Vénissieux : "le quartier des Minguettes n'est pas un bastion islamiste"

Un rapport de la Cour des Comptes pointe "un fort communautarisme et un islam de plus en plus rigoriste" dans le quartier des Minguettes à Vénissieux. Les habitants que nous avons rencontrés refusent d'être assimilés collectivement à des islamistes radicaux et parlent de ghettoïsation.

C'était la première fois que je réalisais un reportage aux Minguettes, à Vénissieux. Pour moi qui travaille depuis une dizaine d'années sur les banlieues, notamment en Seine Saint Denis, il était temps. Les Minguettes furent longtemps le plus grand ensemble d'habitat collectif en Europe, berceau de révoltes et de combats qui ont irrigué la mémoire de nombreux habitants des quartiers populaires en France. 

 Comme souvent, la seule évocation du nom d’un quartier amène des images automatiques : béton, verticalité, Marche Pour l'égalité et il faut le reconnaître, guetteurs au pied des lieux de deal stratégiques.  

Depuis dix ans, la visibilité et la pression de certains préceptes religieux font aussi partie du décor. Mais les observateurs ont souvent tendance à poser un filtre, un voile oserais-je dire, qui teinte l'ensemble du quartier et lui donne, admettons-le, une couleur radicale.  

Cette fois, nous venions aux Minguettes après la publication de plusieurs articles de presse qui reprenaient une conclusion de la Cour des Comptes dans un récent rapport.  

"Le quartier est marqué par un fort communautarisme et un islam de plus en plus rigoriste. Des femmes suivent les préceptes de la religion musulmane et s’habillent traditionnellement. Si beaucoup d’entre elles le font par conviction, il est probable que certaines s’y voient contraintes par la pression familiale et sociale." 

“Probable...” Le rapport pointe des risques et des réalités.  Il ne s'agit pas seulement de fantasmes mais aussi de constats et la municipalité interrogée par les magistrats de la Cour des Comptes évoque en effet "des problèmes de comportement, la promotion d’un autre mode de vie, la multiplication des incidents quotidiens, un phénomène d’entre-soi sur une base religieuse, une marginalisation progressive des femmes".  

A tout cela, les habitants que nous avons rencontrés répondent : oui ça existe, mais pourquoi sans cesse ne ramener le quartier qu'à ça ? Pourquoi mettre tout le monde dans le même panier ? " Il y a des barbus, il y a de plus en plus de femmes voilées, c'est vrai, mais il y a aussi des femmes dans la rue. Regardez autour de vous et ne me dites pas qu'il n'y a que des hommes..." En effet, au moment de notre conversation avec un habitant qui préfère rester anonyme "car tout le monde se connait", il y a quatre femmes autour de nous sans signe religieux apparent, et tout au long de notre reportage qui ne dure ce jour-là qu'une demi-journée, nous avons croisé des femmes dans l'espace public sans ressentir un climat d'oppression. Cela n'a pas valeur de conclusion évidemment, une simple observation qui vaut pour ce qu'elle est.  

Quartier de la Pyramide, notre arrivée suscite, comme toujours, de la méfiance. Et puis, accompagnée par Mokrane Kessi, ancien élu et militant du quartier, la discussion s'engage avec trois autres hommes à peu près de la même génération. L'un d'entre eux est né ici, il habite donc les Minguettes depuis plus de 40 ans et, ce dont il a envie de parler, c'est de sa photo de classe.  

" Moi quand j'étais gamin, sur ma photo de classe il y avait un peu de blancs sur la photo, mes copains s'appelaient Ahmed mais aussi Franck, Julie etc.… Quand je vois la photo de classe de mes enfants, il n'y a que des noirs et des arabes, vous trouvez ça normal ? (Lui-même est d'origine magrébine ndlr). On crée des ghettos. On nous parle de communautarisme et on rassemble que des gens pauvres issus de l'immigration au même endroit. Maintenant, oui il y a de la radicalisation c'est vrai, mais de là à dire qu'on est devenu un bastion islamiste... non, c’est pas vrai !” 

C'est le terme utilisé par le ministère de l'Intérieur, cité dans le rapport de la Cour des Comptes, “ depuis les années 1980, le quartier des Minguettes apparaît comme un bastion de l’islam fondamentaliste et, plus largement, du repli communautaire musulman ". 

