Dimanche 10 novembre 2024 va se tenir le 125e "derby" de l'histoire entre l'Olympique Lyonnais et l'Association Sportive de Saint-Etienne. Plus de 73 ans de rivalité, d'histoires, de victoires et de défaites. Qu'est-ce qu'un Derby et pourquoi celui entre l'ASSE et l'OL revêt une saveur particulière en France ?
"Derby", un mot à la consonance anglaise, mais si présent dans la langue française. Pour les férus de littérature, "derby" est une antonomase par métonymie. Entendez ici qu'un nom propre est utilisé pour exprimer une idée. Pour les férus de sport, mais aussi le dictionnaire, il s'agit donc bien d'un match entre deux équipes rivales et voisines, comme Saint-Etienne et Lyon.
Une origine hippique
Pour retrouver son origine étymologique, il faut remonter à la fin du XVIIIe siècle. En 1780, Edward Stanley, douzième comte de Derby, crée une course hippique à Epsom, dans le sud de Londres. Il la prénomme avec son titre "le Derby d'Epsom" et très vite, elle deviendra l'événement sportif le plus enflammé et suivi dans cette société anglaise éprise de ce divertissement.
Il faudra alors attendre un siècle pour que le mot "derby" soit couramment employé par la population pour parler n'importe quel grand événement sportif, puis 1914 pour le voir faire son apparition dans le monde du football. "A local Derby between Liverpool and Everton " ("Un derby local entre Liverpool et Everton") écrit le journal Daily Express pour parler d'un match entre les deux grands clubs de la ville du nord de l'Angleterre.
L'adjectif "local", donne pour la première fois une connotation de rivalité voisine dans un événement sportif dans la langue anglaise. Et voilà que 13 ans plus tard, alors que le mot a déjà traversé la manche depuis un petit moment, il est officiellement validé par l'Académie Française pour parler d'une rencontre sportive entre deux équipes rivales et proches géographiquement.
OL-ASSE, le derby français le plus mythique de France ?
Quand on parle de grande rivalité footballistique en France, nombreux sont ceux qui citeraient Paris et Marseille. Mais les deux villes étant séparées de 800 kilomètres, impossible de parler de "derby" pour ce match qui prendra le surnom de "classique".
Néanmoins en France, de nombreux "derby" existent : celui du "Nord" entre Lille et Lens, celui de "la côté d'Azur" entre Nice et Monaco, "le derby breton" entre Rennes et Nantes ou encore "le derby de la Garonne" entre Toulouse et Bordeaux.
Mais entre l'OL et l'ASSE, difficile d'entendre parler du "derby de Rhône-Alpes", tant il est, pour beaucoup de passionnés de foot, LE derby en France. Plus de 73 ans de rivalité entre les mineurs/ouvriers du Forez face aux bourgeois/soyeux de la grande ville de l'autre côté des Monts du Lyonnais. .
Mais comment expliquer cette place particulière dans l'histoire du foot français ? Les facteurs sont très nombreux, certains sportifs et d'autres non, mais tout aussi importants les uns que les autres.
Deux villes que tout oppose
D'un côté nous avons Lyon, deuxième métropole de France avec presque 1,5 million d'habitants et véritable moteur économique et culturel de la région. De l'autre, Saint-Etienne située à peine 50 kilomètres plus loin, ville minière et ouvrière et une histoire de lutte sociale aussi vieille que l'avènement de la révolution industrielle. Leurs habitants sont donc très différents, jusqu'à leur accent ! Le derby revêt alors une connotation de lutte entre les "petits ouvriers stéphanois" et les "bourgeois lyonnais".
Saint-Étienne et Lyon présentent également la particularité d'avoir, chacune à leur époque, dominée le football français de la tête et des épaules. Durant les années 60 et 70, l'ASSE était le club français par excellence, raflant 10 titres de champions de France (record battu en 2023 par le PSG) et une fameuse finale de Coupe des Clubs Champions en 1976 avec les fameux "poteaux carrés" de Glasgow.
