Grâce aux travaux menés depuis de longues années par l'équipe du professeur Jean-Claude Marquet en Indre-et-Loire, on sait aujourd'hui que les gravures réalisées avec des doigts sur les parois de la grotte de la Roche-Cotard datent d'au moins 57 000 ans, une période où Homo sapiens n'était pas encore présent en Europe.
L'archéologue Jean-Claude Marquet est, à n'en pas douter, un homme persévérant ! Il a entrepris ses premières fouilles à Langeais, sur le site privé de la Roche-Cotard en 1976. Et après une interruption d'une vingtaine d'années (pendant lesquelles il a exercé les fonctions de conservateur du musée de la préhistoire du Grand-Pressigny), il les a relancées en 2008.
"J'ai entrepris des fouilles en 1976 car le nouveau propriétaire du site m'a ouvert grand les bras, alors que le précédent ne voulait pas en entendre parler", explique le professeur Jean-Claude Marquet.
Avec son autorisation et celle de l'Etat, j'ai fait 3 campagnes de fouilles jusqu'en 1978. Après 22 ans passés au Grand-Pressigny, j'avais toujours la Roche-Cotard dans un coin de ma tête.
Jean-Claude Marquet
"En 2008, j'ai repris les travaux le plus sérieusement possible en constituant une petite équipe, qui s'est étoffée en 2015 en projet collectif international de recherches. Nous nous sommes mis au travail pour étudier ces tracés digitaux qui méritent beaucoup de soin et d'attention, et surtout pour les dater."
Le site de La Roche-Cotard se trouve à Langeais en Indre-et-Loire. Il se développe à mi-hauteur du versant rive droite de la vallée de la Loire un peu en amont de la ville et à l’ouest de Cinq-Mars-la-Pile. Exposé au sud, il se compose d’une grotte, d’une station en pied de falaise, d’un petit abri très bas et d’une grotte-abri de faibles dimensions (quatre "locus"découverts lors des campagnes de fouilles des années 70).
La grotte refait surface grâce à l'arrivée du train
La grotte n'a été mise au jour qu'en 1846, lors de la construction de la voie ferrée entre Tours et Nantes dans le lit de la Loire. À cause des crues, il a fallu surélever la voie de 7 à 8 mètres de hauteur, avec la terre, les sédiments trouvés sur place.
"C'est ainsi que l'entrée a été dégagée", poursuit l'archéologue. "Mais la grotte n'a été découverte qu'en 1912, lorsque le propriétaire du petit château de la Roche-Cotard, qui chassait dans son parc, a vu son chien s'engouffrer dans un trou et l'y a suivi. Il a d'ailleurs fait un petit article en 1913, avec des photos des outils en silex qu'il y a découverts."
Et c'est donc plus d'un demi-siècle plus tard, en 1976, que des recherches archéologiques sérieuses vont y être entreprises :
Ce qui m'intéressait surtout, c'était de réaliser un sondage devant l'entrée de la grotte, car les hommes préhistoriques vivaient à la fois à l'intérieur et juste devant.
Jean-Claude Marquet
"En faisant un sondage stratigraphique, j'ai découvert une magnifique couche moustérienne (le moustérien est la culture propre à Néandertal, constituée de silex taillés et d'ossements transformés en outils, NDLR). Elle contenait de très beaux outils en silex et un objet tout à fait extraordinaire, énigmatique."
L'objet énigmatique en question (93 mm de hauteur, 105 mm de largeur, de 40 mm d’épaisseur et pesant 299 g) est vite baptisé "le Masque de la Roche-Cotard" par le professeur Michel Lorblanchet, un grand spécialiste de l'art de la Préhistoire.
"Il est tombé d'accord avec moi sur le caractère intentionnel de cet objet, sur le fait que cette figure humaine ou animale est fabriquée, et ne peut être le fruit du hasard. L'esquille osseuse qui traverse le support a été bloquée pour ne pas bouger. Et, des retouches ont été faites, des enlèvements d'éclats pour donner une meilleure symétrie au bloc."
Des réalisations trop anciennes pour le Carbone 14
Ainsi, découverte majeure, le masque de la Roche-Cotard pourrait-il être considéré comme une des plus anciennes manifestations artistiques humaines, attribuable à l'homme de Néandertal.
Autre surprise révélée par les recherches archéologiques menées après 2008 : les gravures réalisées sur une paroi de tuffeau de 12 mètres de longueur sont bien des formes délibérées créées par la main de l'homme et ne peuvent être postérieures à la découverte de la grotte en 2012.
"Ce sont des formes délibérées, intentionnelles, pensées avant de commencer le travail sur la paroi, estime Jean-Claude Marquet. Il y a à l'évidence une intention artistique et je pense même, grâce à différents outils trouvés sur place, que d'autres néandertaliens, venus d'ailleurs, sont venus voir ces tracés digitaux. C'est une hypothèse que je formulerai quand j'écrirai la monographie de ce site."
Une datation relativement précise de toutes ces découvertes, gravures, outils, masque, s'est longtemps révélée impossible : le carbone 14 ne peut aller au-delà de 40 000 ans.
La grotte fermée par les sédiments il y a 57 000 ans
Lors des crues de la Loire, au cours des millénaires, les couches de limons se sont déposées jusqu'à colmater complètement l'entrée de la grotte. Or les Danois ont développé une méthode permettant de dater les sédiments :
"La méthode OSL, luminescence stimulée optiquement, donne la date à laquelle le sédiment a subi l'action du rayonnement solaire et du rayonnement cosmique, avant d'être recouvert, précise le professeur Marquet. Au Danemark, un laboratoire a mis au point cette méthode qui permet de dater jusqu'à 300 ou 400 000 ans !"
La grotte de la Roche-Cotard a été fermée il y a 57 000 ans par les sédiments déposés par la Loire, c'est pourquoi l'on n'y trouve aucun outil réalisé par Homo Sapiens.
Jean-Claude Marquet, Dr d'Etat es Sciences, sciences de la Terre/paléontologie
Et une datation à 57000 ans n'est que l'hypothèse basse, puisqu'elle ne donne que la fermeture de la grotte. L'archéologue penche, lui, pour une datation à 75000 ans, se fiant à l'analyse de sédiments plus anciens qui avaient eux aussi atteint la grotte !
"D'autres sédiments avec des éclats de silex ont eux aussi été datés par la méthode OSL, la Loire a commencé ses dépôts dans la grotte il y a 75000 ans et c'est peut-être d'ailleurs ce qui a fini par chasser les Néandertaliens."
Ces travaux interdisciplinaires impliquant tous les membres d’un projet collectif international de recherche, dont des chercheurs de l’université de Tours en archéologie (CITERES-LAT, CNRS/université de Tours) et géologie (GEHCO), ainsi que de la Maison des Sciences de l’Homme, ont été publiés dans la revue scientifique PLOS ONE le 21 juin 2023 (publication en anglais).
La grotte de la Roche-Cotard a été classée monument historique en avril 2021. Malgré de nécessaires mesures de protection qui devraient être mises en place pour éviter une dégradation rapide du site, le propriétaire n'envisage pas, pour le moment, une vente à l'Etat.