Sami est de Vaulx-en-Velin. Il a un rêve : franchir la frontière qui sépare sa banlieue de la ville. La ville, c'est Lyon et la barrière est celle du langage. Dans " Les mots dont on hérite ", Sami Ahmadi raconte ce qui se passe quand on envisage d'aller de l'autre côté de la frontière. Un itinéraire semé d'embûches surtout quand on ne possède ni les codes de la ville, ni son langage.
La première fois que j'ai vu Sami, c'était en visioconférence. Il venait de remporter le prix "Graine de doc". Un concours initié par "Tournez s’il vous plaît", une société de production parisienne et par France Télévisions. Il offre à un étudiant ou une étudiante en fin de formation, un contrat rémunéré pour réaliser son premier documentaire. Sami avait séduit le jury de professionnels avec un projet ambitieux autour du langage. Lui, enfant de Vaulx-en-Velin, futur journaliste, voulait raconter son parcours, raconter comment il est difficile de passer de la banlieue à la ville quand on n'en possède ni les codes, ni le langage.
Un môme de banlieue qui veut aller le plus loin possible
Lors de cette visioconférence, j'avais trouvé qu'il mettait la barre un peu haut à vouloir nous expliquer comment le langage peut être un facteur de rejet. Mais ce jeune homme aussi déterminé que réservé n'avait rien lâché et tout en douceur nous avait raconté son histoire : celle d'un môme de banlieue, cadet d'une famille monoparentale issue de l'immigration, qui voulait aller le plus loin possible.
C'est au collège que Sami prend conscience de l'importance des mots. Le jour où dans une réunion parents-profs, sa mère ne pose aucune question. Et si elle se tait, c'est parce qu'elle ne comprend pas tout : " Tu voyais les parents poser des questions. Moi je me taisais, confie-t-elle. J'écoutais. C'est tout ". Et aujourd'hui, ça se passe comment dans les réunions parents-profs ? Souvent de la même façon. Pour le film, Sami est retourné dans son collège. Il a rencontré des parents, souvent gênés devant les profs mais déterminés à ne pas faire vivre à leurs enfants ce qu'eux-mêmes ont vécu, faute de dialogue, faute d'assez de mots pour s'exprimer.
A l'école on nous disait qu'on pouvait devenir ce qu'on voulait...
Sami Ahmadi, réalisateur
Alors Sami se donne les moyens. Cette frontière qui le sépare de la ville, il veut la traverser à tout prix. Pour ce faire il choisit, en seconde langue, celle de ses grands-parents : l'arabe.
Un fort sentiment d'injustice
Le voilà dans un lycée lyonnais où les clichés ont la vie dure : " C'est qui ce type en survêtement en arts plastiques ?..Vaulx-en-Velin, ça craint... Il y a des voitures qui brûlent toutes les nuits.. Il n'y a que des racailles là-bas " etc. L'expérience lyonnaise ne durera qu'un an. Sami retourne à Vaulx en fin de seconde, en colère et avec un fort sentiment d'injustice : " J'ai compris que je n'étais pas un petit gars qui voulait aller le plus loin possible, mais un banlieusard, un gamin de cité "
Vaulx-en-Velin, ce n'est pas une ville. C'est un marqueur, une identité sociale.
Hacène Belmessous, chercheur
Sami va la porter longtemps son "identité sociale", comme son amie, Mina " douée en tout " et pianiste. Elle ne s'est jamais présentée à l'oral de Sciences Po par peur de manquer de vocabulaire. Comme ces ados rencontrés dans un club de boxe à Vaulx : " Nous, on sait très bien qu'on a le bon langage, dit Riadh, mais quand on va à Lyon, eux pensent que non. Peut-être parce que leur langage est plus soutenu que le nôtre qui est plus familier ".
Un signe d'appartenance au groupe
L'histoire serait-elle condamnée à se répéter sans cesse ? À faire que les enfants des banlieues restent dans leurs banlieues ? À les obliger à se défaire de leurs codes, de leur langage, des mots qui leurs sont propres pour entrer dans un moule ?
" Sûrement pas, répond le rappeur Engal Sama, lui aussi enfant de Vaulx-en-Velin. Ce n'est pas parce qu'ils ont peu d'espace pour utiliser leur langage qu'il est inutile. C'est aussi un signe de reconnaissance, d'appartenance à groupe. Surtout quand tu es jeune. Longtemps j'ai cherché à parler bien, maintenant je rappe comme je parle ! ".
Avec un Bac+5, Sami Ahmadi a "réussi", comme on dit. Il est de cette minorité de fils d'ouvriers qui a fait des études supérieures (ils sont à peine 10%). Quand je lui demande pourquoi il tenait tant à faire ce film, il me répond : " Il faut savoir d'où on vient et s'affirmer sans honte. Même quand c'est difficile ". Alors revenir sur ses pas était nécessaire pour comprendre ses maux. Il y a mis des mots et des images avec l'espoir de trouver un langage commun, pour que la glottophobie, discrimination par le langage, disparaisse un jour.
" Les mots dont on hérite " de Sami Ahmadi. A voir le jeudi 7 novembre sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes à 22h45 et déjà sur france.tv