ANALYSE. Départementales et régionales : l'abstention record est-elle vraiment un "désastre civique" ?

66% des Français ne se sont pas déplacés aux urnes, et les abstentionnistes sont observés de près. Qui sont-ils ? Pourquoi ne votent-ils pas ? Quelles conséquences de notre démobilisation ? Loin des clichés, France 3 dresse le portrait de citoyens concernés, mais frustrés par la classe politique.

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Ils étaient tous prêts. Certains sûrs de leur victoire, d'autres presque résolus à la défaite, d'autres encore prêts à prendre la rampe de lancement vers la présidentielle. Oui mais voilà : le premier parti de France, c'est l'abstention. 67% d'élécteurs ne se sont pas déplacés pour le double scrutin de ce 20 juin 2021, faisant du Centre-Val de Loire la cinquième région la plus abstentionniste de France. 

Des abstentionnistes loin du désintérêt 

Un effet à la fois de la perte de confiance des électeurs dans la politique, et de la nationalisation de l'élection, qui a créé un effet de répétition, et déconnecté les électeurs des enjeux locaux. Le cliché est bien ancré : si on ne vote pas, c'est que la politique ne nous intéresse pas. Mais l'étude publiée par Ipsos/Steria sur les raisons de l'abstention fait émerger une toute autre réalité. D'abord, le manque d'information et de communication sur nos institutions et leur importance : "parce que vous pensez que ces élections ne changeront rien à votre vie" est la première raison citée par les abstentionniste.

Très vite, les arguments deviennent plus militants. Manifester son mécontentement envers le politique en général, difficulté à se retrouver dans un candidat, ou encore protestation contre le gouvernement Macron : les abstentionnistes sont aussi et même surtout des personnes de conviction. Le désintérêt pur est au final cité seulement en 5ème position. 

Cette donnée peut-être croisée avec le ciblage des abstentionniste sur la base de leur dernier vote. Les électeurs des partis qui proposent une vision complète et radicale de la société ont tendance à rester "fidèles" : si leur candidat n'a pas de chance de l'emporter, leur vote ne va nulle part ailleurs. Les sympathisants de La France Insoumise (67%) et du Rassemblement National (60%), sont ainsi ceux qui étaient les plus nombreux à envisager l'abstention. 

La fougue de la jeunesse ? Notre étude le montre, plus on est vieux, et plus on va voter. En moyenne, les 18-24 se déclarent abstentionnistes à 87%. Chez les 70 ans et plus, ce chiffre retombe à 40%. Entre deux, les écarts se sont effacés, puisque les 50-59 sont encore 68% à revendiquer l'abstention. Cette option, quoique non-légitimée en politique, a tenté 69% des cadres, 75% des ouvriers et seulement 47% des retraités. 

Abstention : quelles conséquences ?

L'abstention massive, d'abord, a balayé les habitudes des scrutins locaux. Peu de triangulaires, 1 seul et unique candidat élu au premier tour dans la région. Les têtes de liste les plus implantées, dont le nom et l'engagement sont connus du terrain, ont pu se distinguer au-delà des clivages partisans. C'est le cas de Baptiste Chapuis, à Orléans 4, qui emmène seul le PS au deuxième tour de l'élection, avec 7 points de moins que son adversaire LR. 

Le RN a fait les frais de cette prime à l'ancrage local : ses candidats, à l'instar de la tête de liste régionale Aleksandar Nikolic, sont peu connus des électeurs. Sans doute le parti de Marine Le Pen ne s'inquiétait-il pas trop, car l'abstention avait jusque-là plutôt profité au parti d'extrême-droite. Mais voilà le RN victime comme les autres du ras-le-bol des électeurs, et qui doit se résoudre à appeler ses électeurs "au sursaut". La rampe de lancement tant attendue pour la présidentielle n'aura pas fonctionné. Le parti présidentiel LREM, peu implanté dans les territoires, a fait les frais de cette même logique, et paie l'impopularité des politiques présidentielles. 

"Abyssale", "abstention de dingue", "désastre civique", "particulièrement préoccupant"... Tous les politiques invités ce 20 juin au soir sur les plateaux télé y sont allés de leur commentaire inquiet, sans aller cependant jusqu'à l'analyse de leurs responsabilités. Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, dont la phrase "personne ne peut sortir le champagne ce soir" a beaucoup été reprise, a poussé l'audace jusqu'à attribuer ce manque de mobilisation à la crise du covid-19, pourtant seulement citée en 7ème position chez les abstentionnistes. 

"Démobiliser les classes populaires est une stratégie"

Vincent Tiberj, professeur à Sciences-Po Bordeaux, observe dans un article intitulé Entendre les voix de l'abstention que "le contexte électoral joue donc de plus en plus dans le fait de voter ou de s’abstenir". Le vote est de plus en plus conjecturel : des événements forts, ou des débats clivants, peuvent encore nous pousser massivement vers les urnes. "Ce n’est donc pas l’abstention systémique qui progresse, mais plutôt la participation ou l’abstention intermittente" observe le politologue. Il note lui que les abstentionnistes ne sont pas dépolitisés : ils signent des pétitions, manifestent, interpellent... "Le vote n’a plus la même signification. Pour les personnes nées avant-guerre c’est un devoir civique, mais pour les post-baby-boomers c’est un moyen de participer comme un autre; et il est sans doute moins intéressant, puisque le message que le votant envoie ne lui appartient plus, une fois le bulletin dans l’urne." 

Le chercheur André Gunthert, enseignant à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) va encore plus loin. Dans un post publié sur twitter, il fustige : "Ne nous laissons pas berner par les plaintes sur l'abstension. Démobiliser les classes populaires est une stratégie électorale".

Reconnaissance du vote blanc ? Instauration du vote par internet ? Seuil minimum de participation pour valider un résultat ? Les pistes pour relancer notre envie de voter et la légitimité de notre système démocratique existent. L'abstention record de ce double scrutin aura peut-être, au moins, le mérite de remettre ces enjeux sur le devant de la scène

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