Sur les montagnes françaises et italiennes, depuis 2017, un programme financé par l’Europe permet d’aider au plus près les personnes âgées les plus isolées. Le nom de ce programme (MISMI) sonne comme un signal de départ à une nouvelle façon de soigner en montagne.
« Je me souviens d’un petit vieux de 80 ans qui vivait dans sa maison sale, délabrée, entre sa cuisine et son séjour…Il souffrait de 4 ou 5 pathologies différentes dont le diabète et une quasi cécité. C’est son médecin de famille qui me l’avait signalé. Mais ce qui lui manquait surtout, c’était un parent pour s’occuper de lui ». L’infirmier des alpinistes, l’habitué des tournées de soins dans les refuges de haute montagne est redescendu des mers de nuages le temps d’un programme européen à destination des anciens.
Embauché avec 3 autres collègues infirmiers et autant d’animateurs de communauté, pour aller dépister les malades chroniques en situation d’isolement dans les montagnes de sa vallée d’Aoste, Marco estime avoir saisi une belle opportunité professionnelle en s’impliquant dans ce projet : « il y a bien des fois où j’ai eu l’impression de faire un peu le travail d’un fils ou d’un petit fils pour mes patients…en le soignant, en le conseillant ou simplement en lui serrant la main pour l’accompagner à l’ambulance des secours…Quand on ne pouvait pas faire autrement. » Appeler les secours, (« il cento dodici 112 », comme on dit en Italie !), cela lui est arrivé une dizaine de fois au cours des plus de 2000 visites qu’il a effectué jusqu’en mars de cette année. « Parce qu’après, avec le confinement, j’ai quitté le service du programme MISMI pour aller donner un coup de main à l’hôpital d’Aoste, submergé par l’arrivée des malades du Covid », précise-t-il.
MISMI : portrait d’une Europe réactive !
Mais si pour Marco, le Covid a marqué la fin de sa collaboration au programme européen, cela n’a pas été le cas pour les autres acteurs du programme européen.
« Il nous restait 140 milles euros en mars dernier sur les 1 million 800 000 qui nous étaient alloués au total par l’Europe. Alors, avec nos partenaires français de la Tarentaise, nous avons demandé à poursuivre plus loin. Au moment où l’Europe entière commençait à se confiner, que la population âgée commençait à constituer le gros des troupes des victimes, ce n’était pas le moment de les abandonner », explique Anna Castiglion, la directrice de l’azienda USL (l’agence régionale de santé de la région vallée d’Aoste).
Et qu’a répondu l’Europe ? « depuis des dizaines d’années que nous montons des projets en commun avec la France, c’est le premier cas concret où nous réussissons à réorienter les fonds européens obtenus pour répondre à une urgence à laquelle nos territoires de montagne sont confrontés. D’ordinaire, ces fonds auraient été perdus pour nous !! » se félicitait dans la presse valdôtaine le vice-président de la région vallée d’Aoste chargé des affaires européennes, Luigi Bertschy. « On a donc continué les visites à domicile de nos patients, mais en y effectuant des dépistages par tampons et en renforçant nos téléconsultations à distance qui, en plein confinement, se trouvaient être le moyen idéal pour accompagner les personnes isolées, sans les faire venir à l’hôpital d’Aoste », poursuit la directrice de l’organisation sanitaire chef de file du projet Mismi auprès de l’Europe pour l’Italie et la France.
Le coup de pouce du Covid 19
« L’épidémie de Covid nous aura à nous, savoyards, permis de gagner deux nouvelles spécialités en matière de téléconsultation : la chirurgie orthopédique, et la psychiatrie », se félicite de son côté de la frontière le docteur Aline Saudo, la responsable du programme MISMI pour l’hôpital d’Albertville, l’un des porteurs du projet pour la trentaine de communes de Tarentaise impliquées. « Si la vallée d’Aoste a choisi de profiter de l’aide européenne pour renforcer sa spécialité centrée sur les soins à domicile, et la socialisation des patients isolés, nous en Savoie, avons pu faire largement progresser notre expérience en matière de téléconsultations. L’Europe nous a mis le pied à l’étrier pour faire un vrai saut de qualité en la matière sans dépenser trop de moyens pour cela », ajoute-t-elle.
C’est qu’à l’issue du programme commencé en 2018, ce sont des consultations à distance dans pas moins de 10 spécialités (dont l’hématologie, la dermatologie, la cardiologie ou l’anesthésie pré opératoire…) que le centre hospitalier intercommunal d’Albertville-Moutiers a testé et adopté. Une avancée rendue possible par la mise en place de trois stations de téléconsultations dans des résidences pour personnes âgées de Aime, Bozel et Moutiers. Des ordinateurs sur lesquels il est possible de brancher des instruments médicaux : stéthoscope, otoscope ou autres. Une intelligence artificielle montée, qui plus est, sur roulettes, de façon à pouvoir téléconsulter le patient jusque dans sa chambre.
