"Je me disais, ça ira mieux l'an prochain, avec une autre classe", Isabelle raconte pourquoi elle a quitté l'enseignement

Après 11 ans dans l'Éducation nationale, elle a claqué la porte. Isabelle Chamade était professeur de mathématiques à Anse, dans le Beaujolais. Elle témoigne d'une décennie à enseigner, tiraillée entre sentiment d'enfermement, manque de préparation pour affronter une classe et épuisement nerveux.

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"Je me dénigrais beaucoup, je ne me sentais pas respectée, mais il y avait l'envie de transmettre les mathématiques", explique Isabelle Chamade. À 37 ans, la jeune mère de famille est aujourd'hui épanouie. Son passage dans l'Éducation nationale, un calvaire. C'est à présent un chapitre définitivement clos dont elle arrive à parler avec un semblant de détachement. "Ça ne me manque pas du tout, mais pas du tout", résume-t-elle en riant. Un témoignage fort à l'heure où l'Éducation nationale fait état d'une inquiétante pénurie d'enseignants à la rentrée prochaine. Le syndicat SNUipp-FSU annonce un millier de postes vacants à la rentrée 2023.

"Bordélisée"

Après les classes prépa, des études de mathématiques et un Capes décroché en 2009, Isabelle a commencé sa carrière d'enseignante dans un collège du Limousin. Un établissement tout ce qu'il y a de plus ordinaire, loin des zones sensibles. Une première année et les premiers tracas pour l'ancienne bonne élève. "Déjà là, je sentais que j'avais des difficultés, je n'étais pas une bonne animatrice," explique-t-elle. Problèmes de discipline en classe, manque de charisme, difficulté à se faire respecter, à trouver le juste ton. Une enseignante "trop stricte" ou "trop cool".

Je n'étais pas une bonne animatrice, j'avais des problèmes de discipline et de gestion de groupe.

Isabelle Chamade

Lors de cette première année, elle se retrouve facilement "bordélisée", selon ses mots. Comprenez : débordée par "des gamins de 13 ou 14 ans". Une première expérience marquante, dont elle rit aujourd'hui, mais dont elle réalise après-coup la gravité. La jeune femme avoue : elle a du mal à trouver sa place face à un public d'adolescents. Elle peine à se faire accepter. Alors certains de ses élèves sont peu à peu devenus des "ennemis".
Les cours, elle en sort lessivée, épuisée. "J'étais toujours en sur-adaptation. Physiquement, pour ma voix par exemple, c'était vraiment fatiguant", raconte-t-elle. La jeune femme, qui a l'impression de descendre dans l'arène à chaque heure de cours, parle d'un métier "traumatisant pour les gens sensibles", un métier dont elle avait peut-être "idéalisé la réalité".

On est en représentation. Il faut savoir jouer un rôle, prendre l'habit du prof (...)Je prenais tout en pleine face. Je me retrouvais à pleurer dans ma voiture.

Isabelle Chamade

Avec du recul, Isabelle fait aujourd'hui son mea culpa. En bonne scientifique, elle analyse aussi froidement le problème."Je devais faire trop jeune. Je n'avais pas les armes et je ne les ai pas trouvées". Et elle ajoute : "si j'avais eu un BAFA, et pas un CAPES, j'aurais été mieux armée". Les qualités nécessaires pour faire un bon professeur face à une classe : "le premier truc, c'est la discipline et avoir confiance en soi", assure-t-elle.

"Ça me faisait souffrir"

Mais Isabelle n'a pas lâché prise de suite. Malgré ce premier stage peu concluant, elle persiste et réalise le parcours sans faute d'une bonne élève fière de marcher dans les pas de ses maîtres : une année comme titulaire d'une zone de remplacement, six années dans deux différents établissements de Bourgogne, avant d'atterrir dans le Beaujolais.

Isabelle s'est accrochée pendant 11 ans à son métier. "Chaque année, je me disais, ça ira mieux l'an prochain, avec une autre classe". Au fil des ans, l'enseignante ne se blinde pas. Au contraire, c'est une descente progressive. "Quand la classe était sympa, ça passait. Mais il suffisait d'un seul gamin et je ne gérais plus". L'ancienne enseignante n'hésite pas à avouer qu'elle perdait ses moyens.

