L'ancienne Miss France et désormais comédienne Valérie Bègue partage avec l'immense comédien Jacques Boudet l'affiche de la pièce de Marcel Pagnol, "la Femme du Boulanger", à Lyon. Rencontre
Une brochette de personnages à l'accent qui chante et au verbe haut. Une intrigue amoureuse ponctuée d'humour et de répliques qui claquent. Le metteur en scène Alexandre Azan a soigné la mise en scène (et surtout en lumière...) de ce grand classique de Pagnol. A l'origine, il s'agit d'un film datant de 1938. L’histoire de ce "pauvre homme habité par un grand amour et qui ne faisait plus de pain parce que sa femme était partie" jouée par l'inoubliable Raimu. Le tournage avait alors été réalisé dans le petit village du Castellet, près de Bandol.
Bien plus tard, en 1985, l'histoire est adaptée pour le théâtre par Jérome Savary, avec Michel Galabru dans le rôle du boulanger. Il reprendra ce rôle plusieurs fois, notamment pour la télévision, jusqu'en 2012.
A Lyon, le Théâtre Tête d'Or redonne vie à cette histoire et ses personnages et c'est un franc succès, qui partira ensuite en tournée. C'est la jeune comédienne (et ancienne Miss France) Valérie Bégue qui incarne le rôle de la femme de Jacques Boudet. Ce dernier est un habitué des planches. Il déjà joué plusieurs fois dans la région, au TNP de Villeurbanne avec Roger Planchon, ou encore au Théâtre des Célestins, mis en scène par Jacques Seiler.
Le duo fonctionne bien, entouré d'une pléiades d'autres acteurs talentueux. Les deux comédiens ont accepté de répondre à nos questions. (ci-dessous)
Yannick Kusy : Vous sortez d’une représentation. Dans quel état d’esprit êtes vous?
Valérie Bègue : C’est fantastique. C’est formidable. On se nourrit tous les soirs d’un public lyonnais qui est charmant, accueillant… rieur… C’est agréable.
Jacques Boudet : Ah oui, un excellent public, qui suit vraiment. Comme cette pièce était un peu différente de la programmation habituelle dans ce lieu, on attendait de voir. Et bien, on a vu. C’est un succès. Ils sont là…ils sont dedans complètement. Ils écoutent Pagnol comme ils écouteraient n’importe quel autre auteur…
YK : Marcel Pagnol plane, en quelque sorte, sur cette scène. Et on pense forcément à certains comédiens, comme Raimu ou Michel Galabru, qui ont joué le même rôle que vous auparavant. Et vous ? Pensez-vous à vos prédécesseurs lorsque vous interprétez ce boulanger ?
JB : Non…Il y a longtemps que je n’ai plus vu le film. J’ai regardé quelques extraits sur youtube, ces jours-ci, par hasard. Je pense qu’il suffit de le prendre comme on le lit, sans s’occuper de ce qui a été fait avant. Cela n’est pas du tout présent. Je suis convaincu que Raimu l’a pris comme cela, sincèrement. J’avais aussi vu plusieurs fois la version avec Michel Galabru… De toute façon, c’est un classique, et voilà. En fait, il faut se dire qu’on ne fait pas un "remake", on joue bien un classique.
YK : Valérie, votre rôle est un peu ingrat. Celui d’une jeune femme à laquelle on fait beaucoup de reproches… L’avez-vous accepté facilement ?
VB : Oui. C’est un rôle que je défends. Je trouve que c’est un personnage touchant. Ce n’est pas que "la" femme horrible et volage, cette Aurélie. Cela me tient à cœur de la défendre, de la représenter autrement…pas aussi simple que l’on pourrait le lire à priori. C’était un vrai défi en fait. J’ai envie que les gens, en sortant de la représentation, se disent "mais elle n’est pas si mauvaise" . Nos personnages sont plutôt mignons, plutôt touchants.
YK : Comment vivez-vous cette seconde carrière de comédienne, auprès d’un "monument" du théâtre comme Jacques Boudet ?
VB : J’ai une chance folle de pouvoir être avec lui, d’apprendre de lui…
JB : C’est moi qui ai de la chance. Il y a des gens qui me disent "on vient te voir… mais pour voir Valérie" (elle rit)
VB : Il est d’une générosité, d’un professionnalisme… Il est inspirant. Je me régale, j’ai une chance incroyable.
YK : Jacques, on ne vous attendait pas forcément sur ce théâtre-là. On vous connaît déjà à Lyon, puisque vous avez travaillé à Villeurbanne. Vous avez fait le choix de cette pièce populaire, sans hésiter ?
JB : J’ai toujours eu envie de jouer ce rôle-là. C’est un personnage que l’on peut jouer à 50 ans, à 70 ans... c’est un monsieur vieillissant, éperdu d’amour. Il a une espèce de vision qui n’est pas érotique, qui est au-delà. Pour lui, cette femme c’est la Madone. Il voit que cette fille est perdue… certes elle est infidèle mais elle ne sait pas ce que c’est qu’être infidèle, je crois. Pour lui, elle est un peu victime de son pouvoir de séduction, dont elle n’use pas mais… Dans la vie, elle est malheureuse. Elle a perdu son premier amour, qui est décédé. Elle est perdue. A cette époque-là, quel était l’avenir d’une fille dans une telle situation. Moi j’ai des souvenirs… J’ai vu cela souvent, même dans ma famille. Les jeunes femmes qui venaient de l’Aveyron descendaient dans les villes à Marseille, à Montpellier, à Toulouse, ou elles montaient à Paris. Celles qui étaient jolies se mariaient, et celles qui étaient moins jolies devenaient des"femmes de service", quoi.
YK : Cette pièce évoque cette difficulté, c’est vrai, mais elle est aussi très drôle. On voit que vous vous amusez beaucoup.
JB : Oui, bien sûr. Il y a tout le charme de Pagnol, de la Provence.. Il y a le rythme. Il y a l’humour. Moi, j’ai grandi dans le sud. On prend tout comme ça… On commence par en rigoler et après on voit. Ou on est violent, ou on plaisante. C’est un peu les deux pôles des gens du sud.
YK : Si Jacques connaît bien la région, vous, Valérie, vous avez une relation très intime avec Lyon, non ?
VB : Vous êtes bien renseigné ! En effet, je suis incroyablement heureuse d’être ici, à Lyon. Mes parents se sont rencontrés à Lyon, alors qu’ils sont tous les deux réunionnais. Ils se sont mariés ici, ma sœur est née ici, j’ai été "conçue" ici, et puis ils sont retournés vivre sur l’île de la Réunion et je suis née là-bas. Et c’est fou parce que mes parents viennent tout juste de quitter Lyon, ils sont venus me rendre visite. C’est vraiment incroyable de me retrouver à jouer cette pièce dans la ville où leur amour est né, où la famille a été fondée. Ils me portent chance.