"Nous sommes des gens comme les autres". En ces temps de confinement, la vie du diocèse de Lyon continue… Mais elle s’est transformée. Comment? L'évêque auxiliaire de Lyon, Monseigneur Emmanuel Gobilliard, a répondu à nos questions.
Comme tous les Français, vous êtes, Monseigneur Gobilliard, vous aussi confiné…Eh oui ! Nous, les hommes d’Eglise, sommes des gens normaux qui vivons comme les autres, avec les mêmes soucis. A titre personnel, pour respecter le confinement, je suis toujours chez moi, dans mon 50m2 dans l’archevêché. Je vais faire mes courses quand j’en ai besoin, je fais mon jogging une fois par semaine, j’ai emprunté un vélo d’appartement… Il faut bien s’entretenir!
Comment se passe le confinement à l’archevêché?
Il se passe bien. L’archevêché, c’est un peu comme un immeuble avec ses appartements. Nous sommes situés dans un ancien couvent place Saint-Irénée à Lyon. Nous devons être une trentaine au total, sans compter la communauté religieuse des soeurs "Palavra viva" qui elles, vivent confinées un peu toute l’année, dans une aile à l’écart du bâtiment. Sinon, il y a la maîtresse de maison de 70 ans qui a toujours vécu ici, et notre administrateur apostolique, monseigneur Dubost… Nous accueillons également trois colocations Lazare où se côtoient des jeunes actifs, des étudiants et des hommes et femmes en difficulté, anciens sans-abris. Nous avons tous nos appartements, où nous restons confinés. Il nous arrive de nous croiser de temps en temps, notamment au jardin. On s’arrange pour ne pas y aller au même moment. Nous gardons nos distances et nous respectons les gestes barrière. Pour sortir, nous avons tous des masques en tissu homologués qui nous ont été offerts par une entreprise. On fait très attention, et pour l’instant cela porte ses fruits. Nous n’avons eu aucun cas de Covid-19 apparent, pas de symptôme. On a été très prudents jusqu’ici.
Malheureusement, certains prêtres du diocèse n’ont pas eu cette chance…
Non. Comme je le disais plus tôt, nous sommes des gens comme les autres, avec leur pathologie. Nous avons perdu six prêtres depuis le début de l’épidémie, emportés par le coronavirus. Père Chalvin, ancien prêtre de la congrégation du Prado, nous a quittés cette semaine. C’est moi qui ai officié pendant son enterrement, ce vendredi.
Dans ce contexte épidémique, les enterrements sont devenus un enjeu majeur pour les prêtres. Comment assurent-ils la célébration des funérailles des défunts?
On a beaucoup plus d’enterrements. Dans certaines paroisses, il y en avait un ou deux par semaine. Pas plus. Maintenant, on peut monter jusqu’à sept ou huit. Au début, c’était très compliqué, car il y avait des incompréhensions avec les pompes funèbres. Les conseillers funéraires ne pensaient pas que les prêtres pouvaient être sollicités. Aujourd’hui, ils se déplacent dans les cimetières avec eux, parfois même dans les églises. Qu’ils soient seuls avec le cercueil ou avec la famille du défunt (jamais plus de 20 personnes au total), les prêtres du diocèse qui officient ont tous des masques. Mais on remplace ceux qui ont plus de 70 ans par des plus jeunes. Nous ne voulons prendre aucun risque pour leur santé non plus.
Avec cette crise sanitaire, les aumôniers peuvent-ils toujours intervenir auprès des malades ?
Il y a une vraie différence en fonction des cas. Dans les EHPAD, cela dépend du directeur. Il arrive qu’un aumônier puisse s’approcher pour faire une prière avec le mourant. Dans d’autres maisons de retraite débordées, c’est impossible, et ce sont les infirmières qui ferment les cercueils… C’est très dur. Parfois, il y a des aides-soignants qui rivalisent d’idées, et se mettent à lire des prières, des mails des familles aux malades, ou organisent des conversations skype. Je trouve admirable qu’on fasse un tel effort pour les accompagner lorsque l’aumônier ne peut rentrer dans l’établissement. Mais, cela reste difficile. A l’hôpital, les aumôniers peuvent maintenant rentrer dans les chambres des plus malades et font un travail remarquable. Souvent, ce sont des prêtres qui répondent aux sollicitations. Ils accompagnent les mourants, équipés en blouses, sur-blouses, gants et masques… Ils peuvent donc aller dans les chambres en restant à deux mètres de la personne. Cela permet d’avoir une prière lorsqu’on est sur le point de partir… Ils font le lien avec la famille qui ne peut pas aller en chambre, ils font passer des messages… C’est admirable.
