Que se passe-t-il au Centre de rétention administrative de Lyon (CRA) ? Depuis quelques jours, les alertes se multiplient pour mettre en garde contre une dégradation sanitaire, liée au Coronavirus, de ces lieux de transit des étrangers en situation irrégulière. Un sénateur l'a visité ce matin.
« Je suis là depuis 18 jours. Ça se passe très mal. Après avoir fini ma peine de prison, on m’a amené ici. Je ne sais pas pourquoi. Y’a des vols tous les jours vers la Roumanie. J’ai fait mon test et il est négatif. Je ne sais pas pourquoi je reste ici. On est 108 personnes au total. Et il y a 60 personnes positives au Coronavirus. On est dans le risque monsieur. On nous donne un masque pour 24 heures... On le met juste avant d’aller au repas. On touche tout, les portes…il n’y a pas de désinfectant, y‘a rien ici » Ainsi parle Milcea, l’un des « retenus » d’origine roumaine -c’est ainsi que l’on nomme les personnes placées en centre de Rétention Administrative (ou CRA) à Lyon. Il a pu livrer son témoignage grâce à un téléphone portable. Seuls les mobiles sans appareil photo sont acceptés à l’intérieur.
C’est par l’intermédiaire du Collectif Anti CRA de Lyon que le contact a été établi avec plusieurs de ces retenus. Ces militants sont inquiets et alertent notamment les medias : « Nous sommes organisés pour soutenir les prisonniers du centre de rétention de Lyon et on lutte pour la fin de l’enfermement et la fin des expulsions. Parfois on leur rend visite, quand c’est possible » explique Charlotte, l'une d'entre eux. Impossible d'en savoir d’avantage sur ce groupe « Ca fait à peu près deux ans que l’on mène ce combat. On n’a pas très envie de parler de nous mais plutôt de la situation que nous dénonçons. C’est ça le plus important. La meilleure façon de s’en rendre compte c’est d’appeler les personnes qui se trouvent à l’intérieur en ce moment. C’est notre activité principale. On entre en contact avec elles, via les cabines téléphoniques qui sont dans le centre. On enregistre leur témoignage et on le retranscrit. »
Au téléphone, le ton de Marco, un autre « retenu », d’origine serbe, est plus vindicatif. « Tout est anormal. On n’a pas de protection. On nous donne seulement un masque toutes les 24 heures. Le gel, c’est uniquement quand on va manger. En plus il y a beaucoup de personnes testées positives qui sont avec nous. Ici on est 108 personnes aujourd’hui. Il y a trois blocs. Et on est presque 50 personnes par bloc. J’étais dans une chambre où il n’y avait pas de contaminés. Mais on nous a déplacés dans une autre où il y en a. .. La situation se dégrade, ça se passe vraiment mal. Les choses sont graves ici et personne ne fait rien. Même les agents ne peuvent rien faire parce qu’ils n’ont pas les moyens de nous aider. Les seules zones où on est protégés, c’est celles où il y a des caméras… »Les choses sont graves ici et personne ne fait rien
Impossible d’aller vérifier, sur place, les dires de nos interlocuteurs. Et pour cause : « Les visites sont possibles en théorie » précise Charlotte. « Mais en ce moment, d’après les témoignages que nous recueillons à Lyon et dans d’autres villes, le droit de visite est accordé de manière totalement arbitraire et s’assorti même de peines d’amende pour rupture de confinement pour les visiteurs qui se rendent sur place. » Ce que confirme en partie le Préfet délégué à la sécurité en Auvergne-Rhône-Alpes Thierry Suquet : " En ce qui concerne le CRA de Lyon, pour des raisons sanitaires, et pour privilégier la distanciation sociale, on a effectivement limité les visites de façon drastique. Mais on permet l’entrée des sacs et des colis." explique-t-il. L’accès au sein même du centre est de toute façon très réglementé. Très peu de personnes peuvent y entrer. « C’est possible uniquement pour la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, les parlementaires et quelques personnes triées sur le volet.»
