Alors qu'à Lyon, l'offre locative est très inférieure aux besoins, les professionnels de l'immobilier accusent la mesure de contribuer à aggraver la pénurie de logements.
C'est un anniversaire au goût amer. Il y a un an, en novembre 2021, pour défendre le pouvoir d'achat, la métropole de Lyon instaurait l'encadrement des loyers : un plafond instaurant un prix maximum des locations à Lyon et à Villeurbanne. Une mesure pour limiter la hausse des prix, que la Métropole vante régulièrement sur les réseaux sociaux. Sauf qu’un an plus tard, les professionnels dénoncent des effets pervers, qui pourraient finalement... Aggraver la pénurie de logements !
Appartements à vendre
Devant son écran, Cédric Arnaud, négociateur immobilier pour l'agence Billon - Foncia, fait les comptes : sur les petites surfaces, dans l'ancien, je compte 422 annonces actuellement à Lyon, c'est incroyablement élevé ! Le marché est en train de s'écrouler là !" Dans les agences immobilières de la métropole de Lyon, le constat est largement partagé : de plus en plus de petites surfaces sont proposées à la vente, et mécaniquement, de moins en moins le sont à la location. La raison : de nombreux petits propriétaires ne souhaitent plus louer, considérant que le plafond est trop bas par rapport à leurs attentes.
Véronique Deydier, agente immobilière, nous emmène visiter un de ces appartements nouvellement proposés à la vente. Un bien d'une quarantaine de mètres carrés, dans le 3e arrondissement, "idéal pour la location auprès d'étudiants ou de jeunes actifs". Depuis une trentaine d'années, l'appartement était effectivement loué. Mais en 2022, le propriétaire a changé d'avis. "Il le louait 720 €, mais le plafond de l'encadrement des loyers est situé à 620 € ici. Compte tenu des frais annexes qu'il avait à payer, ça ne devient plus du tout rentable pour lui de continuer à louer ce bien, donc il a décidé de le vendre." Un exemple parmi d'autres : "depuis un an, on a eu énormément de propriétaires qui nous ont demandé de mettre en vente ou de pas relouer parce que l’encadrement ne correspondait plus à leur projet d’investissement," déplore l'agente.
Il y a encore un an, on avait plusieurs appels par jour d'investisseurs pour acheter des biens locatifs. Là, sur les 3 derniers mois, j’ai du avoir 3 investisseurs
Cédric Arnaud, agent immobilier
"Plus rien à louer"
Les offres de ventes s'accumulent... Et il n'y a plus de candidats pour acheter. Sur les petites surfaces, Cédric Arnaud constate un marché immobilier à l'arrêt : "il y a encore un an, on avait plusieurs appels par jour d'investisseurs pour acheter des biens locatifs. Là, sur les 3 derniers mois, j’ai du avoir 3 investisseurs ! C'est simple, on est quasiment à zéro contacts. Ce n’est pas possible ! Un investisseur, quand il investit, il regarde le rendement locatif, donc s'il constate qu'à Lyon ou Villeurbanne, le rendement est quasi nul, (...) il va aller acheter ailleurs," regrette le négociateur.
Pour Nicolas Bouscasse, Président de la FNAIM (Fédération des Professionnels de l'Immobilier), l'encadrement des loyers est venu s'ajouter à d'autres freins qui impactent le marché locatif, comme les nouvelles mesures de Diagnostic de Performance Energétique (DPE), qui interdisent la location des biens les plus mal notés. Résultat : de moins en moins de biens proposés à la location, alors que Lyon fait déjà face à une pénurie de logements : "Ca fait à peu près cinq ans qu’on a un marché locatif difficile, mais là ça devient vraiment, vraiment, terrible", s'agace M. Bouscasse. "C'est bien facile de faire l’encadrement des loyers quand ce n'est pas à vous d'expliquer à des familles, qui ont écumé toutes les régies, tous les propriétaires, depuis des mois, qu'on n'a plus rien à louer."
Reportage Mathieu Boudet / Margot Gesiot
Les loyers ne baissent pas
Pour les appartements toujours disponibles, l'encadrement des loyers n'empêche pas, paradoxalement, le jeu de l'offre et de la demande, et donc des prix toujours aussi élevés. Mécaniquement, le manque d'offres locatives incite en effet les locataires qui le peuvent à accepter d'acquitter des loyers plus élevés que ceux définis par le plafond théorique de la métropole, quitte à être dans l'illégalité. Selon des données de la Métropole, 70% des prix proposés sont ainsi, actuellement, au-dessus du plafond. Légalement, la majorité des propriétaires concernés profitent d'une "zone grise", permise par "le complément de loyer" de 20% supplémentaires au plafond. Ce dernier est permis, théoriquement, lorsque le logement offre des "caractéristiques particulières de localisation ou encore de confort". Une donnée suffisamment subjective pour être appliquée abusivement. D'autres propriétaires trouvent par ailleurs diverses astuces pour dépasser le plafond, ou s'accordent directement avec leur locataire.
Cette tendance entraîne par ailleurs un autre effet négatif qui impacte cette fois le marché intermédiaire, à savoir les agences immobilières : ces dernières étant contraintes de respecter la législation, de plus en plus de propriétaires préféreraient assurer eux-mêmes le lien avec leur locataire, et mettre fin à la sous-traitance par une agence. "Nous avons très peu de nouvelles offres de logements à louer sur le marché intermédié, et ça risque de se tarir", se désole Nicolas Bouscasse.
La Métropole veut plus de contrôles
Ces phénomènes ne sont pas chiffrés : ils sont difficiles à quantifier, et les raisons d'une mise en vente peuvent être multiples. Alors la Métropole fait la sourde oreille aux alertes des professionnels de l'immobilier. Et refuse de voir un échec potentiel de sa mesure. Renaud Payre, Vice-président de la Métropole de Lyon en charge de l'Habitat, assure ne pas constater de signaux alarmants : "nous ne remarquons pas de désengagement [des investisseurs]", relativise-t-il, tout en assurant rester attentif. Il a prévu de les réunir, à l'occasion des un an de la mesure, les représentants du secteur immobilier pour dresser un premier bilan : "je reste dans le dialogue, pour qu’on mesure les évolutions, parce qu'effectivement, ça peut avoir des effets sur tous les aspects", concède-t-il.
Mais si les effets sur le marché immobilier se révélaient avérés, c'est par de nouvelles règlementations contre les propriétaires qu'il répondrait : "si cela conduisait à davantage de logements vacants, alors ça abonderait une autre politique (...) : le contrôle des logements vacants. Parce qu’on ne peut pas se permettre d’immobiliser des biens quand on est dans une telle pénurie de logements dans notre métropole"…
En attendant, ce qui préoccupe avant tout les élus de la Métropole de Lyon, c'est le non respect des plafonds de l'encadrement : "le premier des effets qu'on constate, c'est le contournement [du plafond], donc nous serons vigilants sur cet aspect," prévient Renaud Payre. Des moyens de contrôles supplémentaires sont envisagés, et la logique de sanctions pourrait être renforcée. Actuellement, certains agents de la Métropole sont chargés de vérifier la qualité et le niveau de loyer des logements à louer. Mais ces derniers ne peuvent intervenir que s'ils sont sollicités par les locataires. Lesquels, conscients de la pénurie de logements disponibles, ne préfèrent généralement pas se risquer à contester les prix demandés.