A Tours ou Orléans, plusieurs dossiers de travaux publics sont à l'origine de véritables batailles judiciaires entre les municipalités et les habitants qui doivent être expropriés. Que peut-on faire face à cette situation ? France 3 étudie les cas de figure, et vous donne des conseils pratiques.
A Olivet (Loiret) comme à La Riche (Indre-et-Loire), ils devront partir. Deux villes, deux projets de travaux publics, et des centaines de familles qui ont reçu la consigne de quitter leur maison. A Olivet, c'est le projet d’aménagement de la ZAC du Clos du bourg, qui doit comporter des commerces, des logements neufs et des zones d'activité. A La Riche, plus écrasant encore, ce sont les travaux de la nouvelle ligne du tram de Tours.
Et le moins qu'on puisse dire, c'est que les expropriations se font dans la douleur. La question de l'estimation des biens, et donc de l'indemnisation des propriétaires, est celle qui cristallise le plus de tensions. A Olivet, une habitante expropriée, Pascale Auteroche, se bat toujours pour une meilleure estimation de sa maison, après une grève de la faim en 2017. A Tours, des manifestants attendaient le maire de pied ferme à l'entrée du conseil municipal le 17 mars. Celui-ci a choisi d'être escorté à l'intérieur par la police.
Les futurs expropriés de la ligne B se sont réunis pacifiquement, pour la 1re fois, hier soir lors du Conseil municipal de #LaRiche. ?
— Le Tram de Tours (@letramdetours) March 18, 2021
Le maire, également Président de #Tours Métropole, a décidé de les éviter et de se faire escorter par la Police. ?#tramhttps://t.co/7kHyWDUjvC
Que peut-on réellement faire lorsque notre maison fait face à un projet d'aménagement urbain ? Le pot de terre peut-il gagner contre le pot de fer ? France 3 répond à vos questions.
Comment doit se dérouler la procédure d'expropriation ?
Dans la majorité des cas, l'expropriation est demandée par une personne publique - par exemple votre mairie ou votre métropole - pour procéder à des travaux publics et des aménagements urbains.
La procédure doit se dérouler en deux phases. La première est dite "phase administrative" : c'est alors à la collectivité de prouver l'utilité publique du projet qui implique votre expropriation. La seconde phase dite "judiciaire" entérine le transfert des droits de propriété, ainsi que votre indemnisation.
"Entre la décision de lancer une procédure d'expropriation et la réalisation du transfert de propriété, il peut se passer un temps très variable (de moins d'1 an à plusieurs années)" précise le site du gouvernement. Par exemple, dans le cas du Clos du Bourg à Olivet, le projet est né en 2010, mais la procédure d'expropriation n'est toujours pas achevée, 11 ans plus tard.
La phase administrative impose la tenue d'une enquête publique, annoncée dans la presse locale. Un affichage doit obligatoirement être tenu en mairie "indiquant les heures et le lieu où le public peut prendre connaissance du dossier et formuler des observations sur un registre".
Une autre enquête doit permettre d'identifier les propriétaires concernés et leur permettre de savoir dans quelle mesure leur bien va être touché. Chaque enquête doit durer au minimum 15 jours, dès que le dossier a été transmis en préfecture.
Puis-je vraiment éviter d'être exproprié ?
"C'est vraiment très très rare", regrette Marie-Claude Fourrier, co-présidente Consommation, Logement, Cadre de Vie (CLCV) de Touraine. Cette association de consommateurs peut venir en aide, entre autres, aux personnes expropriées. "Contester le caractère d'utilité publique de certains travaux, c'est long, et c'est dur. Et il est certain qu'une fois que le dossier est passé devant toutes les commissions nécessaires, ça devient très compliqué."
La CLVC conseille donc aux propriétaires de se constituer en groupement ou en association et d'engager au plus vite des recours en Justice. "Un appel collectif sera mieux entendu", juge la présidente.
Ces expropriés du canal Seine Nord obtiennent dix fois plus d’indemnités que prévu
— Le Parisien | 60 (@LeParisien_60) November 24, 2020
➡️ https://t.co/OKswXf01St pic.twitter.com/ty8iRvPi5w
Si vous souhaitez vous lancer dans un recours concernant l'utilité publique des travaux, sachez que les juges recherchent dans ce cas la réunion de trois conditions :
- le projet est réellement justifié
- l'expropriation ne peut pas être évitée
- l'atteinte à votre propriété n'est pas disproportionnée par rapport au projet d'aménagement prévu
Le plus souvent, la création de lotissements communaux, d'espaces verts, d'écoles et hôpitaux ou les travaux de voirie sont considérés d'utilité publique.
A noter : une fois l'ordonnance d'expropriation prononcée par le juge, vous ne pouvez plus ni vendre, ni donner, ni hypothéquer votre bien. Il existe donc la possibilité de vendre votre bien dès le début de la phase administrative, si vous êtes assurés de terminer la vente avant le début de la phase judiciaire.