“Depuis les années 80” dit le rapport, c'est justement ce que rappelle la maire communiste de Vénissieux, Michèle Picard, avec une formule abasourdie : " j'ai l'impression qu'on découvre l'eau chaude" dit -elle. "Il ne s'agit pas de mettre tout ça sous le tapis, ça n'a jamais été notre démarche".   

"Mais ça fait des années en France que le phénomène de radicalisation se développe, et il n’y a pas de la radicalisation que dans ces quartiers. Cette question-là on l'a prise à bras-le-corps, on a fait des commissions laïcité, on a créé des dispositifs pour que les jeunes filles continuent à faire du sport, et plein d'autres actions. Le quartier concentre tous les problèmes nationaux et on semble découvrir le problème aujourd’hui, je ne suis pas d’accord ! Ça fait des années qu’on laisse les maires se débrouiller. Il faut que la République soit partout et que les gens ne se sentent pas abandonnés et ne se trompent pas de valeurs. Il faut une Éducation nationale forte, des moyens pour la sécurité, ce sont des missions régaliennes de l’État. On a cru trop longtemps que la laïcité était acquise. Il y a très peu de pays qui sont laïcs, et en fait je pense qu’on n'a pas été assez vigilant, on croyait que cette laïcité allait perdurer naturellement... non pas du tout ! Elle se transmet, ça s'éduque comme la citoyenneté !"  

 

C’est très hypocrite et on nous sort ça, mais à quel moment on valorise ? A quel moment on dit que trois sportifs de Vénissieux ont participé aux derniers JO?  A quel moment on montre la population autrement que par les problèmes de sécurité, par les trafics ?  

Michèle Picard, maire PC de Vénissieux

Un meilleur cadre de vie mais moins d'associations et un sentiment d'enfermement 

Les quartiers prioritaires ont-ils gagné en attractivité avec les fonds de la politique de la ville ? C'était la question posée par la Cour des Comptes pour mener son enquête sur l'argent public injecté dans la politique de la ville entre 2008 et 2018, soit 10 Md€ chaque année dans tout le pays.  

Lire le rapport  ou la synthèse 

La réponse est donc plus que mitigée. Aux Minguettes à Vénissieux, comme dans les 7 autres quartiers étudiés en France, la rénovation urbaine n'a pas suffi à atténuer le sentiment de ghettoïsation des habitants. Pourtant indéniablement le cadre de vie s'est amélioré, des bâtiments à taille plus humaine ont remplacé plusieurs grandes tours emblématiques. Ce qui a vraiment changé la vie des 22 000 habitants du plateau, c'est l'arrivée du T4 et le désenclavement du territoire. Toutes ces avancées, Mokrane Kessi qui a créé l'association France des banlieues, les reconnaît volontiers. Mais tempère-t-il, " j'ai quand même l'impression que la situation s'est dégradée. Il n'y a plus assez d'associations de locataires, d'éducateurs, de tissu social." Un commerçant du même âge que lui, Mehdi, la quarantaine, père de trois enfants, se joint à la conversation et ajoute spontanément : "Nous, on partait en vacances avec les CRS, madame, ils nous emmenaient au ski. On sortait d'ici mais aujourd'hui on a l'impression d'être encore plus enfermés et on se demande où est passé l'argent de la politique de la ville." Quand je lui demande si des religieux ont déjà tenté de faire pression sur lui ou au sein de son commerce, comme j'ai pu l'observer dans d'autres communes par le passé, il me répond fermement : "Jamais ! et je ne laisserai personne faire pression sur moi".  

Un autre homme, plus âgé parle à voix plus feutrée. Arbi, bien connu dans le quartier et même au-delà, puisqu'il a participé à la marche de 1983 pour l'égalité et contre le racisme. Surnommée la marche des Beurs, cette grande mobilisation, partie de Vénissieux, marque le point de départ d'une conscience politique, visible des quartiers populaires et de leur aspiration à l'égalité entre tous les territoires de la République. La politique de la ville est même née de ce mouvement, et promettait le rééquilibrage tant espéré.  

"Mais au fait vous voulez boire quelque chose ?" 

