Elles ont été généralisées en faveur d'une meilleure "confiance dans l’institution judiciaire". Les cours criminelles départementales s'installent dans toutes les juridictions de France en 2023. France 3 Centre-Val de Loire fait le point sur le fonctionnement de cette nouvelle manière de juger les crimes.
Peut-on juger vite, et bien ? C'est en tout cas l'un des objectifs de la loi du 22 décembre 2021 "pour la confiance dans l’institution judiciaire". Sous l'impulsion du garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, cette loi généralise la création des cours criminelles départementales dans toutes les juridictions françaises.
Face à des dossiers qui s'empilent et des délais de jugement parfois estimés trop longs, une nouvelle instance de jugement est mise en place. Ici, le verdict n'est pas rendu par des jurés tirés au sort sur les listes électorales, mais par cinq magistrats professionnels.
La cour criminelle testée dans le Cher
En région Centre-Val de Loire, le Cher a testé le dispositif entre septembre 2019 et décembre 2022. Une cour criminelle, comme son nom l'indique, juge des crimes, mais pas n'importe lesquels.
Elle ne remplace pas la cour d'assises, mais prend une partie des affaires qui lui était initialement destinées. Seules celles qui sont punissables de moins de 20 ans de réclusion sont concernées. Exclus, les accusés récidivistes, mineurs et les procès en appel. Ceux-là restent, avec les crimes passibles de plus de 20 ans de prison, jugés en cour d'assises.
À Blois, dans le Loir-et-Cher, où la première cour criminelle a siégé au début du mois de mai, trois périodes de l'année sont dédiées au jugement des crimes, comme l'explique Alexis Mihman, président du tribunal judiciaire. "On nous indique les dates et c'est ensuite à moi de fournir les assesseurs".
Rapidement, les calculs s'avèrent difficiles. Pour constituer une cour d'assises, il faut trois magistrats professionnels au total. Un président, et deux assesseurs. Six jurés populaires viennent ensuite grossir les rangs. Dans une cour criminelle, les jurés disparaissent, ils sont remplacés par deux magistrats. Il faut donc : un président et quatre assesseurs.
Pas de bras, pas d'audience
Pour les juridictions de première instance, chargées de mettre à disposition les magistrats, il faut alors mobiliser deux fois plus de personnes. "Quatre magistrats pour nous, c'est un quart des effectifs mobilisés" détaille Alexis Mihman. Des effectifs, qui, eux, ne doublent pas. Un vrai casse-tête dans lequel le président prend la casquette de responsable des ressources humaines et jongle entre les emplois du temps.
Ces juges ne travaillent pas que pour juger des crimes. Au quotidien, ils ont des fonctions qui leur sont propres : juge des enfants, ou encore d'instruction. C’est-à-dire chargé des affaires en cours. Pendant qu'ils siègent aux assises ou en cour criminelle, ils ne sont pas déchargés de ces fonctions.
À Blois, les magistrats sont déjà surchargés : "nos deux juges d'instruction gèrent 130 dossiers chacun par an" là où ils devraient n'en traiter que 80 en moyenne. "Nos collègues travaillent déjà le week-end, le soir, pendant leurs vacances, on ne peut pas en rajouter. Nous ferons au mieux, mais s’il faut ralentir ailleurs pour assurer, on le fera" annonce déjà Alexis Mihman.
"Il n'y a pas eu d'accompagnement et de réflexion sur la mise en place de cette loi" regrette le président. "On se retrouve un peu démunis, et on n'a pas l'impression que les politiques en prennent conscience". Ce printemps 2023, la juridiction teste pour la première fois les cours criminelles.
Des aides mises en place ?
À Bourges, juridiction expérimentale, on connaît le souci, mais il n'a pas vraiment pesé. Entre 2019 et 2022, deux magistrats temporaires ont été déployés. "Je ne peux pas vous dire si c'est pour cette expérimentation, ils ne faisaient pas que des cours criminelles", explique Audrey Debeugny, présidente de la cour d'appel du Cher.