Il suffisait parfois d'un seul élément perturbateur et je ne gérais pas très bien. (...) Je ne me sentais pas en confort. Il n'y avait pas d'adéquation entre moi et le métier.

Isabelle Chamade

Jusqu'en 2019. Un retour de congé maternité et c'est le cours de trop, raconte-t-elle. "Je suis allée trop loin, j'aurais dû arrêter avant", explique-t-elle. "Je n'aurais peut-être pas dû faire des années de collège". L'arrêt de travail tombe comme une fatalité : 10 mois d'arrêt maladie.

Son dernier cours de math, elle l'a donné en novembre 2020 dans un collège "classique", à Anse, une petite commune du Beaujolais. Elle y a enseigné pendant quatre ans. Aujourd'hui, elle n'a ni regrets, ni amertume vis-à-vis de ses ex-collègues. Au contraire. "Pourtant, dans mon dernier collège, le travail en équipe était top, je ne pouvais pas mieux tomber après 7 ou 8 ans", temporise la jeune femme. 

Pas de ressentiment non plus vis-à-vis de sa hiérarchie ou de l'Éducation nationale : "ils essayaient de m'écouter. Je suis allée au rectorat de Lyon, j'ai fait un bilan de compétences, mais c'est très difficile d'aider un prof". Changer d'établissement ? Alléger son emploi du temps ? Poser des congés maladies à répétition ? La jeune femme ne voyait pas d'issue autre que la rupture conventionnelle. La crise sanitaire et le confinement ont aussi pesé dans la balance, avec des cours filmés qui apportaient à Isabelle plus de créativité et de liberté. 

"Sauver ma peau"

Victime d'un "burn out émotionnel", Isabelle l'hypersensible a préféré battre en retraite pour se préserver. Quitter l'Éducation nationale n'a cependant pas été une décision simple à prendre. L'enseignante évoque un abandon teinté de culpabilité. "Ça me faisait souffrir, mais ça a été dur de quitter mon métier. C'est un job rêvé pour beaucoup. J'ai renoncé à un certain confort financier et matériel - un salaire fixe, des vacances. J'ai perdu mon statut de fonctionnaire. Aujourd'hui, je gagne beaucoup moins d'argent."  

J'avais fini par penser que je ne valais rien, alors que je suis capable de fournir beaucoup de travail.

Isabelle Chamade

Terminée l'angoisse du retour à l'école le lundi pour la jeune femme : "le dimanche soir, je n'ai plus la boule au ventre".  Pas de retour en arrière possible. Le chapitre est définitivement clos. La jeune femme est l'heureuse maman d'une fillette de trois ans. Si Isabelle parle avec un grand recul de son expérience d'enseignante malheureuse, la plaie n'est pas tout à fait cicatrisée. "Quand j'entends la chanson "Sauver ma peau", je pleure", explique l'ancienne prof de math.

Crise des vocations ?

Après une année en alternance d'études statistiques à Bron, Isabelle a retrouvé un équilibre professionnel. Elle travaille à ce jour pour un cabinet-conseil : "J'ai découvert qu'il existait autre chose que l'Éducation nationale. Je m'étais enfermée toute seule dans une routine". 

Si la crise des vocations dans l'enseignement semble de plus en plus évidente, avec de moins en moins de candidats aux concours, comment l'explique-t-elle ? Les causes sont multiples, mais l'image des enseignants y est pour beaucoup, selon la trentenaire. "Les élèves ont une image dévalorisée des profs, ils les malmènent pas mal (...) Il faudrait une décision politique pour instaurer quelque chose de plus sain", avance Isabelle.

Plus que des solutions, elle fait surtout des constats sur la charge de travail : "il faudrait moins d'élèves dans les classes ; on manque notamment de moyens humains ; les programmes sont trop lourds pour 30 élèves par classe ; l'emploi du temps est dilaté". Sans compter les tâches administratives qui se multiplient. "Moi, j'avais perdu de vue ma mission première", résume la jeune femme. 

Son expérience, Isabelle Chamade l'a racontée dans un livre-témoignage paru en 2022 et intitulé : "Prof HS" (éditions Hello).

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