Un sénateur s'est rendu en visite sur place
Ce samedi 21 novembre, toutefois, un élu a décidé de franchir la porte des lieux. Le sénateur EELV Thomas Dossus a exercé son droit de visite parlementaire après avoir lu l’intervention du bâtonnier de l’ordre des avocats de Lyon. Ce dernier a en effet demandé à la préfecture d'Auvergne-Rhône-Alpes de suspendre les placements au Centre de rétention administrative de Lyon-Saint Exupéry, évoquant une "situation sanitaire alarmante" : « Compte tenu de la promiscuité entre les retenus et de l'impossibilité de respecter, dans ces conditions, le protocole sanitaire, il est fort à craindre que d'autres soient également contaminés dans les jours à venir », redoute le bâtonnier.Des craintes confirmées par l’élu écologiste, après sa visite : « Le centre est bien blindé. Il y a vraiment du monde dans les chambres. Ils essayent de faire respecter les gestes mais c’est impossible avec le nombre de personnes se trouvant à l’intérieur. Quand il y a un cas positif, ils le mettent à l’isolement pendant 7 jours, et ensuite ils le remettent avec les autres, en estimant qu’il n’est plus contagieux. Mais il reste positif ! » Le Sénateur n’a pu que constater le risque redouté par beaucoup : « Ce que j’ai vu de l’administration, c’est qu’ils font le maximum. Ils font ce qu’ils peuvent, ce n’est pas facile. Mais globalement il y a trop de monde dedans. Au mois de mars, on avait seulement 30 personnes retenues dans ce centre, et là ils sont au moins 80. » Le centre est prévu pour recevoir au maximum 112 retenus, mais avec la crise sanitaire, la cohabitation avec l’ensemble du personnel et des associations présentes sur place, comme Forum Réfugiés, devient impossible : « On nous a parlé d’un nouveau centre, qui devrait ouvrir en 2021, avec 120 places. Celui là est un ancien hôtel. Les chambres sont restées dans leur état d’origine. C’est même très compliqué de travailler là. Clairement les conditions d’hébergement sont horribles ; les gens sont à quatre par chambre et ce n’est pas propre. Donc forcément il y a des contaminations. »Ils font ce qu’ils peuvent, ce n’est pas facile. Mais globalement il y a trop de monde dedans
« C’est faux.» rétorque Thierry Suquet . « Il n’y a pas de mélange de flux. L’isolement d’une personne positive est de 7 jours dans ce centre, comme dans le monde extérieur. Après 7 jours d’isolement, vous êtes considéré comme non-contagieux et vous pouvez rejoindre les autres personnes.»
Des efforts d'organisation sanitaires récents
Assane Ndawe, de l'association Forum Refugiés, directeur adjoint du CRA de Lyon, et chargé de l’accompagnement des retenus, nuance les critiques. Selon lui, l’Etat a déjà sensiblement amélioré le dispositif : « Il est vrai que, il y a deux semaines, on était dans une situation de tension parce qu’il y avait plusieurs cas de Covid19 parmi les personnes retenues. On a diagnostiqué jusqu’à 13 cas de Covid19. Plusieurs enquêtes ont eu lieu face aux inquiétudes. Ce qui est dit depuis est un peu éloigné de la réalité. Il n’a jamais été question de ne donner qu’un masque par jour. Des masques sont disponibles pour les personnes avant que nous les recevions dans notre bureau. On refuse de recevoir qui que ce soit qui n’a pas de masque. Il y a également du liquide hydro-alcoolique, notamment dans notre salle d’attente. Les retenus qui souhaitent avoir un masque peuvent le demander au poste. En revanche, la difficulté, c’est l’accès à ce poste. Il y a des grilles, et cela complique les choses. Peut-être que les personnes peuvent dire qu’elles ont des difficultés à les demander, mais c’est faux de dire qu’il n’y a pas de masque. Tous les produits nécessaires sont là. On a même des plexiglas pour protéger tout le monde pendant les entretiens. »D’après ce responsable associatif, des tests PCR ont été mis en place avec l’aide de l’unité médicale du CRA de Lyon. Des progrès ont ensuite été réalisés pour séparer les personnes contaminées des autres retenus : « Aujourd’hui, il y a zone réservée aux personnes contaminées, qui sont passées de 13 à 5 en deux semaines. Il y a une zone réservée aux nouveaux entrants en attendant de déterminer leur situation, une zone pour les personnes qui ne sont pas positives et une petite zone pour les personnes qui refusent les tests. » Selon Assane Ndawe, ces changements sont la réponse à des problèmes constatés notamment au CRA de Marseille : « Je pense que les autorités ont eu peur. A partir du moment où les cas commençaient à se multiplier, ils ont réagi. A Marseille, il y avait la même situation, et la même organisation a été mise en place avec des quarantaines »Je pense que les autorités ont eu peur.