Avez-vous dû arrêter vos activités cultuelles?
On célèbre toujours, mais la différence, c’est que cela se fait en ligne et sur les ondes. La Chapelle de l’archevêché a été transformée en studio, avec des micros, une caméra… Cela nous sert à diffuser les messes les soirs de semaines sur RCF, et le dimanche sur France Culture. Et puis nous avons notre chaîne Youtube pour permettre à nos fidèles de suivre la prière quotidienne de 18h15 en direct. Nous ne sommes que cinq personnes sur place pour l’ensemble de la communauté, et tous à distance les uns des autres. Quand l’un gère la lecture, l’autre prend en charge la caméra. Il y a des chanteurs et un pianiste le dimanche. Pas de fidèles sur place, mais c’est très important de garder le lien avec eux grâce à la technologie. Et ça marche : nous avons gagné près de 1000 abonnés sur notre chaîne Youtube depuis le début du confinement.
Qu’est-ce qui a changé pendant les messes ?
C’est à la fois une tristesse de ne plus voir nos fidèles, et en même temps, c’est une bonne chose d'observer se développer cette dimension domestique de la religion catholique que nous avions un peu délaissée. Car, face au confinement, nous nous sommes adaptés. Les changements pendant la messe, c’est beaucoup de pédagogie. On s’est posé la question au moment de la communion… Comment recevoir l’ostie? Comment les gens peuvent faire chez eux? Le pape nous a rappelé que la foi peut très bien passer par le lien spirituel avec Dieu. Elle dépasse largement les conditionnements et le cadre de l’église. Je parle donc beaucoup aux fidèles en les guidant pendant les live Youtube. On ne peut pas se donner la paix du Christ, mais je leur dis: "Pensez à ceux que vous aimez"… L’important, c’est que les fidèles créent leur propre liturgie, vivent leur foi intime. Et cela, c’est possible à distance, que l’on soit en famille ou seul chez soi. Nous, de notre côté, on traduit les gestes barrière de manière liturgique. Avant, on se serrait la main pour la paix du Christ. Maintenant, on fait comme les Chinois: on joint les mains et on se fait un grand sourire!
Avec le confinement, de nombreux mariages et de nombreux baptêmes ont été annulés… Comment les prêtres du diocèse comptent s’adapter ?
Malgré la crise, l’organisation de la vie du diocèse continue. Et, en même temps, on ne peut pas vivre comme avant. On est au service des mariages et des baptêmes, mais d'une manière différente. Ceux qui devaient se marier doivent attendre… Car le mariage religieux sans passer par la case mairie est interdit par la loi. On ne peut pas marier les gens qui ne sont pas mariés civilement. Beaucoup de couples reportent donc tout d’un an. D’autres repoussent après le 15 juillet, même s’ils savent que moins de gens seront présents. D’autres préfèrent les prévoir pour cet automne. Dans tous les cas, les prêtres vont être très occupés à l’automne, et même l’année prochaine. Dans certaines paroisses, le nombre de mariages risque de doubler… De fait, on va s’adapter car, le plus important, c’est que le mariage ait lieu. On peut faire trois ou quatre mariages sur une même journée, quitte à réduire la durée de chaque cérémonie. Mais cela sera un énorme surcroit de travail. Les baptêmes, eux, sont plus simples à réorganiser. Car, on peut très bien imaginer dix baptêmes d’enfants pendant la messe. Il devait y avoir 200 baptêmes d'adultes pour Pâques, qui n’ont pas eu lieu. Du coup, chaque paroisse devra les reprogrammer. Mais, c’est clair que tout est un peu remis en question et on essaye de s’adapter. On attend avec impatience les jauges. Si le président Emmanuel Macron ou le Premier ministre Edouard Philippe disent "pas plus de 10, 20 ou 500 personnes" lors de ces cérémonies après le déconfinement, ce ne sera pas la même chose... Nous verrons.