« On est bien conscient que la technologie seule ne suffit pas à égaler la valeur d’une consultation dans le cabinet d’un médecin, » explique pour sa part Sandra Ollier, la directrice de l’assemblée du pays de Tarentaise Vanoise sur le territoire duquel les expériences ont été menées. « Mais pour des territoires de montagne comme ceux de la Tarentaise et de la Vallée d’Aoste, au peuplement très différencié d’une saison à l’autre, la téléconsultation offre une facilité d’accès aux soins sur toute l’année pour les patients ».
Savoie/Vallée d’Aoste : deux modèles d’organisation sanitaire très différents
C’est d’ailleurs en mettant en avant leur spécialité de médecine de montagne que vallée d’Aoste et Savoie ont, dès l’origine, en 2014, porté leur projet sur les fonts baptismaux européens.
« Nos deux territoires sont touchés par la même désertification médicale. C’est un point commun d’importance, précise Anna Castiglion, la directrice de l’agence sanitaire valdôtaine, mais pour le reste, chacun a utilisé les ressources européennes pour développer à sa manière sa pratique de soins à la personne. Car nos systèmes d’organisation sanitaires italiens et français restent très différents ».
Car si en Italie, les choix sanitaires, la gestion des hôpitaux est de compétence régionale, en France, la centralisation étatique limite le pouvoir des régions par exemple. Des différences structurelles, que l’on retrouve dans l’approche des solutions recherchées. Investissement technologique et dans la formation à la téléconsultation pour la France. Accent mis sur la médecine à domicile pour la petit région autonome de la vallée d’Aoste, qui tient à son modèle sanitaire, tournant le dos au grand frère milanais, davantage orienté à envoyer sa nombreuse population vers les grandes structures médicales et hospitalières.
« En Tarentaise/Vanoise, nous pouvons désormais compter sur 4 maisons de santé qui ont vu le jour ces dernières années. C’est ce qui nous a permis d’attirer de jeunes médecins qui ne seraient pas venus sans ces structures », explique Sandra Ollier.
« Notre conception de la médecine à domicile ne s’entend que si elle est accompagnée d’une invitation lancée au patient isolé pour qu’il se resocialise », ajoute pour sa part, Anna Castiglion. « C’est tout le sens de l’intervention de nos animateurs de communauté que nous avons pu faire intervenir auprès des personnes âgées. Ce sont presque 20 milles personnes qui ont participé aux évènements festifs et autres proposés pendant la durée du projet MISMI. Ce que l’on a appelé les « promenades » par exemple, ont permis à beaucoup de nos anciens de renouer des liens entre eux et autour d’eux ».
IN FINE : Remettre l’humain au centre
Qui a dit que les différences risquaient de tuer l’Europe ? Portant chacune leur modèle sanitaire sur le dos, la Savoie et la Vallée d’Aoste ont bien su enfourcher le turbo européen pour faire avancer leurs idées, pas vrai ?
Ce qui n’a pas empêché les « petites mains » de MISMI, qu’elles soient françaises ou italiennes, médecins, infirmières ou animateurs, de travailler de concert pour mettre davantage d’humain dans les lendemains de la médecine de montagne.
« Je n’oublierais pas les éclats dans le regard que j’ai vu lors de notre congrès de clôture du programme en février dernier que nous avions baptisé : « Arrivederci MISMI ». C’était celui d’un patient équipé d’un appareil respiratoire que nos infirmières avaient visité plusieurs fois au cours du programme. Malgré ses difficultés n’avait pas hésité à faire plusieurs heures de route pour descendre de sa montagne. Juste pour participer et témoigner ».
« Les 5 téléconsultations que nous avons mené à bien pendant la période du programme, outre qu’elles étaient souvent vécu comme un soulagement par nos résidents qui n’ont plus à supporter la fatigue d’un voyage à l’hôpital, explique Gauvain Moulin, l’un des infirmiers de l’EHPAD « La Maison du Soleil » d’Aime en Savoie, ont été très appréciées par nous aussi, personnel soignants. Tout simplement parce qu’elles nous permettent d’assister à la consultation avec le médecin. Et c’est primordial pour nous, qui sommes quand même les personnes qui connaissons le mieux nos résidents, pour passer l’essentiel de notre temps avec eux ».
Convaincu le personnel de « la maison du Soleil ». Au point qu’après avoir loué une centrale de téléconsultation grâce à l’Europe, elle a fini par se l’acheter. Et ce ne sera pas l’un des seuls fruits de l’après MISMI, qui jouera finalement les prolongations jusqu’à décembre 2020. L’agence régionale de la santé de Savoie planche déjà pour implanter de nouvelles plates formes de téléconsultations, encore plus simples, par connexion via des tablettes, dans d’autres établissements.
Quant au côté italien, une évaluation des retombées de MISMI est en cours par le biais de la fondation LINKS de l’école polytechnique de Turin… A n’en pas douter, l’avenir de la médecine de montagne se cache quelque part sur la frontière franco-italienne !