Amélie Lévêque, victime du chirurgien pédophile : "Je veux le regarder dans les yeux, lui montrer que je suis debout"

Agressée par Joël Le Scouarnec à l'âge de 9 ans, à l'hôpital de Loches, Amélie Lévêque s'est exprimée face à la presse, en compagnie de sa mère et d'autres victimes. 

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"Elle avait des phobies face aux prises de sang, aux piqûres... On pensait que ce qui avait traumatisé ma fille, c'était une piqûre mal faite." La mère d'Amélie Lévêque s'exprime très émue. Comment imaginer, lorsqu'elle confie son enfant au chirurgien Joël Le Scouarnec, en 1991, que celui-ci va abuser d'elle ? 

Ce calvaire, il l'a fait subir à plus de 200 enfants, dont les agressions sont détaillées dans des carnets scabreux. Ils sont découvert en 2017, alors que le chirurgien est arrêté pour le viol de sa petite voisine de 5 ans. Depuis, les victimes se reconnaissent. Parfois grâce au travail des enquêteurs, parfois, comme c'est le cas d'Amélie, par voie de presse. 
  
"Quand j'ai lu cet article, ça a été immédiat. J'ai tout de suite appelé mes parents en disant : je pense que c’est mon histoire. De là, tout est allé très vite", raconte la jeune femme. Dès le lendemain, Amélie Lévêque prend rendez-vous chez sa thérapeute. C'est sous hypnose que les souvenirs de son agression lui revienne. "Disons que ce qu'il a écrit dans les carnets me suffit pour savoir que ce que j'ai vu sous hypnose est vrai", résume-t-elle. Frappée d'amnésie traumatique, tout ce qu'elle avait gardé de Joël Le Scouarnec, c'était une odeur "un peu acide, un peu citronnée", qui revenait la troubler de temps à autre.
 

"Le regarder dans les yeux"


A 37 ans, l'horreur se mêle au soulagement, alors qu'Amélie Lévêque comprend enfin d'où lui vient cette violente phobie du monde médical, et en particulier d'être endormie. "Quatre ans après, ses dents de sagesse posaient problème, se souvient sa mère. Pour lui extraire, il fallait une anesthésie générale. Le chirurgien m'a appelée en me disant : "Venez chercher votre fille, on a eu un problème". Il avait renoncé à l'opérer. Il nous a dit : "si je l'avais opérée, votre fille se laissait mourir." C'étaient ses mots."

Pourtant, son médecin traitant juge Amélie "bien dans sa peau", et ne pense pas utile de l'envoyer chez un psychologue. Au bénéfice de l'amnésie, l'agression a eu sur la vie de la jeune femme un impact moins lourd qu'on pourrait l'imaginer. Cette phobie persistante, des troubles alimentaires passagers. Mais c'est une personne déterminée, souriante, presque méthodique qui s'est présentée aujourd'hui à la presse. "Il ne faut pas que je me prenne pour Zorro, il y a sans doute des moments où je vais retomber. Mais aujourd'hui, ça va" sourit-elle timidement.

Que veut-elle dire à Joël Le Scouarnec ? "Merde !" répond-elle de but en blanc. Avant de poursuivre : "C'est un peu viscéral, mais j'ai envie de le rencontrer. Je veux le regarder dans les yeux, et lui montrer que je suis debout, que je me suis construite. Lui, il va finir seul au fond d'un trou, et moi, je vais devenir plus forte."
 

La loi du silence


Si elle veut aussi lui demander "pourquoi", une autre question se pose : comment ? Comment, alors qu'un hôpital fourmille d'infirmiers, d'aides-soignants, de personnel, Joël Le Scouarnec a-t-il eu l'occasion de molester autant d'enfants ?

"C’est l’omerta de l’hôpital, dénonce sa mère. J’ai parlé à un médecin, on m’a répondu : "Toute cette histoire, c’est pas possible". J’ai dit : "Il y a donc 200 menteurs". Il a un peu rétropédalé, puis il a répondu : "Il serait préférable qu’il se suicide". Au mépris de la reconnaissance des victimes, et de la vérité.

Ce même mépris dont l'avocate d'Amélie et de plusieurs autres victimes, Francesca Satta, accuse notamment l'Ordre des médecins. L'organisation qui, malgré une condamnation de Joël Le Scouarnec en 2005 pour détention d'images pédopornographiques, lui a laissé tout loisir d'exercer auprès de mineurs. "Il serait normal que l’Ordre des médecins ait une parole pour les victimes, nous n’avons rien. Le silence a suffisamment régné pendant 30 ans pour qu’aujourd’hui il y ait un minimum de considération, fustige Me Satta. Il est clair que dans ce volet du dossier, on ne va pas faire l’impasse sur les responsabilités des uns et des autres."

L'institution pourra-t-elle échapper aux conséquences judiciaires ? Dans le cas d'Amélie, oui. Sa demande de dépôt de plainte contre l'Ordre a été refusé : les faits dont il aurait pu être amené à répondre sont, eux, prescrits. 

Mais pour la mère de la jeune femme, parler tant d'années après aura eu un bénéfice. "Si Amélie avait parlé à 9 ans, je pense qu'elle aurait été détruite. Qui croit les victimes de viol ? Là, on arrive encore à nous dire que ça n'existe pas, alors qu'il y a 250 victimes. Un enfant qui aurait parlé à cet âge ? On aurait cru le grand maître" assène-t-elle.
 

"Le fantasme vous salue"


Rien n'est terminé. En décidant, avec un grand courage, de prendre la parole publiquement, Amélie Lévêque a dégrippé la machine. Depuis, les victimes affluent vers elle, en nombre. "J'entends dire que ce n'est pas l'affaire du siècle, à un moment, il faut taper du poing sur la table", s'agace Me Satta.

L'avocate tacle l'argument de la défense, qui minimise le nombre de victimes inscrits dans les carnets en parlant de scénarios fantasmés. "Comme l'a dit Marie [une autre victime du chirurgien, ndlr] : "Le fantasme, Mr Le Scouarnec, vous salue !" ironise-t-elle. Ces noms correspondent à des personnes qui existent bien. Malheureusement, on n'aura qu'une partie des victimes en 2020. Il faut que l'enquête continue."

Incarcéré en 2017, Joël Le Scouarnec n'aura en tout cas plus l'occasion d'allonger la liste de ses crimes. 
 
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