En octobre 2022, Jean-Pierre Gorges a signé un gros contrat avec une maçonnerie locale fondée par son beau-fils, Julien Cornu. Selon plusieurs juristes, l'implication du maire dans cette opération pourrait faire courir un risque pénal.
C'est une signature qui jette le trouble sur le maire (divers droite) de Chartres, Jean-Pierre Gorges. En octobre 2022, l'édile a paraphé un marché d'un montant pouvant aller jusqu'à 1,2 million d'euros par an avec la maçonnerie Janneau.
Or, cette société a été fondée par son gendre, Julien Cornu. Il en est aujourd'hui l'actionnaire à 49 % via sa holding, Lufaro. L'homme est par ailleurs le fils de l'ancien sénateur LR Gérard Cornu et le directeur d'une entreprise chartraine de plomberie réputée : Hydro Confort. Il est également vice-président de la Fédération française des bâtiments d'Eure-et-Loir.
D'après plusieurs juristes sollicités par France 3 Centre-Val de Loire qui ont étudié cette situation, pour son implication dans ce contrat, Jean-Pierre Gorges pourrait être suspecté de prise illégale d'intérêts. Une infraction passible d'une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 euros d'amende.
Malgré nos multiples sollicitations et l'envoi, par mail, de nos questions, Jean-Pierre Gorges ne nous a pas répondu.
De l'appel d'offres à la signature du maire
Pour assurer l'entretien et la rénovation de certains de ses bâtiments, comme l'hôtel de ville, le Centre communal d'action sociale (CCAS) ou le bâtiment de la Métropole chartraine, la mairie contractualise avec plusieurs entreprises prestataires selon une procédure bien précise.
D'abord, la Ville de Chartres lance un appel d'offres divisé en plusieurs "lots" correspondant à différents domaines d'activités : la maçonnerie, la peinture ou encore le cloisonnement. Les entreprises qui le souhaitent postulent et la mairie sélectionne l'entreprise avec "l'offre économiquement la plus avantageuse", comme l'indique l'extrait des décisions du maire. Pour finir, c'est à l'édile, Jean-Pierre Gorges, que revient la signature permettant le déclenchement du contrat.
"300 000 ou 400 000 euros par an"
Ce dernier est signé pour une durée d'un an, reconductible tacitement trois fois, avant le lancement d'un nouvel appel à candidatures.
En 2018, justement, le lot "maçonnerie", reconduit depuis plus de 10 ans avec l'entreprise lucéenne Construction Chedeville, expire. La mairie doit donc organiser un nouvel appel d'offres. Cette année-là, c'est une nouvelle entreprise, créée en 2016, qui remporte le marché : la maçonnerie Janneau.
Cette dernière a été montée par deux hommes qui ont fait carrière dans le bâtiment. Le premier, Antoine Robinet est un ancien conducteur de travaux chez Constructions Chedeville. Le second, c'est Julien Cornu, marié depuis 2010 à Mélanie Gorges, la fille aînée du maire de Chartres.
Les deux entrepreneurs se partagent la société : 51 % des parts appartiennent à Antoine Robinet et les 49 % restantes sont détenues par le gendre de Jean-Pierre Gorges.
"Aucun coup de piston"
Le choix, en 2018, de retenir la Maçonnerie Janneau aurait-il un rapport avec les liens de parenté de Julien Cornu ? " Absolument pas ! Il n'y a aucun coup de piston", rétorque le gérant Antoine Robinet, " Julien Cornu ne s'occupe pas de l'entreprise, c'est moi le gérant. Nous avons gagné le marché grâce à mon expérience chez Constructions Chedeville. Elle m'a permis de bien connaître les bâtiments de la Ville. Et au niveau du prix, nous étions les moins-disants".
Également questionné, Julien Cornu s'offusque : "Vous cherchez la petite bête, je ne gère absolument pas la maçonnerie", jure-t-il.
Toujours est-il qu'en juin 2022, le marché est à nouveau renouvelé. Et c'est encore la Maçonnerie Janneau qui est retenue, trois mois plus tard, par la mairie. Si le montant du marché est plafonné chaque année à 1,2 million d'euros, Antoine Robinet affirme que les rentrées financières pour sa société représentent en réalité "300 000 ou 400 000 euros par an ". Soit, à minima, plus d'un million d'euros puisque le marché, signé en 2018, a été reconduit jusqu'à son terme.
Une signature risquée
Cette signature de contrat de beau-père à beau-fils pourrait se révéler risquée, selon Clarence Bathia, juriste à l'association anticorruption Anticor : "Le maire, en octroyant un lot à la société de son gendre, peut en tirer un bénéfice indirect. Il risque, éventuellement, d'être soupçonné de prise illégale d'intérêts".
La prise illégale d'intérêt est définie par l'article 432-12 du Code pénal, comme le fait, par une personne investie d'un mandat électif public, " de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement".
Et ce n'est pas tout. Pour le juriste Mathias Amilhat, membre de l'Observatoire de l'éthique publique, le maire pourrait éventuellement être suspecté d'avoir commis ce délit : "Il me semble que les conditions peuvent être réunies. Le fait que la décision d’attribution soit directement prise par le maire me semble aller en ce sens également ", affirme-t-il.
À minima c'est un conflit d'intérêts. C'est-à-dire, sans même que cela ne puisse éventuellement être qualifiée de prise illégale d'intérêts, cela pose un problème de probité.
Clarence Bathia, juriste à Anticor
"C’est une hypothèse possible, mais qui ne le dédouane pas"
Selon Antoine Robinet, le gérant de la maçonnerie, les services de la mairie ignoraient la présence de Julien Cornu dans l'actionnariat de la société : "Au Centre technique municipal [l'organisme chargé de la maintenance et des bâtiments communaux, ndlr], ils ne savent pas que je suis associé à Julien Cornu. Tant qu'ils ne me posent pas la question, je ne vais pas le leur dire parce que c'est moi le gérant de l'entreprise".
Au moment de signer, Jean-Pierre Gorges ignorait-il aussi les liens de son gendre avec la maçonnerie ? Sans réponse de la part du maire, impossible à savoir. Mais pour le juriste d'Anticor, Clarence Bathia, là n'est pas la question : "C’est une hypothèse possible, mais qui ne le dédouane pas. Cette signature est de sa responsabilité".