Elles ont été gardées secrètes par le Pentagone pendant vingt ans, mais le New York Times vient de publier des photos des premiers prisonniers transférés à Guantánamo, sur l’île de Cuba. Pour le lyonnais Mourad Benchellali, ex-détenu du centre militaire, « c’est nécessaire, mais douloureux ».
On y voit des hommes aveuglés, parfois par des masques, parfois par des sachets poubelles, les mains attachées avec du scotch, un casque sur les oreilles. Tous habillés d’orange fluo, ce sont les tous premiers prisonniers arrivés à Guantanamo. Ces images viennent d’être publiées par le New York Times. Et en les découvrant, Mourad Benchelalli a eu "un terrible flashback".
De mauvais souvenirs
"Depuis deux jours, je ne suis pas bien, ça ravive beaucoup de choses… ça me rappelle la perception que les gardiens avaient de nous, nos relations, comment ils nous traitaient… Mais c’est une bonne chose".
L’ancien détenu de Guantanamo n’a jamais hésité à raconter les conditions de détention et les sévices qu’il a pu subir dans la prison militaire. Depuis 15 ans, le Lyonnais intervient dans les collèges et lycées pour parler de déradicalisation. Sans relâche, il raconte son parcours, ses erreurs, son cauchemar.
"Ces photos sont édifiantes, elles disent beaucoup de choses, cela explique les tensions avec les gardiens, les craintes des prisonniers". Considérés comme "le Mal" dans la guerre contre le terrorisme en provenance d’Afghanistan, les militaires américains se permettent envers eux les pires atrocités.
"Ca conforte notre témoignage, ce n’était pas la colonie de vacances… On nous reproche parfois d’en rajouter, mais ça démontre que non". Détenu pendant deux ans et demi, puis libéré en 2006, l’ex détenu a porté plainte pour séquestration, mais la procédure a abouti à un non-lieu.
Ces photos, prises par des militaires, ont été obtenues par la presse américaine, après de nombreuses années de bataille juridique, grâce au Freedom of Information Act (la loi sur la liberté de l’information).
Déclassifier, c’est assumer ses responsabilités, une partie de son Histoire, c’est une démarche positive
se félicite Mourad Benchellali
Il regrette cependant que ces photos passent aujourd’hui "presque inaperçues" dans les médias. Moins violentes que celles faites dans la prison d'Abou Ghraib, où l’on voit des prisonniers physiquement et sexuellement abusés, les clichés de Guantanamo ont peu fait parler d’eux dans la presse européenne.
Pourtant, il l’assure, de telles images existent. "Je sais que d’autres photos, bien plus graves, bien plus trashes ont aussi été prises, notamment pendant que je subissais des humiliations sexuelles et que j’étais filmé… Mais ça m’angoisse… J’ai peur de voir un jour ces images et que cela rouvre des plaies que j’ai mis des années à panser".
Malgré les engagements des présidents américains comme Barack Obama et Joe Biden, le centre de détention de Guantánamo n’a toujours pas été fermé et abrite aujourd’hui encore trente-sept prisonniers.