Yann Botrel est addictologue dans la Métropole de Lyon. Il mène campagne contre le «chemsex», ou «sexe sous drogues». Selon lui, il est urgent de développer des actions de prévention contre cette nouvelle pratique sexuelle à risques qui se développe dans une population de plus en plus large et de plus en plus jeune. Il est loin d'être seul.
Il vient de poster une vidéo sur son site et sur YouTube. Yann Botrel part en campagne contre les dangers du «Chemsex». Traduisez «chemical sex», autrement dit «sexe sous drogues». Pour cet addictologue installé en libéral dans la Métropole de Lyon, diplômé de l’université Lyon I, il y a urgence à prendre conscience de l’ampleur du phénomène pour prévenir un danger de santé publique. Il voit en effet arriver dans son cabinet de nouveaux patients qui «font du chemsex sans le savoir», mais consultent pour une addiction assumée qui masque une pratique clandestine parce socialement réprouvée.
Il donne avec cette démarche un nouvel écho aux actions du COREVIH. Le Comité de Coordination Régional de Lutte contre le VIH a vu émerger le phénomène au début des années 2010. Il a réalisé deux films de prévention sur la question que la pandémie l’a empêché de projeter largement.
LE CHEMSEX, UNE « SEXUALITE AUGMENTEE »…
«Le chemsex, c’est l’usage de produits stupéfiants spécifiques avec l’objectif d’une sexualité» souligne Isabelle Massonnat-Modolo, psychologue du COREVIH Lyon Vallée du Rhône. «En cela, il diffère de la consommation de drogue suivie d’une relation sexuelle». L’intention sexuelle est bien spécifique au chemsex. Elle se traduit par des «marathons sexuels» organisés sur des weekends entiers, mais la performance dans le temps n’est pas le seul objectif. Les produits transforment les sensations, ils sont «empathogènes» -on est en phase avec le partenaire- ou «entactogène» -la moindre caresse vous fait grimper au plafond. On est bien sur un phénomène de «sexualité augmentée».
Le phénomène est apparu il y a une douzaine d’année, d’abord dans le milieu homosexuel. Il concerne principalement les «HsH», les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. «C’est un phénomène dramatiquement émergent, nous sommes sidérés par son ampleur», précise la psychologue. «C’est une sous-culture gay» qui s’est installée avec l’arrivée des applications de rencontres géolocalisées, qui ont transformé les modes de relation dans ce milieu. Elle a ses usages et son langage. Mais elle déborde aujourd’hui plus largement de ce cadre uniquement homosexuel. Yann Botrel fait référence à une étude menée aux HCL parmi les «chemsexeurs» : 13% des répondants sont hétérosexuels. «Et les pratiquants sont de plus en plus jeunes», précise-t-il.
… A RISQUES ACCRUS
«Le G, c’est un solvant, la 3 sert à l’origine pour nettoyer les jantes des voitures ou d’engrais à orchidées ». Isabelle Massonnat-Modolo ne mâche pas ses mots pour décrire les risques liés aux produits les plus utilisés par les chemsexeurs. Le «G», c’est le GBL, utilisé en substitut du GHB, produit anesthésiant autrement connu sous le nom de «drogue du violeur». La «3», c’est l’abréviation de 3MMC, une amphétamine de synthèse aux caractéristiques stimulantes. Yann Botrel détaille : «mise à part la cocaïne, on utilise des drogues de synthèse pas chères, qu’on trouve facilement sur Internet, fabriquées en Chine ou aux Pays-Bas». Certaines reproduisent les effets d’un psychotrope naturel connu en Afrique, le Khat. Ce sont les drogues de la famille des Cathinones. On n’est pas sur des produits naturels ni anodins.
AU DELA DES RISQUES, LES DANGERS
Il a perdu son mari d’une overdose liée au chemsex. Jean-Luc Romero est le premier témoin du danger le plus grave liés à ces drogues : la mort. En 2018, son mari s’est effondré victime d’un mélange entre GBL et alcool. L’homme qui était avec lui le soir de son décès a été condamné pour homicide involontaire. Le président de l’association Elus contre le Sida, adjoint au maire du 12° arrondissement de Paris, raconte son deuil dans un ouvrage paru il y a quelques mois : Plus Vivant que Jamais (Masso Editions). Il témoigne également sur une vidéo mise en ligne. Jean-Luc Romero sera prochainement l’invité du COREVIH dans le cadre d’un webinaire sur le chemsex en préparation.
