Martine Migaud est directrice de recherche dans l’Unité Mixte de Recherche Physiologie de la Reproduction et des Comportements (INRA, CNRS, Université de Tours, IFCE). Elle était présente notamment à Tours lors de la fête de la science, avec un stand sur les perturbateurs endocriniens.
Martine Migaud est chercheuse dans l'unité de recherche physiologie de la reproduction et des comportements. Avec ses confrères, Delphine Pillon, Pascal Vaudin et Martine Batailler, elle a travaillé sur l'impact qu'ont ces molécules bien envahissantes sur notre organisme.En octobre, elle animait un stand sur le sujet à la Fête de la science. Elle a répondu à nos questions.
Martine Migaud : Les perturbateurs endocriniens sont une catégorie de polluants environnementaux que l’on peut trouver autour de nous. Leur particularité est que leur structure chimique ressemble à celle de nos hormones.
Les hormones sont des molécules diffusées dans tous les organes et qui interviennent dans la régulation des grandes fonctions "endocrines", en particulier la fonction de reproduction. Ces molécules chimiques extérieures peuvent jouer le même rôle que nos hormones et donc créer des perturbations. D’où le terme de perturbateur endocrinien.
Mes collègues, Delphine Pillon et Pascal Vaudin se sont penchés sur cette question parce que c’est un sujet qui intéresse beaucoup la société. Les gens s’interrogent de plus en plus sur la présence des produits chimiques, des polluants et leurs effets potentiels sur la santé.
C’est aussi notre devoir de chercheur de donner les informations aux pouvoirs publics et aux citoyens sur les effets de ces molécules, dont la présence est de plus en plus détectable dans notre environnement. En tant que chercheur nous avons un regard à la fois curieux et citoyen. Notre but est d’informer le public, pour qu’il soit éclairé quant à ses choix de consommation et de société.
La législation européenne va également de plus en plus vers une régulation de la production et de l’utilisation des produits chimiques, avec notamment le règlement REACH (Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques).
Dans toutes les fonctions du système endocrinien, la fonction de reproduction est quand même la fonction essentielle à la pérennité de toutes les espèces. Chez l’Homme, on constate ces derniers temps beaucoup de problèmes de fertilité. Les consultations chez les spécialistes sont en augmentation, avec de nombreuses demandes de procréation médicalement assistée.
Ces problèmes ont des causes multiples, mais les perturbateurs endocriniens sont tout de même de sérieux suspects.
Un étudiant en thèse encadré par Delphine Pillon a publié son étude dans Scientific Reports, en 2015. Ils ont étudié l’effet de l’éthinylestradiol. C’est un produit dérivé de la pilule contraceptive. Les résidus de ce médicament sont évacués par les urines et on retrouve cette molécule, issue de la dégradation de la pilule, dans l’environnement. On la détecte, à faibles concentrations, dans les eaux de surface et souterraines.
Cette molécule a été étudiée sur le comportement des souris. Les souris gestantes ont été exposées à cette molécule via leur eau de boisson, et donc les embryons y ont été exposés aussi. L’exposition a été prolongée jusqu’à la puberté. Leur comportement et ceux de leurs descendants, qui eux, n’ont pas été directement exposés à la molécule a été étudié à l’âge adulte.
On a constaté un effet significatif sur le comportement sexuel des souris mâles, qui deviennent hyperactives sexuellement par rapport aux souris non exposées De manière assez inattendue, cet effet a été observé chez les petits exposés à la molécule mais aussi jusqu’à la 4ème génération. C’est ce qu’on appelle un effet trans-générationnel.
On n’observera pas le même comportement sexuel chez l’homme, bien sûr. L’intérêt de ces résultats est de montrer que, même avec des doses très petites, qu’on appelle environnementales, on observe un effet sur plusieurs générations. Ça montre la puissance de ces molécules. C’est une forme d’alerte, même si ce n’est pas directement transposable à l’homme.
Il n’y a pas de solution miracle, car il y a plusieurs sources à ces perturbateurs endocriniens. Si on décide par exemple d’éradiquer le plastique, ce ne sera pas la solution à tous les problèmes.
Par exemple, on éradique le bisphénol A des biberons, parce qu’un bébé est particulièrement sensible aux perturbateurs endocriniens. Mais les industriels, voyant cela, se sont tournés vers le bisphénol S. Certain de mes collègues travaillent sur les effets de ce bisphénol S, dont on soupçonne qu’il pourrait être tout aussi nocif que le bisphénol A.
Il faut être vigilant. Je pense que plus la société est éclairée, plus les citoyens peuvent faire pression sur les industriels pour que l’utilisation de ces perturbateurs soit… moins débridée.