"Les fils de Sion" le nouveau tome des frères Rubinstein entraîne les lecteurs d’Hollywood à la Palestine, en passant par le camp de Sobibor. Le cycle se poursuit avec de multiples rebondissements. Rencontre avec son scénariste, le tourangeau Luc Brunschwig.
L’album s’ouvre sur l’image d’un grand écran en noir et blanc. Dans la cour d’un centre pénitencier, Salomon, enfant reçoit un panier sous le regard menaçant d’un horrible gardien à la moustache stalinienne. Nous sommes en 1936, à la première du film de Salomon Rubinstein, " L’enfance volée ".
La salle est comble. Le cinéma est l’un des plus célèbres du monde, le Chinese Theatre de Los Angeles, reconnaissable grâce à ses dorures et ses colonnes sculptées à la façon de pagodes. Dans le public, Moïse se lève et quitte la salle… Son frère, Salomon le suit : "Je me doutais que cette projection serait un moment difficile". Troublants de sincérité, les personnages nous sommes proches.
Normal, Luc Brunschwig a puisé dans son histoire personnelle : " Au départ, j’avais envie de raconter la relation entre deux frères. Cette complicité, je l’ai avec mon frère depuis 53 ans. Lui, il est très discret. Il ne s’engage qu’après-avoir pesé toutes les conséquences, alors que moi, je suis plus à vif, je plonge dans tous les pièges de la vie, un peu comme Salomon. Je voulais rendre hommage à notre relation. Un débrouillard et un intellectuel. On s’adore. "
Dans la série Lloyd Singer, son frère apparaissait déjà . Cette fois, il fallait changer au moins le physique. Etienne Le Roux, le dessinateur a eu carte blanche pour dessiner les personnages. " Avec Etienne, c’est toujours extra. Tu commences à ouvrir ses planches, et c’est parti, c’est sublime. Tu reviens dessus dix fois, vingt fois... il y a toujours un détail à remarquer. Loïc Chevallier, son collaborateur crée l’ambiance de l’époque, c’est un régal." raconte Luc.
BD historique, le scénariste nous offre un regard nouveau sur les discriminations, comme ces quotas d’élèves juifs imposés dans les universités américaines. L'album fortement documenté fait référence à Jean Genet, en évoquant le bagne agricole de Mettray. " Chaque paysan touchant une prime de cinquante francs par colon évadé qu'il ramenait, c'est une véritable chasse à l'enfant, avec fourches, fusils et chiens qui se livrait jour et nuit dans la campagne de Mettray " lit-on dans le "miracle de la rose", des mots que l’on retrouvera dans la bouche de Salomon dans les dix premières pages de la BD.
Luc tenait également à rendre hommage au vécu de sa famille. "Je voulais parler de ma judaïté, des camps d’extermination. Mon oncle et mon grand-père sont morts à Auschwitz. En 1942, à Montargis, mon père avait 15 ans. Il a été sauvé d’extrême justesse par des voisins... "
Dans ce tome, on retrouve avec joie, Djerzezak , la jeune femme aveugle, critique de cinéma. Elle avait disparu au tome 2. "Le lecteur doit se poser des questions. Pourquoi, alors qu’on était sur le point de suivre Salomon au bagne, ne le retrouve-t-on pas ?" Tout est décalé dans le temps, c’est l’art du scénariste affirme Luc, avec une pointe d’espièglerie.
Luc Brunschwig ajoute : " J’aime utiliser le réel comme matière pour en faire de la fiction. "
Si le Paris des années 30, gangréné par la montée d'un fascisme français vous intéresse, n’hésitez pas à relire les trois premiers tomes et à savourer cette suite. L’épopée captive. Au fil des pages, les personnages deviennent de plus en plus attachants. On attend le tome 5 avec impatience. Généreux, Luc nous dévoile déjà un peu des péripéties à suivre dans les prochains tomes. Au programme : les raisons pour lesquelles Moïse est parti en Europe, la création de l’Etat d’Israël. On retournera aussi à Sobibor, le seul camp où il y a eu une révolte, 70 personnes ont survécu. Le tome 4 donne déjà le ton.