Yann Botrel prévient : «GBL ou GHB + alcool, c’est un coma quasi instantané. Il y a un vrai risque mortel dans certains mélanges non contrôlés».
De fait, «le nombre de morts directement ou indirectement attribuables à ces produits est délicat à établir du fait de la difficulté de distinguer la part d’accidents et de suicides liés à leur usage» indique dans son étude le Pr Tuaillon. Mais en 2017 le COREVIH Lyon-Vallée du Rhône rapportait une vingtaine de décès vraisemblablement en lien avec le chemsex.
L’autre réalité, ce sont les viols et les agressions sexuelles. Le milieu du chemsex est un terrain de chasse pour les prédateurs. Ici, se croisent le culte de la performance sexuelle et l’homophobie intériorisée, y compris chez les hommes homosexuels. «Une drogue comme le GHB permet de lâcher-prise», précise Isabelle Massonnat-Modolo, «elle permet de surmonter les phénomènes d’infériorisation dans les pratiques passives, mais c’est la porte ouverte aux viols». Le risque est loin d’être négligeable. Mais il reste difficilement mesurable. La notion de consentement préalable, de perte de repères et de dépassement des limites dans les pratiques de sexe sous drogues ne correspond pas aux définitions juridiques actuelles. Et pour une victime, il apparait difficile de porter plainte en détaillant les circonstances quand elles ont été effacées de la mémoire et surtout quand la réprobation sociale est très forte.
Et puis il y a l’addiction. La dépendance. Elle découle du mode de fonctionnement des substances elles-mêmes. En gros, elles stimulent les circuits neuronaux de la récompense en libérant des hormones comme la dopamine. A terme, une vraie dépendance apparait quand le cerveau subit le déséquilibre entre ses neurotransmetteurs. Edouard Tuaillon, Professeur des Universités, développe la question des Cathinones dans un article publié pour l’université de Montpellier.
Et dès 2015, le Corevih détaillait dans une vidéo les quatre temps de l’addiction. Le mode «warriors», qui parle de lui-même, le mode «contrôle», avant que ne vienne le «renversement» et que n’apparaisse «l’addiction» à proprement parler. Si l’on ajoute les risques liés aux infections sexuellement transmissibles, dans une population de jeunes homosexuels qui d’une certaine façon prennent leur revanche sur la peur du Sida, c’est à un véritable fléau de santé publique qu’il faut s’attendre. Citons encore le Pr Tuaillon : «Que deviendra dans dix ans cette génération qui expérimente de nouvelles pratiques combinant PrEP (prophylaxie pré-exposition au VIH), applications mobiles de rencontres et drogues de synthèses ?». Et Isabelle Massonnat-Modolo évalue à 7 sur une échelle de 10 le risque pour un homosexuel masculin de rencontrer le Chemsex et les dangers qu’il contient.
« Il y a besoin d’une étude épidémiologique réelle, pour véritablement mesurer l’ampleur du phénomène ». Yann Botrel considère qu’il y a urgence à alerter les pouvoirs publics. Il prône un discours de prévention plus que de répression, pour combattre la réprobation morale qui fait obstacle au traitement des pathologies réelles. Elu local lui-même, il tentera de mobiliser ses collègues de la Métropole de Lyon et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes avec une conférence sur le Chemsex à Charly, en septembre prochain. Elle sera ouverte aux responsables d’associations et au grand public. Jean-Luc Romero viendra y témoigner, aux côtés du professeur Laurent Karila, addictologue parisien réputé.
Par ailleurs, la plupart des associations de lutte contre le Sida ont développé des signaux d’alerte et des lieux de parole. Le Corevih vient de réaliser un nouveau film de témoignages qu’il diffusera dans les cinémas et différents cafés, dès que le covid aura relâché sa pression. La prochaine projection est prévue le 20 janvier au SOFFFA Guillotière, dans le 7 arrondissement de Lyon.
Les vigies jouent leur rôle. Encore faut-il qu’elles soient entendues.