L'auteur de bande dessinée tourangeau a publié fin 2021 "Sous les galets la plage", brûlot en hommage à la révolte et à la jeunesse.
Rien n'agace plus Pascal Rabaté que d'entendre des candidats à l'Elysée "vanter la légende du roman national" et réécrire le passé. Depuis trente ans, cet auteur tourangeau installé à l'embouchure de la Loire esquisse à longueur de films et de bandes-dessinées les "angles morts de l'Histoire". Dans son dernier livre, Sous les galets la plage aux éditions Rue de Sèvres, sélectionné pour le prochain Festival d'Angoulême en mars, l'écrivain raconte la rencontre au début des années 1960 d'un fils de militaire rangé et d'une jeune cambrioleuse qui s'attaquent "à la fois aux maisons et à la morale bourgeoises".
Des histoires "à rebours du roman national"
"On est à la fin de la guerre d'Algérie. C'est un empire qui s'écroule dans un mensonge: la France a perdu mais ne veut pas perdre la face. Le ras-le-bol des jeunes et mai 68 sont en partie nés de ce mensonge", assure Pascal Rabaté lors d'un entretien avec l'AFP. En pleine campagne pour l'élection présidentielle, l'écrivain de 60 ans, qui a voté "toute (sa) vie à gauche", s'alarme de voir "certains candidats réécrire l'histoire" ou refuser d'en "tirer des leçons".
"Quand on entend Eric Zemmour dire que Pétain a protégé les juifs de France ou Valérie Pécresse s'insurger du fait qu'Emmanuel Macron s'excuse pour des crimes commis pendant la guerre d'Algérie, on peut se dire que c'est un monstrueux retour en arrière", soupire l'auteur de bandes dessinées.
La candidate LR a regretté à plusieurs reprises ces derniers mois la "repentance à sens unique" du président de la République. En 2008, Pascal Rabaté illustrait un album dédié à la Communarde Louise Michel. En 2016, il publiait La Déconfiture, qui évoque la défaite de l'armée française en juin 1940. Des histoires "à rebours du roman national" qu'il raconte toujours à l'aune de destins particuliers.
"J'ai un regard de myope: même dans la grande Histoire, c'est l'individu qui m'intéresse", explique l'auteur, assis devant la baie vitrée de son atelier nantais, tasse de thé vert à portée de main.
"Il faut faire la révolution tant que l'on n'a pas trop mal aux genoux"
La trame de son dernier livre lui est venue lors d'une balade automnale sur la côte bretonne. Les maisons, "toutes vides", n'attendaient "qu'un bon cambrioleur". L'ouvrage est aussi, dit-il, une "ode à la jeunesse". "Il faut faire la révolution tant que l'on n'a pas trop mal aux genoux", s'amuse le sexagénaire, ponctuant ses tirades de brefs éclats de rire.
L'auteur s'agace d'entendre dire que la jeunesse d'aujourd'hui est apathique et refuse "de (se) montrer pessimiste sur son engagement politique". "Il y a les mêmes aspirations que dans les années 1960. Les jeunes qui triment pour le climat ou ceux de Notre-Dame-des-Landes sont des gens qui voient le commun avant de penser à eux", théorise l'auteur. "Bien sûr, il existe des jeunes généreux et des jeunes cons."
On devine aisément dans laquelle de ces deux cases Pascal Rabaté range les jeunes héros de sa BD, Albert et Odette: il en parle comme de vieux amis. Lui, fils de colonel, "traine son arbre généalogique comme un chien ses puces". Elle, fille indigne d'une "collaborationniste horizontale", abandonnée à la naissance, "a le pied léger car personne à décevoir".
Et son arbre généalogique à lui, originaire de Langeais ? "On l'a tracé en une matinée: du côté de mon père, mes ascendants avaient fait trente bornes en 300 ans. Ça m'a fichu un cafard terrible."
Le dernier ouvrage de Pascal Rabaté s'ouvre sur une citation bien connue de Pierre-Joseph Proudhon - "La propriété, c'est le vol" - et s'achève sur un symbole anarchiste. Quand on lui demande s'il considère cette bande-dessinée comme un livre politique, Pascal Rabaté sourit: "Tout est politique. Mais j'essaye de faire en sorte que tout soit poétique aussi. Alors je fais de la poétique de gauche."
Également réalisateur, Pascal Rabaté verra le 22 avril prochain sortir son dernier film, la comédie Les Sans-dents.