Deux petits lynx accompagnés de leur maman viennent d'être filmés dans le massif des Bauges, en Savoie. Alors que les observations du félin se multiplient dans les Alpes, son retour semble se confirmer bien que la partie soit encore loin d'être gagnée pour ses défenseurs.
Toujours fidèle à sa réputation de discrétion, c'est d'abord maman lynx qui apparaît, la tête dressée, aux aguets. Puis ses deux petits se font voir quelques instants dans le halo infrarouge du piège photographique installé par les services du parc naturel des Bauges, en Savoie.
"Réussir à capturer leur image, ça reste toujours un petit événement", avoue Richard Cousin, expert naturaliste et animateur du réseau loup-lynx au sein du parc.
Une colonisation à pas... de lynx
"Cela n'a rien à voir avec le loup. Sur le massif des Bauges, le lynx, on l'aperçoit sur des vidéos, seulement une petite dizaine de fois chaque année. Pas davantage. En plus, on n'est même pas certains que ce ne soit pas le même spécimen qu'on filme plusieurs fois", ajoute Richard Cousin.
Bien étrange animal que ce lynx. Tout du chat, hormis ses pinceaux de poils au bout des oreilles et sa taille ; rien du loup. Quand le loup est une machine de guerre, rusée comme un renard pour attaquer le bétail ; le lynx, lui, se fait discret, n'attaquant que peu ou pas du tout les troupeaux, affichant une fragilité naturelle. Une énigme, en quelque sorte, pour un prédateur. Y compris pour ses observateurs les plus pointus.
"Ce dont je suis sûr, pour l'instant, c'est de la présence de trois lynx dans le massif des Bauges. Davantage peut-être maintenant puisque l'on vient d'observer deux jeunes, mais cela reste un animal bien mystérieux que l'on a besoin de mieux connaître", avoue le spécialiste.
Pourtant, les témoignages se multiplient ces dernières années aux quatre coins des Alpes. En Haute-Savoie, dans l'Ain, dans les massifs de la Chartreuse, des Bauges et même jusque dans le parc du Grand Paradis en Italie voisine, où les derniers spécimens observés de façon certaine remontent à 1916 !
Plus fort encore, pour alimenter la légende du retour du lynx en terre savoyarde, le mois dernier, une habitante de l'agglomération chambérienne avait même eu la surprise de voir débarquer deux petits lynx sur sa terrasse.
"À partir de la Suisse et de l'Allemagne où il a été réintroduit il y a plusieurs décennies, on assiste bien à son expansion en France. Dans le Jura d'abord, puis vers l'ouest et le sud, mais c'est un développement de population très lent," tempère Richard Cousin. "Depuis trois ans, on en parle davantage parce que l'on assiste à une inflation d'images provenant de pièges photographiques qu'en raison d'une réelle densification de sa population".
Dans l'œil du lynx
Si le lynx est de plus en plus observé grâce aux progrès de la prise de vue, le mystère du volume de ses effectifs reste donc entier. Entre 150 et 200 spécimens seraient présents sur le territoire français. Mais au niveau des Alpes, le lynx demeurant un animal discret, sa présence reste difficile à quantifier. Voyageur dans l'âme, il se déplace beaucoup d'un territoire à un autre, parcourant parfois des dizaines voire des centaines de kilomètres.
Un animal rare, donc, et que seule l'observation des tâches sur son pelage permet d'identifier. "Outre leur nombre et leurs origines, on cherche surtout à savoir s'ils arrivent à traverser d'un massif à l'autre : des Bauges à la Chartreuse par exemple".
Loup ou lynx, pas le même tempo
A la différence d'un autre prédateur tel que le loup, le lynx n'est pas d'un pragmatisme à toute épreuve. Quand le loup est capable de s'adapter à l'univers de la plaine et même du littoral - son développement fulgurant depuis son retour dans les années 1990 l'a porté jusqu'en Bretagne, le lynx ne peut se passer des forêts, des grands espaces montagnards où la pression des hommes se fait moins forte, pour s'y cacher. Trouver aussi le gibier qu'il affectionne : chevreuils et lièvres, notamment.
Alors venir en milieu urbain, jusque sur la terrasse d'une habitation, aucun lynx n'y penserait : "Il est hautement improbable que les deux bébés lynx observés à La Motte-Servolex soient ceux que l'on a filmés dans le massif des Bauges. S'ils sont arrivés en ville, c'est qu'ils avaient vraisemblablement perdu leur mère. Et puis, il y a beaucoup trop de kilomètres."
Des kilomètres et bien des voies de circulation à traverser. Une fragmentation du territoire qui expose le lynx, beaucoup plus que le loup, aux collisions. Environ 150 lynx auraient perdu la vie lors d’accidents routiers ces 20 dernières années.
Alors, si voir sortir le loup du bois n'est plus chose rare, il faudra certainement encore des années pour que le lynx sorte de sa forêt protectrice et lève enfin le voile de mystère qui l'entoure encore.