Le préfet délégué à la sécurité Thierry Suquet confirme le changement d’organisation en plusieurs zones différenciées, en fonction du statut de chacun vis à vis du virus. « Effectivement, nous avons été amenés à réorganiser le CRA de Lyon en raison de la situation sanitaire. Le but étant d’assurer la sécurité de tous, retenus comme personnels sur place. Il n’y a pas de flux entre les différentes zones. Hier, nous avions exactement 81 personnes placées en rétention. 14 étaient en zone d’admission, 58 testées négatif, 4 en refus de test –ce qui est un droit-, et 5 en zone réservée aux testés positifs. Des tests complémentaires ont été effectués pour ces derniers. Les gens sont bien dotés de masques et de gel hydroalcoolique, et les gestes barrière sont respectés. »
Des retours plus difficiles vers certains pays
Mais le problème ne s’arrête pas là, pour le sénateur EELV Thomas Dossus. « Ici, c’est globalement impossible de faire respecter le port du masque. Il y a 180 agents administratifs et policiers. Mais c’est quasiment impossible de faire en sorte que les gestes barrière soient respectés. » Pour lui le problème viendrait d’une évolution dans l’attitude des autorités face aux étrangers interpellés en situation irrégulière : « A une époque encore récente, le juge des libertés faisait gaffe et y envoyait moins de monde, et là ils ont visiblement changé de consigne sur toute la France. Et comme les frontières sont fermées, il y a un allongement de la durée de retenue, puisqu’ils ne peuvent plus renvoyer les personnes. Du coup Ils restent beaucoup plus longtemps en centre de rétention. Nous ce que l’on voit, c’est que des gens sont là depuis trop longtemps. Certains même demandent à partir mais ils en sont empêchés par les circonstances. » explique l’élu.A l’intérieur du centre, les retenus perdent espoir : « La première fois qu’il y a eu la corona… ils avaient libéré tout le monde » raconte le roumain Milcea. « Mais cette fois c’est plus compliqué. En plus, il y a des vols tous les jours mais on ne nous veut pas dans nos pays. Aidez nous… qu’est ce qu’on va faire, monsieur ? » . Même crainte pour Marco, le Serbe retenu à Lyon depuis 40 jours : « Il y avait un vol pour partir mais il a été annulé. On a demandé la libération mais cela a été refusé …Et maintenant je ne sais pas comment ca va se passer parce que la Serbie ne prend pas les personnes venant des CRA parce qu’ils savent qu’il y a des contaminations par le virus. »
Le Préfet Thierry Suquet connaît cet argument et le balaye : « On a des retours réguliers dans un certain nombre de pays, notamment par avion. Après, c’est vrai qu’il y a des conditions particulières dans certains pays. Probablement, la durée de rétention d’un certain nombre de gens est plus longue qu’elle ne l’a été dans le passé. Probablement, un certain nombre de gens pensent qu’ils ne repartiront pas. Ce n’est pas le cas. Et je vous rappelle que tout cela se fait sous le contrôle du juge. Quand celui-ci estime qu’il n’y a pas de possibilité de renvoyer les gens dans leur pays, il met fin à la rétention au profit d’un contrôle administratif et d’une assignation à domicile.» assure-t-il.Tout cela se fait sous le contrôle du juge
