Dans la nuit de mercredi à jeudi 9 juin, la dépouille de Frédéric Leclerc-Imhoff a été rapatriée en France. Journaliste pour BFM TV, il avait été tué par un éclat d’obus dans le conflit en Ukraine. Un hommage lui sera rendu place de la République à 18h30 vendredi 10 juin à l’appel de Reporters sans frontières (RSF).
Envoyer un journaliste sur des terrains de conflit est toujours une décision compliquée pour les rédactions. Une de nos journalistes a souhaité partager son expérience.
Afghanistan, Irak et Syrie, Sylvie Cozzolino est aguerrie. « Autant clarifier les choses tout de suite : il n’y a pas de journaliste de guerre mais des journalistes qui se rendent sur des terrains de guerre », tient à préciser notre journaliste.
Qu’est-ce qui vous pousse à y aller ?
« J’ai toujours considéré mon métier comme un engagement. Ici à France 3, dans la région ou ailleurs. Mon métier c’est raconter la vie des gens, raconter le monde dans toute sa diversité et son horreur parfois. Si nous journalistes n’allons pas sur ces terrains difficiles, qui témoignera ? Qui montrera la réalité ? Qui dénoncera ? Cette force intérieure, cette énergie, cette rage parfois, tous les journalistes qui se rendent dans des zones de conflits la porte en eux ».
Avez-vous peur ?
« Si j’avais la trouille au ventre, je n’irais pas. En revanche, le stress ou la tension sont omniprésents et cela m’incite à la vigilance, à la prudence. C’est un catalyseur et non un frein. Parfois, il faut aussi accepter de renoncer à des séquences filmées car elles exposent trop l’équipe ».
Sur place, il faut des règles ?
« Oui totalement. Avec Thierry le caméraman, Y notre fixeur et S. notre chauffeur, les règles sont claires dès le départ : si un seul d’entre nous, à fortiori les afghans qui connaissent bien le terrain, refusent de nous accompagner sur une séquence, nous n’y allons pas. Cela s’est passé dans la province du Panjshir. L’endroit que nous avions choisi pour passer la nuit, nous exposait trop à des représailles des talibans selon S. Et nous avons dormi ailleurs. La sécurité n’est jamais acquise dans ces coins-là mais il faut essayer de la préserver un tant soit peu ».
Comment s’organiser une fois arrivée dans une zone de conflit ?
« Sur place, nous avons besoin d’aide. Nous faisons appel à un fixeur. Un afghan qui parle anglais pour communiquer avec nous et facilite nos démarches, nos contacts. Il est aussi indispensable pour nous décrypter l’environnement culturel du pays. Il nous accompagne partout. C’est une personne de confiance qui est quasiment toujours recommandée par des confrères qui se sont rendus sur place avant nous. Pour ma part, j’estime qu’il ne doit pas tout savoir de notre tournage. Je dois aussi le protéger et ne pas l’impliquer outre mesure sur des scènes qui pourraient l’exposer après notre départ. Il pourrait être victime de représailles de la part des autorités du pays. Ainsi, en Afghanistan, nous sommes partis sans notre fixeur sur des séquences « touchy » comme on dit. Si nous étions interpellés, Y. risquait la prison ou pire encore. Cela nous fragilise mais nous pesons le pour et le contre et acceptons, de fait, ce qui pourrait advenir »
Comment gérer l‘imprévu ?
« Dans ces zones instables, il est impossible de tout prévoir et souvent, il est tout simplement impossible de prévoir. En Syrie, nous étions à Raqqa, ancienne capitale de l’Etat islamique. A priori, nous avions deux heures de tournage très encadrées par des gardes du corps pour prévenir les tentatives d’enlèvement assez fréquentes là-bas. Un journaliste s’échange pour plusieurs millions de dollars ! »
Et alors au final ?
« Au final, nous avons dû quitter la zone 30 minutes plus tard car notre présence avait été repérée et sur le chemin du retour nous allions traverser des secteurs réputés dangereux pour ces cellules dormantes djihadistes. Il fallait déguerpir et vite. Nous avons poussé au maximum pour finir notre tournage mais ensuite, il a fallu se plier à la sécurité. On a bien râlé et tiré sur la corde autant que possible mais bon… C’est aussi ce qui est palpitant dans ce genre de reportages. »
Quelles sont les qualités à mobiliser sur le terrain ?
« On travaille quasiment sans filet. Tout est à construire sur place, avec du relationnel, du contact, de la patience. Attendre le bon moment, le bon contact, faire confiance sans naïveté. Et tout à coup se lancer. Le cerveau mouline très vite mais il faut garder son sang-froid et mesurer le bénéfice risque, toujours. C’est un travail harassant, frustrant parfois mais tellement riche d’un point de vue humain. Couvrir ces zones exige le meilleur de moi-même. Ces rencontres restent gravées en moi, à jamais. »