Au nord de la Norvège, à la limite du cercle polaire, Sandrine Cnudde a randonné vers le plateau sauvage du Hardangervidda, là où vécut Hauge le poète. De ces courses sont nés les poèmes imprégnés de rudesse arctique qui composent « Le Vide et le reste »
Sandrine Cnudde n'écrit pas, elle marche...
[... ] je ne suis pas sûre
que le vent revient souvent
avec les bonnes réponses
mais j'aime l'empressement
des jambes
à maintenir l'impulsion
Dès 2007, Sandrine Cnudde renonce à sa vocation première (paysagiste urbaniste) mais, contrairement à ce que l'on attendrait d'une apprentie poète, elle ne se lance pas à corps perdu dans l'écriture.
Pour bâtir ce recueil, elle s'est lancée dans une randonnée depuis la maison du poète Olav Hauge en direction du plateau du Hardanger. Sa poésie s'est construite dans la marche, dans l'effort, et l'inspiration est venue au gré de la transpiration, de la solitude et de la méditation. Au gré de ses découvertes, S. Cnudde saisit des images et des impressions qui aboutissent dans ce beau recueil, « Le Vide et le reste ».
Les éditions Tarabuste, qui se consacrent avec talent à la poésie contemporaine, livrent une somptueuse plaquette, mêlant des poèmes, brefs, scandés à la manière de la poésie scaldique, à la manière des Haïku, aussi, et des images Noir-et-Blanc.
L'iconographie soignée, pas forcément saisissante, témoigne de la démarche entreprise par l'auteur : des photos en Noir-et-Blanc, qui ont clairement servi de support en mouvement à la poésie. De photo en poème, le livre de Sandrine Cnudde dégage un charme austère et envoûtant, où il apparaît que le livre n'est pas le but, mais une des facettes d'un vaste projet.
Qui est Olav Håkonsson Hauge ? Né en 1908, Olav Hauge a bâti une œuvre qui a évolué du classicisme jusqu'aux formes les plus contemporaines. Vivant au pied du plateau désertique du Hardanger, Hauge, jardinier, cultivait un verger et il écrivait des poèmes. Il est également le traducteur en norvégien de poètes tels que Yeats, Browning, Mallarmé, Rimbaud ou Georg Trakl...
Je savais ton nom
avant d'entrer
chez toi
cher O deux H
au cimetière
introuvable ta
pierre levée sur l'herbe
le poète n'est pas
dans sa tombe
tant que son nom
se lève sur les étagères
Le Hardangervidda, plateau norvégien situé au-delà de la limite de pousse des arbres, est colonisé par une faune et une flore arctique, dominé par un glacier, paysage que le réchauffement climatique va transformer dans les années à venir.
Plateau du Hardangervidda
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© Sandrine Cnudde
Lors de sa première randonnée, en 2007, Sandrine Cnudde se racontait ainsi : « J'ai vécu des moments d'une concentration extrême, proche de la méditation, où [...] je plongeais en moi-même dans de grands fonds silencieux, calmes et pleins. Aucune pensée, aucun manque. Je me sentais à la bonne place au bon moment. Vivante. Quand la vie se fait grinçante, je tente de retrouver cette sensation. »
Dans ce décor sauvage, Sandrine Cnudde a puisé largement son inspiration, explorant les mille et un recoins du Hardanger, et donnant naissance à une poésie âpre et dont la saveur — à l'égal de certains alcools fort nordiques (...) — reste longtemps en mémoire après lecture :
Par où commencer
la route qui monte
une vraie route
avec son asphalte
avec ses camions
avec ses holocaustes d'animaux
les pieds chauffent
et l'oiseau une merlette
étendue heurtée vivante
par où commencer
l'écarter du pied
honte à moi
je m'incline
ses plumes crissent
je soulève une terreur
reposée sur le bas côté
elle se quitte
Si l'ange s'approchait
pour me sauver
comment savoir
me dis-je giflée par les dernières
feuilles de l'été
papillons d'un seul vol