L'expertise psychologique de Klaus Barbie et les notes d'un des trois psychologues lors de son procès ont été versées aux archives de la maison d'Izieu. Une plongée dans l'esprit du premier homme jugé coupable de crime contre l'humanité en France, l'ancien dignitaire nazi n'a jamais exprimé ni honte ni regret.
"Un bourreau, c'est un homme ordinaire", ce terrible constat tient dans les dizaines de pages rédigées à la main ou la machine à écrire par son mari. Weber a décidé de remettre les écrits de son mari à la maison d'Izieu. Psychologue clinicien, Didier Weber, a participé à l'examen médical, psychologique et psychiatrique de Klaus Barbie en amont de son procès. Des expertises très techniques, des observations et le rapport final remis au juge lors du procès de Klaus Barbie, tous ces documents entrent désormais dans l'histoire, grâce au don de la famille Wéber à la maison d'Izieu.
"Quand mon mari est décédé, j'ai eu le sentiment que ce document appartenait à l'histoire. C'est trop important pour que ça reste dans un placard de la maison. C'était une approche sensible de l'holocauste, une approche qui pose cette question que posaient mes petits enfants à leur grand-père : c'est comment un bourreau ? "
La première rencontre de Didier Wéber avec Klaus Barbie date du 13 septembre 1983. L'ancien dignitaire nazi, extradé de Bolivie où il était caché depuis la fin de la guerre, parle de la mort de son père, de celle de sa femme et de l'accident de son fils, décédé à 34 ans lors d'un vol en parapente. À ce moment-là, il montre des signes de faiblesses, ce sera la seule et dernière fois. "Cette évocation a fissuré quelque chose en lui, il a pleuré comme toute personne évoquant ces périodes difficiles d'une vie. Mais ça ne s'est jamais reproduit au cours des sept entretiens que nous avons eus avec lui" raconte le professeur Jacques Védrine.
Il s'est alors plaint de l'attitude du psychologue qui lui aurait fait avouer des choses sur lesquelles il voulait exercer un contrôle complet. "C'est comme si on lui extorquait quelque chose de l'ordre du secret. Il a voulu couper court en disant si je continue à rencontrer ces experts, je m'expose, et puis il a changé d'avis" raconte le psychiatre.
Il se souvient d'un homme obsédé par le contrôle sur lui-même et sur autrui. "Tout ce qui était de l'ordre du sentiment était complètement recouvert. Il ne pouvait se présenter que comme quelqu'un obéissant à l'autorité exerçant son autorité, exigeant qu'il n'y ait pas de secret dans l'autre". "On est tous porteurs d'une structure psychique", précise-t-il. La sienne était obsessionnelle, tournée vers le secret, l'exposant à des conduites sadiques, mais c'est une constatation banale.
Le pire de lui-même et son socle : le nazisme
Jacques Védrine explique que les particularités psychiques de Klaus Barbie étaient adaptées pour se conjuguer avec l'idéologie nazie et la mener à ses pires exactions. Dans sa dissertation du baccalauréat allemand, "le bourreau de Lyon" se décrit jeune adolescent visitant des prisons, des gares... constatant une certaine misère. "Mais l'avènement du Führer est venu aspirer la masse des jeunes et représenter une sorte de couverture sur tout ce qui pouvait être de l'ordre d'une faille ou d'un manque. La race supérieure, le fondement biologique, le sang... étaient ses socles et tous ceux qui sortaient de ce cadre étaient des bâtards" raconte Jacques Védrine.
"Au départ, il voulait faire des études supérieures en philologie, une discipline, qui suppose une certaine ouverture aux autres et aux différentes cultures".
Il a été bloqué dans l'accession à ses études car à la mort de son père, son grand-père n'a pas voulu l'aider financièrement. Il s'est alors embarqué dans la filière des jeunesses hitlériennes et dans les renseignements de la SS. C'est là qu'il a développé ses compétences en matière de maîtrise de l'autre et d'emprise sur l'autre
Pr Jacques Védrine, Psychiatre
Comme réponse aux questions posées, il ne présentait aucun signe de maladie mentale, il avait un fonctionnement psychologique qui en faisait un homme ordinaire, mais "à ce moment de l'histoire, il a développé ce qu'il avait de plus négatif dans ses traits psychologiques". On ne pouvait pas dire que Klaus Barbie était hors du commun ou hors norme. "Il y a des situations historiques où une communauté de personnes avec des structures psychologiques un peu différentes de la majorité se retrouvent dans un "être ensemble" où ils ne font plus qu'un".
Aucun regret ni aucune excuse
Toute une partie du travail consistait, pour les experts mandatés par la justice, à échanger à trois pour s'assurer que leurs analyses n'étaient pas entachées par des réactions personnelles. "Mais ça ne peut pas être neutre, c'est évident... La position d'un expert psychiatre est toujours difficile" explique Jacques Védrine, dernier des trois experts encore en vie.
"On n'est pas là pour être un substitut au juge, on est là pour mobiliser des affects, un retour sur lui-même, une réflexion sur ses comportements. Avec Klaus Barbie, ça n'a pas été possible, c'était toujours la même réponse : j'obéissais aux ordres".
Klaus Barbie n'a jamais fait un minimum de retour sur lui. Il ne pensait pas vraiment. Le parti nazi avait saisi les consciences de l'ensemble de la nation.
Pr Jacques Védrine, psychiatre
" Il n'y avait aucune amorce de démarche exprimant des remords, des regrets ou une honte quelconque. C'était spécifique de tous les criminels de guerre, y compris à Nuremberg. Ils étaient tenus par cette idéologie et si elle était remise en question, c'étaient eux-mêmes qui étaient remis en question et totalement déstabilisés."
La maison d'Izieu, les noms et les visages des 44 enfants sont inscrits dans l'histoire et rappelés à la mémoire des nouvelles générations tout au long de l'année. Si ces élèves, venus de partout en France se posent la même question que les petits enfants de Didier Wéber : "c'est comment un bourreau ?", il y aura dans ce document exceptionnel des éléments de réponse écrits noir sur blanc de la main d'une de la seule personne qui a vu des larmes sur le visage de Klaus Barbie au cours de son procès.
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- Vous êtes formidables avec Maître Alain Jakubowicz, administrateur de la maison des Enfants d'Izieu, et avocat des parties civiles lors du procès Barbie, ainsi que Beate et Serge Klarsfeld, qui ont passé leur vie à traquer les anciens nazis dans le monde entier.
- 12/13 - édition spéciale avec Serge Klarsfeld et Alain Jakubowicz.