Forum Réfugiés partage ce constat et réclame aussi une trêve dans le fonctionnement des CRA : « La situation est loin d’être parfaite. Elle n’est pas acceptable dans la mesure où les personnes sont enfermées sans perspective concrète. Pour vous donner un exemple : l’Algérie a fermé ses frontières. Mais depuis le début du confinement, les Algériens continuent à être enfermés ici. Il y a plusieurs pays dans le même cas, et pourtant on continue de retenir enfermés les personnes. La situation ne peut pas être acceptable. Les autorités doivent arrêter les placements, au moins pour ces pays où on a une certitude que les personnes ne seront pas éloignées. ». Assane NDawe estime que le risque pandémique devrait tout de même infléchir davantage les décisions préfectorales : « On ne peut pas continuer à gérer les choses comme ça. Il y a deux poids deux mesures : à l’extérieur, on interdit à tout le monde de se rassembler, mais on crée les conditions de rassemblement des personnes enfermées dans les CRA. Vu la situation, je pense qu’il faudrait suspendre les placements et fermer les centres le temps de l’épidémie. »
Le Sénateur Thomas Dossus craint que la situation puisse devenir problématique sur le plan mental: « L’absence de perspective de retour au pays entraîne aussi une dégradation de l’état psychologique des retenus. Entre les frontières fermées et la crainte de la Covid, l’enfermement devient un enfer à vivre pour eux » constate-t-il. Un sentiment partagé par la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté Dominique Simmonot : « Les centres de rétention ressemblent de plus en plus à des prisons. Avec des barbelés, des surveillants… C‘est un univers très carcéral et sécuritaire, qui d’emblée donne une impression d’étouffement. »Les centres de rétention ressemblent de plus en plus à des prisons
Les étrangers délinquants ciblés par les autorités
L’avenir immédiat des personnes en situation irrégulière aurait-t-il fait l’objet de consignes particulières ? C’est ce que croit Dominique Simmonot, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Observatrice indépendante de ces sites, son rôle est de les visiter et de faire des observations – destinées aux responsables du centre, et puis ensuite aux ministres. « En espérant qu’elles sont suivies d’effet », précise-t-elle. « Dans le cas contraire, j’alerte la presse. » Selon elle, le gouvernement aurait donné de nouvelles consignes dans un but précis : « Dans ces centres, on trouve effectivement des étrangers qui ont des nationalités qui rendent impossible leur retour au pays en ce moment. Donc on se demande : à quoi bon ? Il y a là tous les sortants de prison, que l’on amène là dès qu’ils finissent leur peine, quelle que soit leur nationalité, et pour 90 jours maximum. J’ai fini par comprendre que les autorités espèrent trouver certaines personnes parmi eux. Cela répond à des « instructions » ministérielles. Ils espèrent y trouver des « dublinés », c’est à dire des gens qui ont laissé leur empreinte dans un autre pays d’Europe, avant d’arriver en France, et vers lesquels on peut donc les expulser. »Le Préfet à la sécurité dément une partie de ces allégations. Il rappelle que les « Dublinés » qui sont demandeurs d’asile dans un autre pays européen à l’intérieur de l’espace Schengen sont «des gens que l’on cherche à identifier déjà depuis longtemps. Donc il n’y a pas de consigne récente. En revanche, il peut effectivement y avoir dans les CRA des gens qui sont des « sortants de prison » qui ont posé des problèmes d’ordre public sur lesquels on considère que la reconduite est un impératif, compte-tenu des difficultés que ces gens posent. Il y a là-dessus, en effet, un travail de fond. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est exprimé plusieurs fois sur ce sujet. Les délinquants seront raccompagnés et sont donc placés dans les CRA avec cet objectif.» rappelle-t-il.Les délinquants seront raccompagnés et sont donc placés dans les CRA avec cet objectif.