VIDEO. Les égouts de Lyon, comme si vous y étiez

Le Grand Lyon est un ogre aux intestins gargantuesques. Avec ses 3 000 kilomètres de galeries, ce réseau d’assainissement draine les eaux usées d’un bassin de population de près d’un million d’habitants. Descente dans les antres d’une ville gourmande.

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Avant de pénétrer dans ce dédale de couloirs, il faut être formé aux risques que l’on peut rencontrer. C’est au centre de formation de l’agglomération situé à Saint-Fons que Fabien Kapp, responsable opérationnel de chantiers d’assainissement, prodigue les conseils de sécurité. Car on n’entre pas impunément dans les entrailles de ce Grand Lyon. Les périls principaux sont au nombre de quatre : manque d’oxygène, taux de sulfure d’hydrogène trop élevé (vous savez, l’odeur d’œuf pourri), présence massive de monoxyde de carbone liée aux moteurs thermiques circulant sur les chaussées en surface du réseau et dangers d’explosions. Autant de raisons de descendre en étant équipé d’un détecteur multifonctions attaché à la ceinture. Il alertera son porteur en cas de présence de l’un de ces quatre risques. Et s’il venait à sonner, chaque égoutier dispose d’un masque à oxygène qui lui permettra de respirer une vingtaine de minutes afin de rejoindre la sortie la plus proche. Une échelle tous les 100 mètres et une bouche d’aération tous les 50. Ces plaques d’entrée dans les égouts s’appellent tampons.  

La descente

Sensibilisé aux potentiels dangers, il est temps de s’équiper. En pleine rue, la scène est assez cocasse. Vêtu d’une sur-combinaison jaune, les cuissardes sont difficiles à enfiler pour le non initié qui doit se contorsionner. Reste à attacher la ceinture réglementaire avec tous ses équipements, enfiler un masque (Covid oblige), se couvrir d’un casque avec torche frontale pour se sentir, bien qu’un peu engoncé, prêt à aller chasser les fantômes qui auraient envahi la ville. La descente peut commencer par l’accès situé sur le même trottoir qu’un grand bar-restaurant bien connu du haut de la rue Carnot. Les clients qui attendent de pouvoir acheter une bière au comptoir nous observent un brin intrigué, téléphones portables à la main pour immortaliser cette scène pourtant ordinaire.

Pour toute opération, il y a une équipe qui reste en surface afin de veiller sur celle qui évolue en sous-sol. Le réseau suffisamment ventilé (une vingtaine de minutes au minimum afin d’apporter l'oxygène nécessaire), le chef de l’équipe du jour, Antoine Retours, s’engouffre le premier. Grand et athlétique, la manœuvre ne semble pas lui poser la moindre difficulté. En revanche, pour le profane, gravir les 4 mètres d’échelle par le tampon de 50 cm de diamètre n’a rien d’évident. Si ici le réseau n’est pas très profond, il faut parfois descendre jusqu’à 27 mètres de profondeur.  

Quelques pieds sous terre

Arrivé en bas de l’échelle la première des surprises est que... ça ne sent pas mauvais. L’égout ne pue pas. Entre des notes humides, de champignon, de salpêtre ou de terre, on ne respire pas les latrines. Olfactivement, ce n’est ni entêtant ni écoeurant. "Quand ça sent mauvais on s’inquiète ! À une particule pour un million, le sulfure d’hydrogène se signale par sa présence et devient dangereux à 20 pour un million." précise Alain Collet, la cinquantaine dont 25 années passées dans les égouts. La seconde surprise, c’est que les murs sont beaux, décatis et vierges de tout graffiti.

La présence d’êtres vivants est plutôt le signe que cette partie du réseau est saine et que tout va bien.

La progression peut commencer. Des araignées, des blattes mais pas de rats ! "Ils s’en iront quand ils vous entendront arriver", avait prévenu Fabien Klapp lors de son brief de sécurité. "La présence d’êtres vivants est plutôt le signe que cette partie du réseau est saine et que tout va bien", précise Antoine en montrant un mille-patte sur un mur en pierres dorées. Car cette partie du réseau sous la rue Carnot date du début du XXe siècle. Chaque défaut de maçonnerie est signalé par une marque de bombe de peinture verte. Des maçons dédiés descendront pour y effectuer les réparations nécessaires. "On vérifie les parements afin qu’il n’y ait pas d’échange entre les eaux usées et les nappes phréatiques". Dans cette partie, le réseau est "visitable", c’est-à-dire qu’avec une hauteur de 1,80 mètre, on évolue assez facilement sur la banquette, le quai qui borde le fossé dans lequel s’évacuent tranquillement les eaux usées. Puis on entre dans une artère secondaire. Plus étroite, plus basse. "Colonne !", signale au reste de l’équipe Philippe Goujon, 54 ans, pour alerter d’une canalisation basse, horizontale et traversante sur laquelle on pourrait se cogner. "Moi, j’ai la taille parfaite pour être égoutier, j’étais couvreur et j’ai descendu une marche suite à un accident", en rigole cet homme de petit gabarit. Derrière son masque, son casque et ses lunettes on croirait voir le chanteur Christophe. C’est que le lieu est assez propice à la rêverie.

