Dans les souffleries de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera) de Modane, les industriels Safran et General Electric ont débuté les essais d'une prochaine génération de moteurs destinés aux avions. Moins polluants, ces réacteurs font l'objet d'investissements extraordinaires.
La maquette bardée de capteurs doit permettre de vérifier le comportement en vol du moteur : dans une immense soufflerie, à Modane (Savoie), Safran a débuté les essais de la prochaine génération de réacteurs, avec l'ambition de réduire fortement la consommation de carburant, un élément central de la décarbonation de l'aviation.
Alors que le secteur aérien s'est engagé à atteindre la neutralité carbone en 2050, l'efficacité du moteur pourrait représenter 20 % des gains escomptés, et l'utilisation de carburants durables la moitié. Pour cela, Safran mise, avec son partenaire américain General Electric (GE), sur le projet Rise (Revolutionary innovation for sustainable engines, soit Innovation révolutionnaire pour des moteurs durables).
Un milliard d'euros
Mobilisant plus de 1 000 ingénieurs dans chaque groupe, Rise vise à préparer des technologies pour un futur moteur destiné à équiper les successeurs des Airbus A320 et Boeing 737 en 2035. Côté français, l'investissement est d'environ un milliard d'euros, dont quelques centaines de millions apportés par l'Etat.
"Le projet permet d'être sur la ligne de départ des compétitions que vont lancer les avionneurs en 2028-2029, avec des technologies qu'on aura toutes amenées à maturité", explique Eric Dalbiès, directeur de la recherche et de la technologie chez Safran.
Parmi elles, l'hybridation électrique du moteur, des matériaux composites, des alliages métalliques résistant à de très hautes températures ou encore l'impression 3D. Dans la soufflerie S1MA de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera) située à Modane (Savoie), suffisamment puissante pour reproduire la vitesse de croisière de Mach 0,8 (988 km/h) d'un avion de ligne, Safran teste la principale rupture technologique espérée : une architecture dite "open fan" ou soufflante non-carénée.
"Faire l'hélice la plus grande possible"
Au centre d'un boyau de 8 mètres de diamètre où s'écoule le flux d'air accéléré, trône donc une soufflante de moteur à l'échelle 1/5e, une sorte de grande hélice bardée d'aubes. Mais contrairement aux réacteurs actuels, elle est non-carénée, c'est-à-dire dépourvue d'une nacelle la ceinturant.
L'enjeu est d'augmenter le taux de dilution du moteur. C'est-à-dire "le ratio entre la quantité d'air qui passe par l'hélice et génère l'essentiel de la poussée du moteur, et la quantité d'air qui passe par la chambre de combustion dans laquelle on brûle le kérosène", explique Pierre Cottenceau, directeur technique de Safran Aircraft Engines.
Pour ce rendement propulsif, "il faut faire l'hélice la plus grande possible", abonde Eric Dalbiès. Mais le poids d'une nacelle autour du moteur, nécessairement plus grosse et lourde, annihilerait ce gain. D'où le pari de se passer de nacelle. Le taux de dilution est passé de un pour les premiers turboréacteurs à 10 pour les moteurs Leap équipant la majorité des A320 et la totalité des Boeing 737. Avec Rise, Safran et GE espèrent "dépasser largement un taux de dilution de 50" et ainsi consommer moins de carburant pour propulser l'avion.
Un nouvel avion à repenser
Rise vise une réduction de 20 % de la consommation de carburant. Avec sa grande soufflante, le futur moteur aura un diamètre de quatre mètres, deux fois plus que les réacteurs actuels d'avions monocouloirs.
L'architecture de l'avion du futur devra donc elle aussi être repensée : Rise sera trop gros pour être fixé sous les ailes. Il faudra soit fixer les ailes en haut du fuselage, quitte à les soutenir par des haubans, comme l'envisage le projet X-66A de Boeing et de la Nasa, soit mettre les moteurs sur les côtés à l'arrière du fuselage.
D'ici là, plus de 200 heures d'essais en soufflerie seront nécessaires, suivis par des "essais au sol du moteur en 2025-2026 et en vol un an plus tard", selon Pierre Cottenceau. Rise sera alors fixée sous l'aile d'un A380 d'essai, l'avion géant d'Airbus.