce matin, une cérémonie du souvenir avait lieu au pied de la grande cheminée, unique vestige de ce passé industriel. Un anniversaire mais aussi un hommage aux verriers disparus, victimes de cancers. Malgré la souffrance et le long combat des anciens verriers, le souvenir de la fermeture du site est encore douloureux.
Le 15 janvier 2003, il y a tout juste 20 ans, le four de la verrerie VMC de Givors réalisait sa dernière coulée. Après 250 ans d'activité et malgré une mobilisation de plusieurs mois, le site cessait d'exister. Dans cette commune située entre Saint-Etienne et Lyon et autrefois place forte de la révolution industrielle, l’heure de la désindustrialisation avait définitivement sonné. Plus de 300 personnes se retrouvaient alors sur le carreau. Une cérémonie a eu lieu samedi 14 janvier, veille de cette date anniversaire. Un rassemblement d'anciens verriers et de leurs proches au pied de la grande cheminée encore debout, dernier vestige de la verrerie. Une cérémonie entre amertume et nostalgie.
Des sentiments ambigus
La grande cheminée et une plaque commémorative. C'est tout ce qu'il reste aujourd'hui de l'histoire de la verrerie de Givors. Le site a été déconstruit et dépollué. Mais d'anciens salariés se sont battus pour préserver ce dernier vestige. Le symbole d'un combat des anciens salariés. "Cette cheminée symbolise une mémoire. C'est douloureux aujourd'hui car c'est un beau gâchis (...) C'était un grand bassin industriel Givors. On venait travailler ici. C'est le dernier symbole qui nous reste", explique Alain Besson, un ancien salarié de la verrerie de Givors et représentant syndical.
C'est une trace du passé. C'est la dernière chose qui reste de la verrerie. Si la cheminée disparaît, il n'y a plus de traces de rien, à part notre parole et nos souvenirs.
Marlène CervantèsFille de Christian Cervantès, verrier décédé
Reclassé sur un autre site du groupe, la fermeture de la verrerie est encore douloureuse pour Alain Besson. "Quand je suis là, je pense à la souffrance des personnes lorsqu'elles sont parties (...) Les gens ont l'impression de tout perdre, de ne plus exister, quand on leur annonce la fermeture de leur usine. Ça vous prend aux tripes (...). Les valeurs humaines dans cette usine qui a fermé, c'était incroyable. Le travail était dur mais il y avait une solidarité incroyable. Il y avait beaucoup de fraternité".
Malgré les années de lutte pour obtenir la reconnaissance de leurs maladies professionnelles, des familles de verriers, d'anciens salariés restent encore attachés à ce passé industriel.
L'usine est fermée depuis 20 ans. Même pour les verriers c'était une souffrance à l'époque. Les trois quarts des verriers pleuraient, c'était leur outil de travail. Ils y avaient passé plus de 30 ans. Pour eux, c'était une famille.
Mercedes Cervantèsveuve de Christian Cervantès
Les sentiments sont très ambigus comme l'explique Marlène Cervantès, fille d'un verrier décédé. "On a aussi les souvenirs des bons moments. C'est l'usine qui nous a permis de grandir, de manger. Il y a de la souffrance au travail mais il ne faut pas non plus oublier ce que l'usine a apporté dans nos familles. C'est très partagé comme sentiments, c'est compliqué".
Le long combat des verriers de Givors
Son père, Christian Cervantès s'est éteint en 2012 des suites d'un double cancer du pharynx et du plancher buccal. Il est décédé avant d'obtenir gain de cause devant la justice. La famille Cervantès, qui a entamé son combat devant les tribunaux en 2008, s'est battue de nombreuses années pour faire reconnaître la maladie professionnelle de l'ancien verrier.
"C'est le 20e anniversaire de la fermeture de l'usine, mais cette fermeture a ouvert un autre combat. Un combat qui n'était pas prévu. C'est en 2005 qu'on a vu des gens commencé à développer des cancers et en mourir. C'est en 2009 qu'une étude nous a révélé l'état de santé de cette population sur une entreprise qui venait de fermer ", explique Laurent Gonon, membre de l'Association des Verriers de Givors.
Car au-delà de la casse sociale, les ouvriers verriers ont été décimés par les maladies professionnelles. Conséquence de leur exposition prolongée à de nombreux produits toxiques et cancérogènes comme l'amiante, le benzène ou encore l'arsenic. De conseils des prud'hommes, en cour d'appel ou cour de cassation, il a fallu un long combat devant les tribunaux pour faire reconnaître la responsabilité de l'employeur. Plus d'une décennie de lutte.
Pour l'association, les anciens verriers et leurs familles, le combat n'est pas terminé. Ses membres et les proches des disparus attendent cette année plusieurs décisions de justice, notamment pour reconnaissance de maladies professionnelles, faute inexcusable et préjudice d'anxiété. "Pourquoi on abandonnerait ? On n'abandonne pas ! Ces combats sont longs. Ils comptent là-dessus pour qu'on abandonne. Donc il faut poursuivre ces combats " conclut Laurent Gonon avec un petit sourire.
Propos recueillis par E.Rosso et C.Cherry-Pellat