Venus pour suivre une équipe de chirurgie cardiaque en mission humanitaire, deux journalistes de France 3 sont restés bloqués plusieurs jours au Burkina Faso en plein milieu d'un coup d'État militaire. Ils racontent leur périple.
Du 26 au 30 septembre, deux journalistes de France 3 Centre-Val de Loire, Grégoire Grichois et Théophile M'Baka étaient au Burkina Faso. Leur objectif : réaliser un reportage sur une équipe de neuf professionnels de santé de la Chaîne de l'espoir, venus de toute la France et notamment du CHU de Tours.
Les soignants, les journalistes et le putschiste
Les soignants avaient à la fois pour mission d'effectuer des opérations à cœur ouvert sur des enfants atteints de maladie grave, et de former à leur tour des médecins burkinabès.
Mais cette présence au Burkina Faso a pris un tour inattendu le vendredi 30 septembre, le jour-même où les deux équipes, journalistes et soignants, devaient regagner la France. Ce jour-là, les partisans du jeune capitaine Ibrahim Traoré, 34 ans, lancent un putsch militaire contre le lieutenant-colonel Damiba, lui-même arrivé au pouvoir par un coup d'État le 31 janvier 2022.
Les putschistes reprochent à Damiba, entre autres, son incapacité à restaurer l'ordre dans le nord du pays, en proie aux milices djihadistes, et les retards de paiements ou l'absence de primes pour certains éléments de l'armée. L'élément déclencheur : l'attaque meurtrière, le 28 septembre, d'un convoi de ravitaillement escorté par l'armée dans le nord du pays.
"À tout moment ça peut partir en vrille"
Depuis leur arrivée, leur reportage était placé sur le signe de la prudence, car le sentiment anti-français croît régulièrement au Burkina Faso sous l'impulsion de la Russie, qui espère remplacer l'ancienne puissance coloniale comme partenaire privilégié.
"On était en contact permanent avec la cellule Sécurité de France Télévisions, elle-même en contact avec l'ambassade", explique Grégoire Grichois, journaliste reporteur d'image (JRI). "On avait eu des réunions en amont, on avait pour consigne de ne jamais se déplacer seuls. Tous les matins on envoyait une photo en partant de l'hôtel, et tous les soirs on signalait notre retour à la cellule Sécurité. Et on ne sortait jamais seuls."
L'hôtel lui-même, le Lancaster Ouaga 2000, est une petite forteresse située au milieu du quartier des ambassade, le plus sûr de Ouagadougou. Portiques aux entrées, gardiens armés et passage à la fouille des véhicules entrant et sortant font partie du quotidien.
Dès que le putsch se produit, des consignes strictes sont transmises : plus de sortie de l'hôtel, journalistes et soignants doivent rester cloîtrés. "À ce moment-là on est dans une souricière", raconte Théophile Mbaka, pour sa part journaliste rédacteur. Avant sa propre sécurité, il s'inquiète de pouvoir terminer et livrer le reportage sur le travail des soignants. "On ne sait pas quand on va pouvoir partir, ni comment. On ignore ce qu'il va advenir de nous."
"On n'a plus d'accès à l'aéroport, on ne sait pas ce qu'il se passe, à tout moment ça peut partir en vrille", se souvient Grégoire Grichois. "Quand tu es sur ton balcon et que d'un seul coup tu entends des coups de feu, tu rentres vite fait !"
Le lendemain, samedi 1er octobre, la tension monte encore d'un cran. Une foule agitant des drapeaux russes manifeste dans les rues et attaque l'ambassade de France. L'attaque se renouvelle le jour suivant, et les nuits sont émaillées d'échanges de coups de feu. Cloîtrés dans l'hôtel, les Français ignorent qui tirent sur qui. Le dimanche 2 octobre, le lieutenant-colonel Damiba accepte de démissionner, et s'exile au Togo.
Une opération à cœur ouvert en pleine nuit
Pour les Français enfermés à l'hôtel, où certains employés ont aussi décider de rester dormir par crainte pour leur sécurité, l'état de siège n'est pas fini. Les frontières sont toujours fermées et Air France ne prévoit pas de rétablissement des vols à destination de Paris avant au moins dix jours.
"Nous, ça va, on avait la wi-fi", s'amuse Grégoire Grichois. Alors qu'ils sont coupés de tout, et que la télévision locale a cessé d'émettre, la technologie leur permet de rester informés, via la direction de la Sécurité de France Télévisions, des conditions dans lesquelles ils pourront quitter le pays. Mais avant tout, cette connexion leur permet de rassurer leurs proches. "Ma femme s'est fait un sang d'encre. Nous, une fois que les militaires ont trouvé un accord, on n'avait plus de raisons de paniquer !"
"Pour nous amuser, on s'était mis à utiliser un mot de passe", plaisante Théophile Mbaka.
Grégoire tapait à ma porte, et je m'exclamais "Qui va là !" Son code à lui, c'était le prénom de son épouse, et moi c'était celui de mon fils
Théophile Mbaka, journaliste de France 3 Centre-Val de Loire
Si du côté des journalistes, l'ennui commence à s'installer, les soignants quant à eux décident de prendre des risques. Bravant le couvre-feu, une petite équipe de cinq personnes s'exfiltre de l'hôtel, grimpe dans une ambulance amenée par un chirurgien burkinabè et file à l'hôpital en pleine nuit. Leur patient : un petit garçon de 4 ans et 11 kilos. Il présente un saignement dans le péricarde. Sans soins immédiats, il est condamné.
Arrivés à l'hôpital par des rues déserte, les soignants opèrent le garçon à cœur ouvert pendant deux heures et parviennent à le sauver. En tout, sur une douzaine d'opérations prévues, ils auront réussi à mener huit d'entre elles à terme, et à former un chirurgien local à leurs techniques, un savoir-faire précieux dans ce pays où l'accès au soin est rare et cher.
"Ce sont des gens d'une efficacité et d'un engagement total", soupire Théophile Mbaka. "Ça rend vraiment humble."
Le retour, enfin
Après plusieurs jours d'attente, la nouvelle tombe. L'association humanitaire qui a missionné les soignants, la Chaîne de l'espoir, a trouvé des vols permettant de rentrer à Paris grâce à Ethiopian Airlines, moyennant une escale à Addis-Abeba. "On nous a fait comprendre que si on voulait partir, c'était maintenant", explique Grégoire Grichois.
Avec une voiture devant en éclaireur et une voiture laissée en arrière-garde, le convoi emmène les 11 Français à l'aéroport. "On a continué à transmettre des messages régulièrement à Paris jusqu'à ce qu'on soit dans l'avion, et même une fois arrivés en Éthiopie", se souvient Théophile Mbaka. "Des signes de vie."
Le très long vol de retour s'effectue sans encombre. À peine arrivés, les deux journalistes se sont attelés à l'écriture et au montage des histoires récoltées au Burkina Faso. Quant aux soignants, ils ont réintégré leurs établissements de santé à travers la France, en attendant leur prochaine mission. Car, partout dans le monde, il y aura toujours des enfants à soigner et des histoires à raconter.