Ses combats lui collent tellement à la peau qu'on l'appelle "Arbi la Marche". "J'ai marché en 83, je suis reparti marcher en 2015, 10 ans après les révoltes de Clichy-sous-bois. Chaque fois j'ai témoigné j'ai demandé plus d'égalité pour nos quartiers. Mais là, ce n'est pas contre vous, mais je suis fatigué de parler, j'ai plus envie d'être filmé pour dire encore la même chose". Visiblement fatigué et las, Arbi a le sentiment qu'on trouvera toujours quelque chose. "Avant c'était les voitures brûlées, la délinquance, maintenant c'est l'Islam, on restera des citoyens de seconde zone." Son voisin l'interrompt : "Ah non, ça jamais, je ne suis pas un citoyen de seconde zone, je suis un citoyen tout court. Mais au fait, vous voulez boire quelque chose ?" Les deux hommes s'empressent d'aller nous chercher deux thés à la menthe qui permettront à la discussion de durer un peu plus, dans le froid de janvier, à côté du brasero et de la grille de poulets rôtis, installée sous des tentes à côté d'un arrêt de bus.  

En arrivant aux Minguettes j'ai donc bien retrouvé les images habituelles, les guetteurs étaient là mais sans animosité à notre égard; les barres moins nombreuses, mais toujours verticales invitaient bien le regard à prendre de la hauteur. Quant aux réponses à nos questions sur la radicalisation, elles restent bien approximatives, il faut évidemment plus qu'une demi-journée pour tirer des conclusions. Le reportage s'est achevé sur une phrase de Mokrane Kessi : "ça serait bien que vous reveniez pour faire un travail de fond, un peu plus long et surtout qu'on entende la parole des femmes."  

A cet instant précis j'ai réalisé que je n'avais sollicité aucune femme, en dehors de la maire, au cours de ce reportage. D'une certaine façon n'avais-je pas contribué à faire en sorte qu'elles soient "moins visibles dans l'espace public ?", comme le pointait le rapport de la Cour des Comptes ? Toute la complexité du traitement médiatique des quartiers prioritaires est là, on arrive avec des images, on repart avec d'autres mais au final on diffuse souvent les mêmes. Comme en témoignent les 152 pages du rapport de la Cour des Comptes qui concluent qu'"à ce constat général selon lequel les quartiers prioritaires ne sont pas devenus plus attractifs, s’ajoute la dégradation de l’image qu’en ont ceux qui n’y résident pas. D’après une enquête de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV), un Français sur deux (51 %) juge que la situation s’est plutôt dégradée au cours des dernières années, contre un seul sur dix (10 %) qui estime qu’elle s’est améliorée." 

 

La politique de la ville aux Minguettes

La Région Auvergne Rhône Alpes compte 140 quartiers prioritaires de la politique de la ville où vivent 412 183 habitants. 

Les quartiers politique de la ville réunissent plus de 25 000 habitants à Vénissieux, soit environ 40 % de sa population répartis au sein du QPV des Minguettes-Clochettes (21 966 habitants, soit 34 % de la population communale), du QPV Duclos-Barel (2 224 habitants) et d’une partie du QPV Etats-Unis Langlet Santy (sous-quartier Les Acacias, 1 000 habitants).

Le taux d'emploi aux Minguettes est de 44%. De façon globale, les habitants des quartiers prioritaires de Vénissieux représentent 40% des demandeurs d'emploi de la commune alors que de nombreuses entreprises (plus de 4 000 entreprises pour près de 30 000 salariés) sont implantées à la faveur, notamment, du dispositif des zones franches urbaines (ZFU). "Au regard du nombre d’entreprises et du dynamisme économique manifeste de ce territoire, un renforcement de l’adéquation entre l’offre et la demande et une incitation pour les entreprises à recruter localement s’imposent précise la Préfecture." En effet, les Vénissians sont les demandeurs d’emploi les plus mobiles du département et de la région. Ils n’hésitent pas à se déplacer sur 50 kms (en moyenne) allant là où une solution existe.

Le taux de pauvreté est de 48,6% dans le QPV des Minguettes donc près d'un habitant surdeux vit sous le seuil de pauvreté. Vénissieux est la 3ème commune la plus précaire de la Métropole de Lyon derrière Vaulx-en-Velin et Saint-Fons. Le revenu médian de 13 500€ est près de 40 % inférieur au revenu métropolitain (21 294€). Il est même près de 60 % inférieur dans le QPV des Minguettes (8 800€).

Vénissieux fait partie des rares communes dont l’évolution des revenus est à la baisse. L’arrivée sur le territoire de populations fragiles et de nationalités étrangères est un facteur de cette paupérisation. 25 % des habitants des Minguettes sont de nationalité étrangère (primo-arrivants).

 

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