Une chose est sûre, là-bas comme dans les autres départements tests, deux avocats "honoraires" sont désormais recrutés par la magistrature pour venir renforcer les effectifs. "Ils ne sont pas inscrits au barreau local" précise Audrey Debeugny, afin d'éviter tout conflit d'intérêts.
La juridiction n'est de toute façon pas engorgée, le Cher fait partie des petites structures. "On est bien occupé" affirme cependant Franck Graviou, avocat général à la cour d'Appel. Qui dit petite juridiction, dit aussi équilibre sensible. Chaque changement peut rapidement devenir un chamboulement.
De nouvelles exigences mais pas plus de temps
Dans l'année, chaque juridiction a un nombre définit de semaines dédiés au jugement des crimes. Cour d'assises ou cour criminelle, peu importe. Mais les règles ne sont pas les mêmes. La loi contraint les délais entre la fin d'une instruction judiciaire (le moment où un accusé est renvoyé devant une cour d'assises) et le jugement d'une affaire.
Un accusé placé en détention provisoire ne peut pas y rester plus d'un an entre ces deux moments "sachant qu'ils ont souvent déjà passé du temps en détention pendant l'instruction" précise Franck Graviou. Pour les cours criminelles, ce temps est réduit à 6 mois.
Pourtant, il y a presque tout autant de démarches à faire pour convoquer toutes les parties. Accusés, victimes, experts, directeurs d'enquête, tout est fait par l'un des organes clés de la justice : le greffe. La seule chose qui change c'est qu'il n'y a pas besoin de prévenir les citoyens, mais ça ne réduit pas pour autant le délai de moitié.
Le risque du "procès au rabais"
Dans cette nouvelle manière de juger, les jurés disparaissent donc. Tous les magistrats et parquetiers interrogés s'accordent sur une chose : la présence de citoyens dans les cours d'assises est éminemment pédagogique. "C'est une expérience unique pour ces apprentis de la justice" affirme Stéphanie Krétowicz, présidente du tribunal de Chartres. "Je suis attachée à ce principe pour les institutions. Nous rendons justice au nom de la société" ajoute-t-elle. La décision prend alors un sens particulier, voire une certaine légitimité, insiste Franck Graviou.
Pendant quelques jours, les jurés populaires sont ainsi plongés dans le fonctionnement d'une audience, "c'est la découverte d'un monde ignoré, loin des fantasmes". Décider, parfois, des 30 prochaines années de la vie d'un homme ou d'une femme rend la mission aussi lourde qu'instructive.
Parmi les craintes des professionnels de justice, en voyant la création de ces cours criminelles, le risque de voir les débats se raccourcir, et d'initier des sortes de "procès au rabais". À Bourges, Franck Graviou note que "le temps gagné reste à la marge, une ou deux heures peut-être, mais on ne gagne pas une demi-journée sur un procès de deux ou trois jours". Loin, donc, des audiences correctionnelles, qui jugent des délits à la chaîne, dans des après-midi parfois surchargées. Audrey Debeugny estime que la qualité des débats y est conservée.
Mêmes peines qu'en cour d'assises
Les peines, quant à elles, restent du même ordre que celles qui étaient prononcées en cours d'assises dans le même type de dossiers. Elles sont d'ailleurs pour l'instant principalement confirmées lorsqu'appel est interjeté. En tout cas, dans les mêmes proportions que pour une cour d'assises.
Concrètement, les cours criminelles traitent principalement de dossiers de viols, à 80%. Certains y voient le risque de rendre ce crime encore moins visible des citoyens, d'autres estiment que ce fonctionnement permet de moins correctionnaliser. Un système qui permet de transformer un viol en agression sexuelle, avec l'accord des parties, pour que le dossier soit jugé plus vite.
Nouvelle arrivée, la cour criminelle devra rapidement prendre de la place dans le paysage médiatique. Dans le Cher désormais, la moitié des crimes sont jugés en cours criminelles, estime Audrey Debeugny.