Témoignage. "Après, c'est la rue" : il dort dans sa voiture à 59 ans, un chef d'entreprise raconte sa descente aux enfers

Publié le Écrit par Antoine Belhassen et Jean-Christophe Pain

Depuis près de deux mois, François dort dans sa voiture sur un parking d'Aix-les-Bains, en Savoie. Comme d'autres chefs d'entreprise, il a tout perdu à la suite de la crise du Covid-19. Il témoigne de son quotidien, marqué par la précarité, le froid, la faim, mais aussi par la difficulté de retrouver un emploi.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Dans son ancienne vie, François* était chef d'une entreprise en pleine expansion, s'attaquait au marché international, effectuait des voyages d'affaires à Miami, Las Vegas, Monaco... Mais depuis deux mois, cet homme de 59 ans n'a, pour seul refuge, que sa voiture.

Tous les soirs, il se gare sur un parking d'Aix-les-Bains, à quelques pas des grands établissements de cure thermale. Il rabat un les sièges avant, déplie une couverture et se contorsionne pour trouver la meilleure position possible : "On ne dort pas dans une voiture, on se met à l'abri. On essaye de trouver une position correcte. Mais avec l'humidité et le froid en ce moment, on est rapidement transi. Ça nous oblige, des fois, à sortir la nuit pour marcher un peu et essayer de se réchauffer. On ne met pas le chauffage puisque ça puise de l'essence et il faut de l'argent pour la payer."

Le froid, l'humidité, l'inconfort mais aussi ses pensées l'empêchent de trouver le sommeil : "La nuit, on se refait le film. On se demande pourquoi cette situation... Pourquoi on en est arrivé là... On ne dort pas." François, comme d'autres chefs d'entreprise, a été durement frappé par la crise du Covid-19. Désormais, il peine à retrouver un travail et une situation digne.

"Ça a été violent, tout bascule très rapidement"

En 2020, François, diplômé d'un Master et avec une importante expérience dans le management, dirige une équipe d'une vingtaine de salariés, réalise de nombreux investissements : "On avait tout pour faire une année 2020 incroyable." Puis, vient la crise du Covid-19. Son entreprise, spécialisée dans les produits de distribution dans l'hôtellerie, la restauration ou le milieu de la fête, est stoppée du jour au lendemain. Il doit rembourser certaines avances. Son monde s'arrête.

"Ça a été violent. Vous perdez tout. Vous n'êtes plus essentiel, le marché s'arrête. Ça tient à très peu de choses. Tout bascule très rapidement", explique-t-il. 

J'ai misé sur le rouge et c'est la boule noire qui est sortie.

François.

Juin 2020 : son entreprise rentre en cessation d'activité. Il parvient à indemniser ses salariés, à payer ses créanciers. Un premier coup dur. Il parvient cependant à retrouver des missions temporaires : "Après la crise du Covid, j'avais perdu une société. J'ai essayé de continuer à travailler. J'ai continué à faire du management d'entreprise, alors que j'aurais dû me poser, me mettre à l'abri. Je me suis appauvri dans cette solution", poursuit-il. Pour cause : François a tenté des investissements qui n'ont pas payé : "J'ai misé sur le rouge et c'est la boule noire qui est sortie."

Il chute alors dans la précarité : "C'est compliqué d'expliquer qu'il y a eu un parcours qui a été riche de réussites pendant des années. Le Covid, ça a été ce qu'on appelle les 4D : dépôt de bilan, divorce, dépression et déménagement."

Pour s'en sortir, François a même dû vendre au rabais ses lunettes de soleil ou sa belle montre. "J'ai pu gagner un peu d'argent pour me nourrir ou payer de l'essence", raconte-t-il.

La difficulté de "retrouver un travail"

"Je n'en veux à personne. Ce n'est pas la société qui est responsable de ma situation. Ce sont mes choix qui m'ont amené là où j'en suis. Mais ce que je veux souligner, c'est que, non, ce n'est pas si facile de retrouver un travail", tient-il à expliquer.

Depuis des mois, François effectue des "recherches intensives" dans plusieurs secteurs via Pôle Emploi, l'Apec, des agences d'intérim... Au fil de ses demandes, il essuie plusieurs refus, des courriers sans réponse ou voit passer des annonces aux contours flous ou beaucoup trop éloignées de son profil.

C'est une question de survie. On fait abstraction, on avance et on se construit différemment.

François.

Il constate aussi le mur de l'âge : "Quand on est seul, c'est difficile de rebondir. Il y aussi un phénomène d'âge. Pour rebondir quand on n'a plus de 55 ans, c'est compliqué." Mais il remarque également qu'il doit revoir ses attentes à la baisse : "C'est une question de survie. On fait abstraction, on avance et on se construit différemment. On tempère ses ardeurs."

Malgré ça, il essuie plusieurs refus : "Pour pouvoir répondre à certaines offres, comme un boulot de plongeur par exemple, il a fallu que je dégrade mon CV, que j'enlève tous les postes à plus-value, qui pourraient faire peur."

Deux mois sans vrai repas chaud

Dans le coffre de sa voiture, François a toute sa vie : une valise, avec quelques vêtements, et des vivres. Surtout des conserves et quelques produits frais pour préparer un unique repas par jour. Depuis plusieurs semaines, il s'est rapproché d'associations comme le Secours Populaire ou le Secours Catholique : "Sans ces associations, il aurait été possible de me retrouver dans la rubrique des faits divers, car je ne voyais pas comment m'en sortir."

Il a trouvé une aide et un cercle de parole auprès de ces associations. Mais il a aussi fait face à leurs contraintes actuelles : "Comme la demande a explosé, nous sommes de plus en plus rationnés. Il y a beaucoup de gens, donc on a un strict minimum. C'est très compliqué, ça fait pratiquement deux mois que je n'ai pas eu un vrai repas chaud."

D'ici peu, François va effectuer quelques missions, notamment d'animations dans des grandes surfaces. Mais pas de quoi lui permettre de retrouver un logement. Il devrait donc continuer à vivre dans sa voiture : "Ma voiture est le dernier rempart à ma sécurité. Elle me permet d'être encore à l'abri. Elle est le dernier achat de mon ancien job." Mais celle-ci a été louée en option d'achat et son contrat se termine à la fin du mois de décembre. "Après, c'est la rue", prévient-il.

*À sa demande, le prénom a été modifié afin de garantir son anonymat.

Qu’avez-vous pensé de ce témoignage ?
Cela pourrait vous intéresser :
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information