Si vous êtes dos au mur, sachez que les recours en justice suspendent l'expropriation jusqu'à ce que la procédure arrive à son terme. "Sinon, ce serait vraiment de l'abus de pouvoir !" plaisante Marie-Claude Fourrier. Cela peut être un moyen de gagner du temps en dernier recours, mais attention : le suivi d'un dossier d'expropriation est l'affaire d'un avocat spécialisé, et les honoraires peuvent être élevés. A titre d'exemple, le cabinet parisien Mialot Avocats affiche des honoraires variables selon le prix auquel a été estimé le bien. Ils sont compris entre 1 500 et 10 000 euros selon la valeur de votre maison.
"Il est plus simple de tenter une meilleure indemnisation" pour la président du CLVC.
Que faire si mon bien a été mal estimé ?
L'expertise conduite pour l'indemnisation de votre bien est à la charge de la collectivité, qui va ensuite vous proposer un prix, "bien souvent à la baisse", constate Marie-Claude Fourrier.
Selon le site spécialisé SeLoger, un exproprié va d'abord percevoir une indemnité "initiale, qui doit vous permettre d'acquérir un bien équivalent". Elle doit correspondre à la valeur du bien sur le marché, "ce qui signifie que vous devez percevoir un montant équivalent à ce que vous auriez perçu si vous aviez revendu votre bien de votre plein gré et par vos propres moyens, dans des conditions normales."
Après décision du juge, vous devez recevoir par lettre recommandée la proposition d'indemnisation de votre commune ou collectivité. Vous avez alors un mois pour accepter cette proposition, ou déposer une contre-proposition argumentée et détaillée. Vous pouvez donc demander à vos frais une seconde expertise par une agence ou un expert de votre choix.
Pour être mieux indemnisé, pensez à prendre en compte les frais réels que va engendre votre changement de propriété. Le déménagement, par exemple, est à votre charge à moins de l'intégrer à la négociation. Vous pouvez dans ce but faire réaliser un ou plusieurs devis chez des professionnels. Si vous ne pouvez vous reloger dans votre ancien quartier ou à proximité, vous pouvez également tenter de faire évaluer le préjudice de la distance entre vos lieux d'activité (bureau, école de vos enfants...) et votre nouveau secteur de résidence.
"Il est mieux de le faire très rapidement ! avertit Marie-Claude Fourrier. Car dans ces cas-là, il y a une enveloppe globale, et les derniers arrivés seront moins bien servis." En effet, la commune n'a pas d'obligation de répartir équitablement l'enveloppe d'indemnisation entre, par exemple, les propriétaires d'une même rue. Une action collective et concertée, ou une action très rapide, est donc préférable.
Locataire, quelle est ma situation ?
"Pour les locataires d'un bailleur social, en principe ça ne se passe pas trop mal. Le plus souvent, le bailleur fait le nécessaire pour reloger la personne dans des conditions similaires et en général dans la zone demandée. Avec un propriétaire privé ou une agence immobilière, c'est plus compliqué" nuance la co-présidente du CLCV 37.
Les locataires bénéficient eux aussi d'un droit au relogement, à assurer par l'autorité expropriante. L'article L314-7 du code de l'urbanisme dispose : "toute offre de relogement, définitive ou provisoire, doit être notifiée au moins six mois à l'avance. L'occupant doit faire connaître son acceptation ou son refus dans un délai de deux mois, faute de quoi il est réputé avoir accepté l'offre."
Exproprié il y a plusieurs années, puis-je récupérer mon bien ?
Dans certains cas exceptionnels, il vous est possible de vous voir restituer le bien duquel vous avez été exproprié.
- La personne publique qui vous a acheté votre bien souhaite vous le revendre
- Au bout de 5 ans, le projet prévu par la déclaration d'utilité publique n'est pas respecté
Dans ce dernier cas, vous pouvez demander la restitution de votre bien pendant 30 ans. "La loi n'a prévu aucune forme quant à la demande de rétrocession, il vous suffit donc d'avertir la personne publique par tous moyens. Il est recommandé, toutefois, de le faire par lettre recommandée avec accusé de réception" précise le site du gouvernement. Si votre demande est refusée, vous pouvez saisir le juge de l'expropriation.
En France, des milliers de personnes sont expropriées. Au nom de l’intérêt général, elles se retrouvent entraînées, souvent malgré elles, dans un engrenage qui peut durer des années.
— Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) April 6, 2021
? Expropriation : l’engrenage infernal
? Jeudi 21h05 dans #EnvoyeSpecial sur @France2tv pic.twitter.com/s97yM0zKUy
Quelques conseils à retenir !
Vous faites face à une expropriation, n'oubliez pas :
- Entamez les démarches aussi vite que possible
- Avec d'autres propriétaires, constituez un groupement ou une association
- Faites une contre-expertise pour l'estimation de votre bien
- Intégrez vos frais réels à la négocation (déménagement, éloignement de vos lieux de vie...)
- Vous engagez un avocat ? Vérifiez si vous êtes éligible à l'aide juridictionnelle
- Une bonne indemnisation est plus facile à négocier qu'une annulation de l'expropriation
- Locataires, rappelez à l'expropriant son obligation de vous reloger
- Suivez le déroulé du projet d'urbanisme : dans certains cas exceptionnels, vous pouvez demander à récupérer votre bien