Les deux anciens dirigeants de Futurol’Industrie comparaissaient les 27 et 28 mai au tribunal de Chartres pour escroquerie en bande organisée avec association de malfaiteurs et abus de biens sociaux. Il leur est notamment reproché d’avoir détourné plus de 23 millions €.
“C’est l'un des plus gros dossiers économiques et financiers que l’on ait eu au cours de ces 10 dernières années”. Rémi Coutin, procureur de la République à Chartres, est catégorique : cette affaire est inhabituelle.
Elle remonte à 2014 : Futurol’Industrie, entreprise chartraine spécialisée dans les volets roulants et portes de garage, considérée comme la 2e du secteur, est placée en redressement judiciaire.
A ce moment, le déficit de la société s’élève à 71 millions d’euros. Peu de temps après, une plainte est déposée à son encontre. Comment cette entreprise florissante en est-arrivée là ?
Des stocks surévalués à 20 millions €
A l’origine de la plainte, un fonds commun de placement à risque (FCPR). Ce fonds cherchait à investir dans des PME innovantes. Futurol, avec 500 salariés et un chiffre d’affaires qui est passé de 3 millions à 103 millions € entre 2000 et 2013, correspond au profil. Le fonds de placement entre donc au capital de la société chartraine.
Mais rapidement, des soupçons pèsent sur la situation financière réelle de l'entreprise. Les responsables du FCPR demandent donc l’intervention d’un cabinet d’audit indépendant. Le résultat tombe en octobre 2014.
“C’était la catastrophe, décrypte Rémi Coutin. Le cabinet d’audit a chiffré à 6 millions € l’état des stocks présents, alors que l’inventaire produit en décembre 2013 par les dirigeants chiffrait ces stocks à 26 millions €. Soit un différentiel de 20 millions €.”
2 millions € de location de voitures
Mais l’enquête révèle d’autres irrégularités. D’après le procureur, Jean-Marc Gelin et Gilles Jonquières, respectivement l’ancien président et l’ancien directeur général, s’étaient octroyés des rémunérations très importantes - 350.000 € par an chacun - et des dividendes au cours des dernières années - 650.000 € - qui n’étaient pas du tout en adéquation avec la santé financière de la société.
Le train de vie luxueux est aussi mis en cause. “Sur les cinq dernières années, il y en avait pour plus de 2 millions € de location de voitures, de belles voitures. Des voyages étaient organisés régulièrement avec les conjoints, à Dubaï, au Mexique, en Egypte…”, énumère Rémi Coutin.
L’autre grande infraction reprochée est la vente au noir et la comptabilité occulte. “Ils avaient mis en place un système qui permettait de recevoir des commandes, de faire fabriquer les produits, mais il n’y avait pas de facture émise, ce qui permettait de faire disparaître dans la comptabilité ces commandes et ces fabrications”, détaille le procureur. Ces produits étaient ensuite vendu au noir, en espèces.
Il y en a eu pour 1,1 million €, après analyse informatique.
Association de malfaiteurs
Après quatre ans d’enquête et un procès initialement prévu en 2020 mais repoussé à cause du Covid-19, les deux anciens dirigeants ont donc comparu ce jeudi 27 et ce vendredi 28 mai pour répondre de plusieurs chefs d’accusation : faux, usages de faux, association de malfaiteurs...
Les deux plus importants restent l’escroquerie en bande organisée, pour avoir falsifié les stocks, punissable de 10 ans d’emprisonnement ; et l’abus de biens sociaux pour la vente occulte de produits, les rémunérations et le train de vie.
En tout, ils auraient détourné plus de 23 millions €. Mais le procureur le reconnaît : “c’est difficile de quantifier précisément le détournement.”
Des sommes contestées
Si les prévenus reconnaissent les faits, ils contestent les sommes. Ils estiment la surévaluation des stocks à 9 millions € (et non pas 20 millions). Quant à la vente occulte, la somme s’élèverait d’après eux à 100 000 €.
Me Isabelle Guérin, avocate de Jean-Marc Gelin, bat également en brèche le “mythe” du train de vie luxueux. Quand ils ont fait des voyages professionnels avec leurs collaborateurs, c’était payé d’après elle par des avoirs d’un de leurs fournisseurs (en échange de commandes importantes) pour financer des formations, des voyages.
“Le fournisseur venait avec eux, faisait une présentation des produits et des visites. S'ils n'utilisaient ces sommes-là, c’était perdu”, assure-t-elle
"Une spirale infernale"
Les salaires dits élevés sont relativisés : “Un salaire peut paraître élevé en soi mais par rapport à d’autres entreprises qui ont 500 salariés et font 100 millions € de chiffre d’affaires, ils étaient dans la norme”, assure l’avocate qui cherche à casser cette image de malfaiteur.
“Bien sûr qu’ils se repentent ! Ils ont été pris dans une spirale infernale. Ce sont des gens méritants, assène Me Guérin. Quand mon client a créé Futurol avec son associé, ils sont partis de rien en 1999."
“C’étaient des bons techniciens, ils ont déposé des brevets, mais ce sont des autodidactes, ils n’avaient aucune idée de la façon de gérer une entreprise, et encore moins une entreprise qui s’est développée aussi rapidement, ajoute-t-elle pour leur défense. Ils ont été dépassés, il leur a manqué une formation en gestion financière, et ils n’ont pas su s’entourer".
L’avocate conclut en citant son client : “il a dit hier 'on avait le nez dans le guidon, et à la fin il n’y avait plus de guidon'".
4 ans de prison dont 3 avec sursis
Me Guérin conteste également sur la forme certaines infractions où seraient cumulés plusieurs faits, alors qu’une infraction ne doit correspondre qu’à un seul fait. Elle a plaidé pour celles-là la relaxe.
Le procureur a demandé pour sa part la condamnation des deux anciens dirigeants avec une peine de quatre ans d’emprisonnement dont trois avec sursis. Il a également requis la confiscation de tous les biens mobiliers / immobiliers et comptes bancaires saisis dans le cadre de l’instruction, et l’interdiction définitive pour eux de gérer une entreprise
La décision a été mise en délibéré et elle sera rendue le 9 juillet prochain.