Tatouage : "cette putain de règle, personne ne va la respecter", la fronde des professionnels, privés de certaines encres

Depuis le 4 janvier, une vingtaine d'encres sont interdites aux tatoueurs par la Commission Européenne. Ces substances sont jugées toxiques et dangereuses pour la santé. Mais dans les salons lyonnais comme partout en France, en l'absence d'alternative, on préfère continuer à travailler dans l'illégalité.

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«On nous a enlevé notre outil de travail, tout simplement », s'insurge un tatoueur au salon Artribal, sur les pentes de la Croix-Rousse. Depuis hier, il ne peut plus utiliser les mêmes encres que d'habitude. Nouvelles normes, nouvelles étiquettes. La Commission européenne a interdit 25 pigments et abaissé les seuils de plus de 4000 substances pour des raisons sanitaires. Mais les produits alternatifs sont introuvables.

Travailler dans l'illégalité

« Toutes les nouvelles encres sont out of stock, donc on est un peu bloqués... » ajoute l'artiste. Sur les réseaux sociaux, de nombreux professionnels ont annoncé devoir fermer leur salon au moins momentanément, faute de produits conformes. Chez Artribal, on compte sur l'indulgence temporaire des contrôleurs. « On a des charges, on a des familles. Et puis on est obligés de continuer les projets de gros tatouages commencés en fin d'année dernière ».

Ici, on termine donc les stocks d'anciennes encres et on reste sur le qui-vive pour commander les nouvelles. « En attendant, on est dans l'illégalité, mais on est transparent avec le client », assure le tatoueur. « Soit on utilise nos stocks, soit on ferme », confirme-t-on au salon A Color Trip. « Nous n'avons aucune information, on est dans le flou complet », dénonce la tatoueuse.

Le SNAT, syndicat national des artistes tatoueurs, pointe aussi le silence des fabricants. Ils sont très peu nombreux à proposer des produits conformes et à communiquer sur les nouvelles règles de fabrication. L'Europe avait pourtant accordé un délai de 12 mois au secteur mais le syndicat tient à rappeler qu'il faut entre 5 et 10 ans pour élaborer une encre de tatouage sûre et stable.

« Pour l'instant, je n'ai vu qu'une seule marque française commencer à proposer des nouvelles choses, des alternatives, mais les prix ont augmenté d'au moins un tiers », affirme-t-on encore chez A Color Trip. Et d'ajouter : « Alors, quand les règles seront claires et qu'on aura une vraie offre, peut-être que là, on passera aux nouvelles encres ».

« Cette putain de règle, personne ne va la respecter », professe-t-on plutôt chez Inky Dinky. Dans le milieu, on mâche rarement ses mots. « C'est n'importe quoi, on pousse carrément les gens à aller se faire tatouer plutôt dans des salons clandestins », regrette l'artiste, qui a pourtant commandé et reçu les nouvelles encres à temps.

Un enjeu sanitaire

Nickel, chrome, cobalt, autant de substances désormais interdites car elles sont, selon la Commission Européenne, dangereuses pour la santé. Ces substances et colorants « peuvent être cancérigènes, entraîner des mutations génétiques, affecter les capacités reproductrices, causer des allergies cutanées ou d'autres effets nocifs pour la santé », précise Sonya Gospodinova, porte-parole de l'exécutif européen à l'AFP.

La Commission s'appuie sur un rapport de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) pour étayer ses arguments. On y lit que ces pigments peuvent «migrer de la peau vers différents organes, tels que les ganglions lymphatiques et le foie».

Et même une fois supprimées par un traitement laser, les particules pourraient rester présentes dans le corps. « Etant donné que les produits chimiques utilisés dans les encres de tatouage et le maquillage permanent peuvent rester dans l'organisme toute la vie, il existe également un risque d'exposition à long terme aux ingrédients potentiellement dangereux », avertit donc l'agence.

Selon la Commissions européenne, il existe sur le marché des alternatives sans danger pour la santé. Des affirmations qui agacent les tatoueurs. « Cela n'a aucun sens, on a décidé tout ça sans consulter les professionnels. On nous dit que c'est peut-être cancérigène, mais peut-être, c'est pas scientifique, c'est une supposition. », s'énerve la tatoueuse de A Color Trip.



L'inquiétude sur la qualité des nouveaux produits



L'autre inquiétude des professionnels, c'est la qualité de ces nouveaux produits. « On ne sait pas comment ces encres vont se poser sur la peau, comment elles vont vieillir, on ne les connait pas... Chez nous, certains travaillent avec les mêmes encres depuis 25 ans, et là, on pouvait garantir les résultats... », explique-t-on chez Art Tribal.

Et il n'y a pas que les couleurs qui soient touchées. Les encres noires et grises aussi sont soumises à de nouvelles normes. «  On ne sait pas comment elles vont durer dans le temps, et si cela vire au vert dans 5 ans, c'est naze », ajoute-t-on chez A Color Trip.

La professionnelle craint également que la palette de couleurs ne soit considérablement réduite. « C'est une catastrophe, on avait chacun nos pigments et nos couleurs préférées, certains font des mélanges, mais certains non, et le marché des couleurs va être impacté, on nous bousille tout notre travail ! »

« Il va falloir s'adapter, changer notre style, on ne pourra plus utiliser les mêmes couleurs. C'est fou, c'est une vraie dictature », abonde le tatoueur de Lighthouse Tattoo, à Oullins, qui craint la concurrence. Car dans les autres parties du monde, en Asie, aux USA, ces substances seront toujours utilisées.

En Europe, où l'on estime que 12% de la population est tatouée, sept pays ont déjà banni ces substances en légiférant au niveau national. C'est le cas de la Belgique, de l'Allemagne, des Pays-Bas, de l'Espagne, de la Suède et de la Slovénie. Mais une pétition européenne a été lancée contre cette directive. Elle a rassemblé plus de 171.000 signatures.

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