Le boyau "visitable" se resserre et le plafond se fait de plus en plus bas. Sentir que l’on frotte les bras sur les parois, et le casque qui racle le haut du tunnel rend l’avancée plus aventureuse. L’impression d’être dans un entonnoir commence. Et ce n’est rien quand, soudainement, le chemin se rétrécit et il faut alors avancer tête baissée, l’échine recourbée, la démarche en canard pour éviter d’entrer en contact avec le courant d‘eaux sales qui se se fait de plus en plus proche. Une vingtaine de mètres à franchir qui en paraissent bien plus. "Quand en plus on a du matériel et qu’on doit ressortir des sacs de boue, ça devient beaucoup plus compliqué", précise Philippe. Bien que s’étant élevée de 3 degrés en quelques années, la température des lieux est agréable. Les efforts requis pour évoluer dans ce labyrinthe et la concentration parfois élevée en dioxyde de carbone font perler la sueur sur les visages de chaque membre de l’équipe. Une équipe véritable, solidaire, qui fait penser à une colonne de mineurs avec leurs tenues, leurs frontales, leurs pioches et leurs herminettes pour curer le lit dans lequel s’écoulent les eaux. "On est très soudés dans ce métier, c’est normal avec les risques qu’on prend d’être solidaires", confie Philippe. "On fait un métier invisible, de service public, c’est essentiel", ajoute Alain.

Les nouveaux usages qui poussent aux économies d’eau comme les boutons à doubles débits de nos WC ne font pas nos affaires.

Et aller du haut de la rue du Président Carnot à la place Bellecour tient de la routine pour ces agents expérimentés. Mais la plupart du réseau n’est pas visitable. Sur sa totalité, moins d’un quart, à savoir 700 kilomètres, permet aux hommes de passer. Dans les autres cas (moins d’un mètre de diamètre et impossibilité de faire demi-tour), il faut avoir une approche plus technique. "On se met de part et d’autre de la canalisation et on éclaire pour vérifier qu’il n’y a pas de d’obstruction, ou alors on fait passer des caméras. Il faut toujours trouver des solutions". Pour une raison paradoxale, le réseau demande de plus en plus d’entretien : pour s’assainir et évacuer au maximum les boues vers les stations d’épuration, il faut un débit d’eau qui se met à manquer. "Les nouveaux usages qui poussent aux économies d’eau comme les boutons à doubles débits de nos WC ne font pas nos affaires" note Fabien Kapp. L’eau est une énergie essentielle dans ces coursives. Il y quelques années, les égoutiers lyonnais ont fait preuve d’une sacrée ingéniosité en inventant des vannes cycliques. Le principe est simple, un barrage à bascule accumule de l’eau et, lorsque la pression en amont est suffisante, il pivote et libère un volume d’eau dont la force motrice permet le drainage des boues comme le ferait une chasse d’eau géante.

À l’arrivée de chaque artère dans le collecteur principal, on trouve un système de glissières dans lesquelles des panneaux métalliques sont disposés par les agents afin de gérer le débit. L’eau peut être retenue en amont et libérée selon le même principe que la vanne cyclique. Gérer un réseau d’assainissement comme les égouts s’avère être un savoir-faire particulièrement délicat dans lequel la gravité est la meilleure des alliées. D’autant plus que l’on se trouve dans un espace confiné.

Et au milieu coule une rivière

Notre déambulation se poursuit au rythme des eaux usées qui s’écoulent dans l’égout. Les canalisations raccordées aux immeubles en surface livrent leurs matières brutes sur la banquette du collecteur principal par laquelle nous cheminons au gré des usages en surface. Quand l’eau de pluie se déversera, elle fera passer le tout. L’ambiance est calme, presque apaisante. Ici, on trouve un portefeuille avec tous les papiers mais plus d’argent. Sans doute volé puis jeté vite fait. Carte vitale, carte grise, carte de famille nombreuse et tout le reste seront restitués à la police.

Antoine attire l’attention sur des lingettes dans le filet d’eau grise. "C’est un fléau. Les fabricants disent qu’elles sont biodégradables mais on ne sait pas en combien de temps. On les retrouve dans les grilles et les râteaux. Elles bouchent le réseau. Il vaudrait mieux les mettre à la poubelle." En arrivant sous le fast food situé au croisement de la rue de la République et de la rue Zola, on note une forte présence de graisse. "Là, c’est le risque d’AVC", s’amuse Philippe. Une odeur, de sulfure d’hydrogène se fait sentir. Les détecteurs ne sonnent pas mais les bulles qui apparaissent sous nos pas n’inspirent pas confiance. "On ne continue pas par-là".

On ne reste pas en bas quand il pleut, ça peut devenir très dangereux. L’eau peut monter très vite.

C’est par l’accès situé place Bellecour que nous allons sortir. Un équipier de surface tient fermement sa jambe au bord de l’orifice. Son mollet est un point d’ancrage fort pour qui doit remonter à la surface. La pluie commence à tomber. "On ne reste pas en bas quand il pleut, ça peut devenir très dangereux. L’eau peut monter très vite", rappelle Antoine. Il est temps de se déshabiller, en pleine rue, sous le regard amusé des passants. On lave à grandes eaux les cuissardes, les gants, les casques et tous les équipements autour d’une borne d’incendie ouverte pour l’occasion. Devant des écoliers qui passent, Philippe lance à leur adresse : "il faut bien travailler à l’école si vous ne voulez pas avoir à faire ça" avant de confier "je ne changerais de métier pour rien au monde." Sentiment sans doute partagé par les 280 égoutiers (dont deux femmes) qui, chaque jour, prennent soin du ventre du Grand Lyon. 

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