Jérôme Douheret a été condamné à Lyon pour "recel de cadavre" à 22 mois de prison ferme. Le meurtre à l'origine de l'affaire, commis en 2001 et avoué par son père, n'a jamais été jugé. Il est couvert par la prescription à cause d'une plainte perdue par les services judiciaires.
Cette condamnation solde un "cold case" ("affaire non résolue") datant de 2001 au parcours chaotique, marqué par la perte d'une plainte de la famille de la victime qui aurait pu lever la prescription. Jérôme Douheret vient d'être condamné à 22 mois de prison pour le recel du cadavre de Mohamed Abdelhadi. La peine maximale encourue étant de deux ans. Il comparaissait pour la dissimulation du corps dans un placard du domicile familial à Limas (Rhône), puis dans la cave de sa grand-mère à Caluire, près de Lyon, avant de l'enfouir dans un bois du Beaujolais.
Affaire prescrite à cause d'une plainte égarée
Mohamed Abdelhadi disparaît le 9 décembre 2001 à Villefranche-sur-Saône (Rhône) à l'âge de 27 ans. Pendant des années, sa famille multiplie les recherches sans aucune avancée.
Le dossier rebondit en 2015, quand une femme, victime de violences conjugales, accuse un père et ses deux fils, de l'avoir tué.
En garde à vue, le père avoue avoir frappé et poignardé Mohamed Abdelhadi, à cause du vol d'un lecteur de disques, dans un contexte de toxicomanie. Ses deux fils confirment la scène et précisent que le corps a été caché puis enterré dans un bois, où il a été retrouvé en 2016.
Le père est alors mis en examen pour meurtre et écroué pour meurtre, son fils aîné pour complicité et le cadet pour recel de cadavre.
Mais l'avocat du père saisit la justice, estimant que le délai de prescription de dix ans à compter du crime, est dépassé en l'absence "d'acte interruptif" dans la procédure.
Pourtant, en 2008, la famille de Mohamed Abdelhadi a déposé une plainte pour "disparition inquiétante" au commissariat de Villefranche-sur-Saône. Des numéros de procédures ont même été retrouvés dans les archives informatiques, mais les dossiers ont disparu des commissariats et des tribunaux locaux.
Après plusieurs épisodes judiciaires, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que le crime est prescrit, faute d'éléments matériels étayant l'existence d'un "acte interruptif". En conséquence, le père et le fils aîné ont bénéficié d'un non-lieu.
Légère altération du discernement
Ce jeudi 7 novembre, seul le fils cadet a été jugé pour "recel de cadavre". Pour cette "infraction continue", la prescription débute à la découverte du corps, soit en 2016, et non à la date du meurtre.
Il s'est retrouvé seul à la barre du tribunal correctionnel pour expliquer le meurtre dont il a été témoin et pourquoi il a gardé ce secret.
"Je suis resté tétanisé. Je n'arrivais pas à le croire. Je faisais ce qu'il demandait de faire", a expliqué le prévenu, en décrivant un père très violent et un contexte familial dégradé qui a favorisé son addiction aux stupéfiants. Convoqué comme témoin, son père ne s'est pas présenté à l'audience.
La présidente du tribunal correctionnel a choisi de ne pas suivre le procureur qui demandait deux ans de prison ferme. Elle a retenu une légère altération du discernement de Jérôme Douheret, sous l'emprise de stupéfiants et de son père autoritaire. Ce qui explique une peine légèrement inférieure au maximum légale de deux ans ferme qu'avait requis le procureur à l'audience du 8 octobre dernier. Elle a néanmoins motivé son jugement en rappelant la gravité des faits et la durée du silence (15 ans) du prévenu.
Une "forme de satisfaction"
Pour les sœurs de Mohamed, cette condamnation est une satisfaction. "C'était notre but, confie Rachida Abdelhadi. Pas de bracelet, pas d'emprisonnement sous contrôle judiciaire. Nous voulions qu'il soit privé de liberté comme il a privé celle de ma famille". Pour l'autre sœur, Nawel, la condamnation est à la hauteur car l'accusé "n'aura pas d'autre chose à faire qu'à penser chaque jour à Mohamed".
Rachida Abdelhadi parle d'un "procès hors norme". Premier procès au tribunal correctionnel pour un meurtre qui aurait déjà dû être jugé devant la Cour d'assises. "On a senti une atmosphère de Cour d'assises, ça a été très très éprouvant pour nous. Ça nous a permis de déposer tout ce qu'on traîne en nous, toutes nos vies qui ont bouleversé nos vies depuis quinze ans".
Le réquisitoire du procureur, qui demandait deux ans de prison ferme, a été le moment le plus fort de ce procès pour la famille. "Ma consternation n'est rien par rapport à votre colère" avant de présenter "les excuses de l'institution judiciaire" en raison des failles de la procédure. "Les mots du procureur ont été très forts parce que c'était la première fois que notre institution judiciaire nous présentait des excuses de vive voix" nous confie Rachida Abdelhadi.
Les sœurs Abdelhadi gardent l'espoir que d'autres procès viseront la famille Douheret. "Dans cette famille, aucun ne doit être en liberté, affirme leur avocat David Metaxas. Christophe - le frère de Jérôme - et Patrick (le père) doivent aussi être jugés". Rachida et Nawel ont aussi cet espoir. "Ce procès aujourd'hui, c'est un infime espoir qui s'ouvre à nous. Si on juge pour "recel de cadavre", on doit juger aussi pour un meurtre parce que l'un ne va pas sans l'autre".
Jérôme Douheret a été condamné à 22 mois de prison avec mandat de dépôt différé, c'est-à-dire qu'il commencera à purger sa peine dans quelques semaines.