Le réveil du lion de l'OL fut plus tardif. Alors que le club n'a jamais vraiment décollé depuis sa création en 1950, son rachat par Jean-Michel Aulas fera rentrer l'équipe de la capitale des gaules dans une autre dimension. Dans les années 2000, elle rafle 7 titres de champions de France consécutivement, et d'après de nombreux observateurs, avait une équipe taillée pour remporter la plus grande des compétitions européennes.
Ces périodes de domination intense d'un club sur l'autre n'ont fait qu'augmenter le ressentiment des uns sur les autres.
Des ambiances et des matchs inoubliables
Au fil de l'histoire, ce contexte est exacerbé par ce qui se passe sur le terrain. Dès 1951, lors de la première rencontre entre les deux clubs au stade de Gerland, Lyon s'impose 4-2 avec un triplé de Fritz Whoel à Gerland alors que le club n'a même pas un an. Dès l'année suivante, les verts remportent la deuxième manche à Geoffroy Guichard 1-0 but de Léon Alpsteg.
Plus de 17 000 spectateurs assistent à chacun de ces matchs alors qu'à l'époque, les deux clubs attiraient en moyenne que 10 000 personnes par rencontre joué à domicile. C'est dire l'intérêt que porte déjà le public pour ce match.
Au fil des rencontres, les équipes se rendent coup pour coup. L'hôte l'emporte toujours jusqu'au 1er mai 1955, jour de fête du travail, pour que les deux équipes se neutralisent pour la première fois : 1-1 à Lyon. Quelques mois plus tard, les gônes remportent leur premier match à l'extérieur 0-1. Saint-Étienne se venge un an plus tard en s'imposant à Lyon 3-1 le 28 octobre 1956.
Au fil des ans, de nombreux derby marquent les esprits. En 1963, Saint-Etienne l'emporte 5-4 à Lyon (record du nombre de but). Un an plus tard, alors qu'ils sont champions en titre et que Lyon est leader du championnat, les verts l'emportent 6-0 au chaudron.
En 1977, nouvelle victoire des verts à Gerland 2-0 dans un match joué sous des trombes d'eau. L'arbitre avait refusé d'annuler le match à cause de risques de débordement. "Les Stéphanois meilleurs nageurs que les Lyonnais" titre le Progrès le lendemain. En 1980, Gerland bat son record d'affluence (1-1) avec 48 552 spectateurs dont certains... sur les toits du stade !
Chambrage et playstation
Encore récemment, de nombreux matchs ont marqué l'histoire de ce derby si particulier. En 2010, Saint-Etienne remporte à Lyon le 100e derby de l'histoire, après 14 ans de disette face à l'ennemi lyonnais. Une défaite qui poussera le président de l'OL Jean-Michel Aulas à déclarer que l'ASSE ne jouait la Ligue des Champions que sur console de jeux.
Bons joueurs et l'esprit revanchard, lors du retour, les supporters stéphanois lui offrent en plein match une Playstation, pendant qu'ils affichaient une banderole "JMA : ce cadeau au nom du peuple vert". Lyon l'emporte 4-1 et Aulas en profite pour répondre : "J’ai eu peur que ce soit une bombe et que ça explose. Au final, c’est Saint-Étienne qui a explosé ce soir.
6 ans plus tard, l'OL poursuit sa domination contemporaine sur l'ASSE et l'emporte 5-0 à Geoffroy Guichard avec un geste devenu mythique. Nabil Fékir, auteur du dernier but, enlève son maillot et vient le présenter aux supporters des verts. Le terrain sera envahi et le match se terminera sans spectateurs.
Ce dimanche 10 novembre se jouera le 125e derby entre les deux équipes. Pour l'heure, Lyon compte deux victoires de plus que son adversaire (46 vs 44) mais reste également sur une très bonne dynamique. La dernière victoire de l'ASSE remonte au 6 octobre 2019. Depuis l'OL reste sur 4 victoires et un nul.
Cette série pourrait bien se poursuivre ce dimanche. Lyon est 6ème du championnat tandis que Saint-Etienne, tout juste de retour de Ligue 2, est 16eme. Mais attention, le football reste le sport collectif le plus incertain. 73 années de rivalité entre les deux clubs peuvent en témoigner et il est évident que ce match revêtira un challenge particulier pour les joueurs des deux équipes.